« Je vous tuerai »*, c’est ce qu’avait hurlé Michel Riboux, son chef de service, quand il lui avait confessé qu’il couchait avec sa femme. Pourquoi lui avait-il tout raconté ? Il faut dire qu'il ne pouvait plus supporter sa prévenance – « Et vous prendrez bien un apéritif » par ci ou « Restez dîner avec nous, vous ferez plaisir à ma femme » par là… - tout ça lui donnait des bouffées de culpabilité. Il n’avait jamais supporté le mensonge ; une question d’éducation, sans doute.
Depuis qu’il était à l’hôpital, il refaisait chaque jour, en pensée, la course qui l’avait amené à sauter par-dessus le portail d'entrée des Riboux pour échapper à la fureur du mari trompé. Mais le portail était trop haut et son élan trop court. Résultat : le col du fémur cassé, la hanche déboîtée, trois dents de devant envolées, un contrat de travail qui ne serait pas renouvelé et une maîtresse qui l’ignorait...
* phrase extraite de « l’ours en peluche » de Simenon
Elle a eu 50 ans en 2007. Un demi-siècle d’existence lui avait fait
remarquer sa copine qui avait renchérit en disant que c’était le début de la
fin ! Et si au contraire, c’était le début d’une autre vie ?
En prévision de cet anniversaire, depuis deux ans, elle avait
consciencieusement mis de côté toutes les pièces de cinq francs qu’elle
trouvait dans son portemonnaie à la fin de la journée. Elle avait ainsi
accumulé un joli petit pactole qu’elle se destinait à dépenser pour cet
évènement majeur. Le tout était de savoir comment ? Son esprit avait vagabondé
dans toutes les directions et écarté toutes les idées trop conventionnelles,
connues ou trop usitées pour ne garder que celles qui lui semblaient
inabordables ou complètement folles. Finalement, un petit sourire aux lèvres,
elle avait su ce qui allait lui faire plaisir…
Elle avait commencé ses recherches et finit par trouver le chalet
de ses rêves, perdu au fond d’une vallée célèbre pour son fromage d’alpage,
l’Etivaz ! Le chalet était isolé en pleine nature, proche des montagnes
qu’elle appréciait et assez grand pour y accueillir ceux qu’elle aimait. En
début d’année, elle envoya ses invitations conviant ses amis, sa famille à
venir la rejoindre durant tout le mois de juillet dans ce havre de paix pour
passer du temps avec elle et rester un, deux, trois jours, une semaine voire le
temps qu’ils voulaient. Son but était de passer du temps, bavarder, refaire le
monde avec les personnes qui lui étaient chères, c’était ça son cadeau, c’était
ce qu’elle désirait. Chaque hôte n’avait que deux obligations : apporter
nourriture et boissons pour le séjour et laisser sa trace dans le livre
d’or !
En juillet 2007, le chalet fut
rempli de fous-rires, de convivialité et de tendresse. Des hommes et des femmes
qui ne se connaissaient pas et dont elle était le seule lien se découvrirent
des points communs qui en régalèrent plus d’un. Les spécialités culinaires, les
vins fins délièrent les langues et participèrent à la bonne ambiance commune.
Le chalet ne fut jamais vide même si la neige et la pluie furent présentes en
cet été pluvieux.
De cet anniversaire ne restent
que les souvenirs et les photos mais la mémoire a cela de bon qu’elle permet de
revivre partout les bons moments et dans le cœur et dans la tête. Avoir 50 ans
a été pour elle non pas le début de la fin comme prédit par l’amie en question
mais le début d’une nouvelle aventure se sachant entourée par des personnes
importantes, précieuses et aimées.
Quand le 31 juillet, elle rendit
les clés du chalet, elle sut qu’elle ne serait plus la même. Un mois de
tendresse, d’amour et de bonheur, cela laisse une trace…
Elle a 50 ans cette année. Un
demi-siècle d’existence lui fait remarquer sa copine qui renchérit en disant
que c’est le début de la fin ! Et si au contraire, c’était le début d’une
autre vie ?
En prévision de cet anniversaire,
depuis trois ans, elle avait consciencieusement mis de côté toutes les pièces
de deux euros qu’elle trouvait dans son portemonnaie à la fin de la journée.
