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Presquevoix...
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11 décembre 2011

L’homme nu

Maintenant, elle voyait des hommes nus dans les arbres. Pourtant elle n’avait jamais été particulièrement portée sur le sexe. La veille, juste avant d’entrer au cinéma – elle allait voir « La source des femmes »* - elle s’arrêta devant le platane de l’avenue Jean Jaurès et, surexcitée, elle dit à son amie.

-    Tu l’as vu ? Tu l’as vu ?
-    Mais qui ? Lui demanda son amie gênée de ses manifestations bruyantes d’enthousiasme.
-    Mais ce type, il me suit depuis hier ! Et maintenant le voilà nu, dans l’arbre. Il est quand même gonflé !

Son amie regarda attentivement le platane presque dégarni, mais d’homme elle ne vit point. Elle aurait presque préféré le voir ! Elle fit un pauvre sourire, ne sachant que dire. Elle voulut l’entraîner vers l’entrée du cinéma, mais son amie  refusa de la suivre.

-    Ah non, maintenant qu’il est là, il va voir de quel bois je me chauffe !

Et elle commença à se déshabiller sur le trottoir devant le cinéma...

*film « juste », subtil, tendre et drôle que je vous conseille vivement.

10 décembre 2011

Pôle emploi

Dans cette nouvelle  agence Pôle emploi,  Le Directeur avait mis en place un détecteur de mensonge sur l’ordinateur de chaque agent. Ce nouvel outil modifia considérablement l’attitude des employés. Lorsque, sur l’écran de l’ordinateur, clignotait le label « haut risque » en rouge et blanc, l’agent s’acharnait sur le demandeur d’emploi jusqu’à ce qu’il craque.

Après un an d’utilisation, quinze noms  furent supprimés du fichier « demandeur d’emploi »,  quinze suicides ! Le détecteur de mensonge commençait son lent travail de nettoyage…

9 décembre 2011

L’ange gardien

En contemplant Antoine - l’enseignant dont il avait la responsabilité -  l’ange se disait que le déni avait du bon. En tout cas, c’était tout ce qu’il avait trouvé d’efficace pour son protégé et il n’en était pas peu fier quand il en parlait au GPA  -  Groupe de Parole des Anges -  du dimanche soir.  Ces derniers temps, l’ange se posait souvent  sur l' épaule d'Antoine pour l’observer, mais celui-ci ne le sentait pas, il faut dire que l’ange ne pesait pas plus qu’une plume.

A coup de déni renouvelé, l’ange  évitait à Antoine d’ouvrir les yeux. S’il les avait ouverts, il aurait remarqué que la plupart de ses élèves  étaient plus "chiants" qu’ « attachiants », et que seuls quelques-uns  daignaient faire des « efforts », un mot prononcé  du bout des lèvres dans les salles de classe, de peur de choquer élèves et parents.

Grâce à  son ange gardien, Antoine survivait. Nulle envie de se jeter par la fenêtre, nul désir de s’immoler, nulle velléité de se bourrer de médicaments,  tout au plus quelques nuits d’insomnie et des somatisations fréquentes,  mais il ne savait pas pourquoi…

8 décembre 2011

Le cabinet de lecture

Le cabinet de lecture prenait tant d’importance qu’on ne savait plus où ranger le papier hygiénique, les affaires de toilettes et les produits d’entretien. Les livres aux oubliettes étaient placées sur l’étagère du haut. Quant aux livres  sur le pèse personne – qui ne pesait plus personne depuis longtemps -  ils faisaient partie de la catégorie « à lire absolument ! » et ils étaient dévorés, sans que nul ne se soucie jamais de « l’envie pressante » des uns et des autres…



7 décembre 2011

L’urne

Dans l’urne, il y avait les cendres de son père. L’incinération – qui avait eu lieu deux jours plus tôt -  l’avait fortement éprouvé : c’était sa première crémation. Il n’avait jamais été proche de son père, il passait d’ailleurs le plus clair de son temps à l’éviter ; ce n’était pas  par hasard qu’il avait choisi d’habiter  Nice alors que son père habitait  Lille. Quarante années d’exaspération silencieuse, de non-dits, quarante années de faux-semblants… et cette punition supplémentaire que son père lui infligeait : l’incinération. Sans parler de ce petit récipient qu’il avait eu la faiblesse -  la lâcheté ? - d’accepter, avec  ces cendres qui finissaient par lui donner le vertige...

C’est dans le taxi qui l’avait amené à l’aéroport de Roissy, que lui était venue l’idée d’abandonner son père. Pourquoi pas  les toilettes de l’aéroport ?  C’était le lieu le moins surveillé pour déposer un petit colis en ces temps de névrose sécuritaire. Ni vu, ni connu ! Il lui suffisait de laisser le récipient derrière les WC et de s’éclipser, personne ne se souviendrait de l’homme au complet noir. C’est donc ce qu’il fit une heure avant d’embarquer, l’esprit presque tranquille.

