Les alexandrins
Elle faisait partie d’un atelier théâtre, un défi ; non pas à cause de son âge – elle avait 50 ans tout rond – mais à cause de sa difficulté à AR-TI-CU-LER. Quand elle avait demandé au professeur si elle pouvait dire des textes en alexandrins, celui-ci n’avait pas eu le courage de répondre par un simple non. Il s’en mordit les doigts. Pendant deux mois, tous les mardis soirs, elle déclama la même scène d’Iphigénie.
A la fin du deuxième mois, le professeur se fit porter pâle. Il ne supportait plus ces alexandrins passés à la moulinette de ses mâchoires paresseuses :
Je ne m'en défends point : mes pleurs, belle Eriphile,
Ne tiendront pas longtemps contre les soins d'Achille ;
Sa gloire, son amour, mon père, mon devoir,
Lui donnent sur mon âme un trop juste pouvoir.
Mais de lui−même ici que faut−il que je pense ?
Cet amant, pour me voir brûlant d'impatience,
Que les Grecs de ces bords ne pouvaient arracher,
Qu'un père de si loin m'ordonne de chercher,
S'empresse−t−il assez pour jouir d'une vue
Qu'avec tant de transports je croyais attendue ? (…)