Elle avait ainsi accumulé un joli petit pactole qu’elle se destinait à dépenser
pour cet évènement majeur. Le tout était de savoir comment ? Son esprit avait
vagabondé dans toutes les directions et écarté toutes les idées trop
conventionnelles, connues ou trop usitées pour ne garder que celles qui lui
semblaient inabordables ou complètement folles. Finalement, un petit sourire
aux lèvres, elle avait su ce qui allait lui faire plaisir…
Elle avait commencé ses
recherches et finit par trouver les coordonnées de l’homme convoité. Pas
difficile quand c’est un homme public donc connu. Elle devait passer par son
agent ? Pas de problèmes elle avait donc transmis sa proposition et
demandé une estimation des coûts de la soirée. Puis, elle avait choisi un hôtel
digne de les recevoir et avait attendu. Quand la lettre avec la réponse
positive et les conditions était arrivée, elle avait sauté de joie sur place
comme une gamine en battant des mains. Elle s’était confiée à sa meilleure amie
qui l’avait prise pour une cinglée mais l’avait quand même encouragée à vivre
sa folie, après tout, on n’a 50 ans qu’une fois dans sa vie !
Le jour clé arrive. Léonie se
présente à la réception du palace en début d’après-midi. Quand elle ouvre la
porte de la suite réservée, elle sent son cœur gonfler dans sa poitrine, de
peur et de plaisir. Elle s’installe, prend un bain moussant, se fait servir en
chambre un thé avec des scones, puis se rend chez l’esthéticienne pour un soin
du visage avant de passer chez la coiffeuse de l’hôtel. L’heure passant, elle
choisit une tenue simple car ce ne sera pas elle la vedette de la soirée mais
celui qu’elle attend. A huit heures pile, on frappe à la porte. Quand elle
ouvre, un sourire béat reçoit Michel Malou, chanteur français engagé à la voix
basse et profonde qui ne chantera ce soir que pour elle et elle seule. Son
cadeau pour ses 50 ans !
L’homme la salue d’une courbette
et lui baise la main. Il tient sa guitare sans étui et est vêtu comme à son
habitude, d’une chemise noire sur pantalon noir. Elle s’efface pour le laisser
entrer et lui propose un peu de champagne. Il refuse préférant partager un
verre a la fin de son récital. Il lui demande si elle a des préférences, elle
les lui dit et sitôt installé, il débute son tour de chant. Une heure de
bonheur total, une heure de voyages, de vérités, de poésie et de tendresse. Elle
vibre et se laisse guider dans un monde de chansons où elle s’imagine être la
muse de l’artiste…après tout elle peut bien rêver ? Le dernier accord joué,
elle reste immobile, la tête pleine de mots, d’impressions, de mélodies. Michel
Malou pose sa guitare et va se servir un verre puis il s’assied en face d’elle.
Il ne dit rien, il sirote son champagne et attend.
- Merci, c’était tout simplement
fantastique.
Elle regarde son verre et
propose.
- Je sais que ce n’est pas prévu par
le contrat, mais j’aurais grand plaisir à vous inviter à manger ?
Il accepte volontiers, elle
saisit le téléphone et passe commande pour un service en chambre. La suite de
la soirée est parfaite, ils échangent sur des sujets divers, il raconte son
parcours de chanteur engagé contre la discrimination et les inégalités, ses
combats avec les mots et la musique, ses seules armes et elle commence à
comprendre pourquoi elle l’a choisi, lui et lui seul…Ils se quittent en se
faisant la bise, une amitié est en train de naître peut-être mais ce qui est
sûr c’est que, grâce à lui, elle a trouvé le but de son autre demi-siècle à
venir. Elle y avait déjà pensé mais sa timidité l’avait retenue, ses peurs
également.
Le lendemain matin, la porte qui
se referme sur sa suite est le symbole d’un passé qui se termine et d’un avenir
ouvert, elle ne sait pas encore comment, ni où mais ce qu’elle sait c’est que
sa vie sera autre et si une peur tentera de la retenir, elle se dira: « Si
tu ne le fais pas à 50 ans, tu ne le feras jamais, donc vas-y ! »
- Tiens, un nouvel achat ? Dit-elle en désignant ses chaussettes sur lesquelles elle lisait les mots " the last perfect man*" qui s'étalaient en lettres jaunes sur fond marron. - Oui, mais c’est pas une réussite ces chaussettes ; avec elles, j'ai froid ! - Normal, sourit-elle, elles ne sont pas faites pour toi ! Il ne répondit rien et fit semblant de s'absorber dans la lecture de son journal.