6 décembre 2011

La lettre au père Noël

Quand je suis arrivée dans sa chambre, il était assis à son bureau et écrivait avec application. Un moment rare… je lui ai demandé s’il écrivait une lettre.  Il m’a dit que oui, que c’était sa lettre au père Noël et que je ne devais pas le déranger. Quand j’ai voulu savoir s’il me la montrerait, il a fait non de la tête, en ajoutant que c’était secret, le tout avec un air mystérieux qui ne m’a pas plu du tout. Après son départ, je suis allée dans sa chambre. La lettre était toujours sur le bureau, pliée en deux. Après l’avoir dépliée, j’ai lu :

Cher Père Noël

Pour Noël, je veux une nouvelle maman,  mais je  sais pas si c’est possible. Je veux qu’elle soit belle,  gentille et  qu’elle arrête de me dire de ranger ma chambre tout le temps. Je sais que ça va pas être facile à trouver, mais cette année j’ai bien travaillé à l’école et tu peux être content de moi.

Nicolas

PS : T’es pas obligé de faire mourir mon ancienne maman, elle peut servir à un autre enfant qui en a pas.


La lettre était presque parfaite, étrange… je me demande si son père ne l’a pas aidé. Je me demande même si l’idée ne vient pas de lui !

3 décembre 2011

Confessions intimes

Il y a dix  ans, il s'était pris pour Johnny, cinq ans plutôt pour Cloclo et maintenant c'était Elvis. Pourtant, il n'avait de "King" que la taille, et encore, pas pour tout, se plaignait sa femme qui trouvait qu'Elvis lui volait  leur intimité.

Il s’habillait comme Elvis - mais son salaire de manutentionnaire était loin de couvrir  ses frais de représentation – marchait comme Elvis, chantait comme Elvis – dans un pidgin qui ressemblait à tout sauf de l’anglais – et  il avait décidé que sa fille s’appellerait Lisa, en hommage au chanteur. Sa femme, au bord de la crise de nerf, avait fini par lui dire.

-    Elvis y faisait 102 kilos le jour de sa mort, toi t’as pris de l’avance, et sans cortisone* encore ! Si tu continues comme ça, j’te dis qu’tu vas crever et y faudra pas t’plaindre !

Il lui répondit en braillant un « aillouaniouaillnidiou » qui la terrassa…

 

*texte écrit après avoir vu une « savoureuse » vidéo qui a disparu, mais vous avez toujours la bande annonce !

2 décembre 2011

La maison de retraite

A chaque fois qu’il allait voir sa mère en maison de retraite, cette même sensation d'écoeurement :  les odeurs d’urine se mêlaient aux odeurs de soupe et aux souvenirs qu’il n’avait toujours pas digérés.

Deux mois plus tôt, en montant le dernier étage qui le menait à la chambre 114, il avait  murmuré : « C’est la dernière fois que je viens te voir, mais tu ne sauras rien, tout comme je n’ai jamais rien su de mon père ».

Et il n’était pas retourné la voir, jusqu’à ce fameux coup de fil…

1 décembre 2011

L’homme au cartable

Tous les jours, même le dimanche, il se promenait avec son cartable rongé par le temps. Pourtant, il ne travaillait plus ; j’en étais sûre, parce que je l’avais déjà suivi plusieurs fois. Oui, parfois je suis les hommes, ceux que le temps a usés. J’aime m’émouvoir.

Avait-il été fonctionnaire des impôts ? Enseignant ? Agent d’une compagnie d’assurance ? Peut-être n’avait-il jamais travaillé ? Il avançait à pas précautionneux, s’arrêtait en pleine rue pour consulter le ciel ou bien il regardait la foule de l’air de celui qui ne comprend pas pourquoi le monde existe. Avait-il eu une mère ? On aurait pourtant dit qu’il n’était né de personne, qu’il était arrivé nu, par une rue déserte et que jamais personne ne l’avait habillé pour le protéger du froid et de la pluie. Il avait l’âge de ceux qui n’ont pas d’âge, ceux sur lesquels le temps patine jusqu’à ce qu’ils rentrent la tête dans leurs épaules pour ne jamais la ressortir…

27 novembre 2011

Les alexandrins

Elle faisait partie d’un atelier théâtre, un défi ; non pas à cause de son âge – elle avait 50 ans tout rond – mais à cause de sa difficulté à AR-TI-CU-LER. Quand elle avait demandé au professeur si elle pouvait dire des textes en alexandrins, celui-ci n’avait pas eu le courage de répondre par un simple non. Il s’en mordit les doigts. Pendant deux mois, tous les mardis soirs, elle déclama la même scène d’Iphigénie.

A la fin du deuxième mois, le professeur se fit porter pâle. Il ne supportait plus ces alexandrins passés à la moulinette de ses mâchoires paresseuses :


Je ne m'en défends point : mes pleurs, belle Eriphile,
Ne tiendront pas longtemps contre les soins d'Achille ;
Sa gloire, son amour, mon père, mon devoir,
Lui donnent sur mon âme un trop juste pouvoir.
Mais de lui−même ici que faut−il que je pense ?
Cet amant, pour me voir brûlant d'impatience,
Que les Grecs de ces bords ne pouvaient arracher,
Qu'un père de si loin m'ordonne de chercher,
S'empresse−t−il assez pour jouir d'une vue
Qu'avec tant de transports je croyais attendue ? (…)

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