Aujourd'hui je suis allé au supermarché et j'ai acheté un lot à ma femme. Elle a jamais aimé les lots, ma femme, surtout les gros lots, ça l'angoisse… Je lui ai pris quarante rouleaux de papier hygiénique, quarante pour le prix de 30, une affaire ! Pour être franc, c'est pas vraiment pour faire des économies que je lui ai acheté un gros lot, mais ça, il y a que vous qui le sachiez. Au moment où je vous écris, elle est à la cave et elle essaie de ranger les quarante rouleaux ; ça fait deux heures qu'elle est en bas, et moi, j'ai la paix…
Ce matin, en lieu et place du
jogging et vu la pluie, petit café et croissants avec ma copine. Il y a des
jours où il faut se dorloter ! On se parle de nos vacances respectives et
voilà qu’arrive par le plus pur des hasards, le parrain de ma fille. Bises, il
boit le café avec nous. La discussion reprend et mon amie et moi vantons les
bienfaits des périodes sans nos maris, partis dans les pays étrangers pour
cause de travail sous d’autres latitudes. Etonnement du parrain en question qui
ne comprend pas quelle joie nous pouvons avoir à nous sentir libres…sur ce, je
repense au texte de Lidia* intitulé « Amadeus et moi » du 24 octobre et
je me mets à penser (si-si, cela m’arrive). Ma lecture actuelle étant
« Ainsi soit-elle » de Benoîte Groulx, vous imaginez peut-être où mes
pensées vont me conduire.
Une femme, mère de famille,
épouse et travailleuse, a pendant une grande partie de sa vie à gérer,
modifier, planifier les agendas et activités de toute sa petite famille, les
repas, les vacances, les courses, les affaires courantes, s’occuper du jardin
si il y en a un, entretenir les bonnes relations avec la concierge, contenter
mari, enfants, employeurs, collègues et voisins et ainsi développer non
seulement des compétences mais aussi remplir sa vie de plein de contraintes
absolument indispensables !
Quand, lors d’occasions
professionnelles ou de loisirs, le mari s’absente pour deux, trois ou 10 jours,
comme par enchantement, une grande partie des contraintes tombent et c’est le
chaos presque total à la maison. Les affaires qui trainent, le courrier qu’on
ouvrira demain, les horaires à respecter, la tenue très décontractée en
rentrant du boulot, le DVD qu’on visionne sur l’ordinateur portable dans le lit
conjugal, la soirée TV avec plateau repas plein de trucs qu’on ne mange jamais
car pas bon pour la santé, les sorties avec les copines et toutes ces petites
choses, ces petits évènements qui donnent l’impression de faire l’école
buissonnière et de jouer à la sale gamine. Quel bonheur cela fait dans une vie
rangée et conforme !
Bon je pourrais me poser la
question du pourquoi je ne fais pas cela en présence du mari qui lui ne m’a
jamais contrainte à quoi que ce soit si ce n’est à manger mes 5 fruits et
légumes par jour (il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui pense à notre santé
dans la famille) et je me dis que ma lecture actuelle doit être complétée par
des changements de regards sur ma vie.
- Tu veux jouer à
Cendrillon ? Mais tu n’as plus l’âge.
- C’est quoi ces histoires
d’âges ? Parce que je n’ai plus 18 ans, je n’ai plus le droit de
rêver ?
- Si, si, ce n’est pas ce que je
voulais dire mais le prince charmant, à notre époque, c’est un peu puéril
non ?
- Non !
- Ah ! bon. Bien, tu as
surement raison…et tu le vois comment ton prince charmant, sur un beau cheval
blanc, pourfendant le dragon pour toi ?
- Ne me prends pas pour plus bête
que je ne suis, des dragons, il n’y en a pas. Non, moi le prince charmant je le
vois…enfin, je ne veux pas tomber dans les mièvreries ni dans les stéréotypes
mais je l’aimerais…entre 40 et 50 ans, fort, sensible, attrayant, belle
chevelure blanche lui donnant un air distingué, habillé d’un pantalon en
velours, d’un pull en cachemire qui serait doux au toucher quand je me
presserais contre lui, d’une veste imperméable de bonne coupe et de bottes pour
parcourir son domaine. Il aurait un mas dans la nature et serait vigneron par
goût.
- Et il aurait bien sûr une
fortune lui permettant d’avoir du personnel pour ses vignes et ainsi de vivre
sans trop s’échiner à gratter la terre ?
- Tu te moques ?
Un sourire à peine masqué
- Non, pas vraiment…et c’est
tout ? Tu l’aurais rencontré comment ?
- En vacances. Alors seule à
découvrir la région, ma voiture en panne sur une route paumée en pleine nature,
la batterie de mon portable à plat, la nuit qui tombe, la peur qui s’installe
et lui qui aurait débouché au volant de sa Range Rover pour me secourir. Je
pourrais rajouter la pluie, comme ça, trempée, il m’aurait invitée chez lui
pour me sécher, me réchauffer et au passage, m’inviter à souper.
- C’est bien l’histoire de
Cendrillon, un peu mise au goût du jour mais c’est bien ça ! Et la suite,
tu la vois dans…son lit ?
- Cendrillon n’a pas couché de
suite, je te fais remarquer.
- C’est vrai, à l’époque, il
fallait d’abord passer devant le curé. Après ce sauvetage et ce souper
romantique, il te raccompagne à ton hôtel ?
- Oui car ma voiture toujours en
panne sera remorquée le lendemain. Il m’invitera à me promener sur ses terres
et me montrera des endroits charmants et nous échangerons notre premier baiser
sur une colline surplombant le village. Tu bailles ? Mon histoire ne
t’intéresse pas ?
- Tu veux savoir le fond de ma
pensée ?
- Euh, oui !
- Pour une écolo, imaginer un
prince charmant avec une Range Rover quand on sait combien ces voitures
polluent, je comprends pas ! Pour une féministe comme toi, imaginer vivre
une histoire style roman Harlequin, je comprends encore moins ! Donc, soit
tu deviens débile avec l’âge, soit tu es en manques !
Rire
- Ni l’un, ni l’autre, je m’amusais.
- Tu t’amusais ? A mes
dépens ?
- Non. Pour la Range Rover, je
suis d’accord avec toi, j’aurais pu choisir une voiture plus écolo, mais pour
le reste, qui te dit que dans le bras d’un tel homme, j‘oublie mes convictions
d’égalité ?
Moment de silence
- C’est vrai, pas incompatible,
mais si tu trouves ce prince charmant, tu me promets une chose.
Il faut que j’arrête, se dit-il. Il chercha résolument un sparadrap dans son sac à dos, il n’y en avait pas. Ses doigts, impudiques, exposaient leur souffrance au premier venu. S’il ne trouvait pas de sparadrap, son index serait bientôt un charnier ! Voilà 40 ans qu’il s’acharnait sur ses doigts, pourtant les choses semblaient aller mieux depuis qu’il était là.
Il pensa à sa femme, partie depuis un an maintenant, à ses enfants qui ne venaient le voir que très rarement, à sa mère, morte deux ans plus tôt, à son frère qui ne voulait plus entendre parler de lui… Il fallait qu’il arrête de se ronger sur le champ, question de survie. Maintenant qu’il était en vacances, il devait en profiter. Son regard se posa à nouveau sur ses doigts et il arracha une peau qui dépassait ; la dernière de l’après-midi, se dit-il.
Il ferma son sac à dos, le remit à l’épaule et marcha lentement vers la grande bâtisse où il résidait. Près des escaliers, il dit bonjour à deux femmes en blouse blanche qui discutaient, elles lui répondirent aimablement. A 16 heures, ce serait le thé, à 19 heures, on servirait le repas du soir et à 21 heures il serait au lit. Finalement, il avait eu raison de choisir cet hôtel en lisère de forêt. Il ne pouvait pas sortir comme il l’aurait souhaité mais au moins, il y était bien, loin des rumeurs du monde.
Tu vois cette photo, c’est la seule que je n’ai pu ni déchirer, ni te renvoyer ! J’aurais sans doute dû le faire mais j’aime à me voir insouciante, aller d’avant en arrière, sans que rien ne trouble le mouvement de balancier de l’amour. Tu as toujours su prendre les photos de moi que j’aurais voulu prendre ; tu m’avais donné envie de m’aimer.
A quoi sert de vouloir repeindre le passé ? Les souvenirs s’écaillent et mettent à nu les blessures où s’engouffrent les fragments de notre histoire. Les gens me disent : réagis, d’autres hommes peuvent habiller* ta vie ; mais ils ne savent rien de l’absence qui déchire le désir.
Aujourd’hui je regarde cette photo et je voudrais m’effacer, j’y arrive presque ; je suis floue, je suis un fantôme… bientôt les fleurs seront coupées, le vent éparpillera des pétales de deuil, la balançoire continuera son mouvement d’avant en arrière, mais je ne serai plus là.
* « habiller » ce mot est une réminiscence de lecture d’une pensée lue sur le blog la colline au cigale
A la fin – conclut-elle agacée - j’en ai eu marre de son monologue et j’ai mis un terme à notre conversation ; d’ailleurs, je ne lui avais pas parlé pour qu’elle me parle d’elle, mais pour lui parler de moi !