La rentrée
Dès que Martine l’a vue, elle s’est précipitée sur elle.
- Alors ? La rentrée ? Comment c’était ?
Isabelle savait parfaitement que si Martine lui posait cette question, avec cet air détaché, c’est que la rentrée, elle, elle ne la ferait plus jamais. Depuis juin, Martine était en retraite !
Isabelle a essayé de ne pas lui en vouloir et d’oublier qu’elle, elle ne serait peut-être jamais en retraite – elle a rapidement calculé de tête qu’ayant commencé à travailler à 28 ans, il lui faudrait accomplir 42 ans de service, que 42 plus 28, ça faisait 70, et que 70 ans, c’était l’âge où sa mère était morte !
Afin de ne pas donner à Martine de motifs de satisfaction supplémentaire, elle s’est essayée à l’enthousiasme.
- Je dois dire que je n’ai jamais connu une aussi bonne rentrée ! Je n’en reviens pas moi-même !
Son amie l’a regardée surprise, mais n’a pas fait de commentaires.
- Et toi ? a ajouté Isabelle - la retraite, à quoi ça ressemble ?
- Oh, je n’ai pas eu le temps d’y goûter vraiment. Je te dirai ça dans 1 an. Il faudra qu’on prenne un thé ensemble un de ces jours, quand tu auras le temps.
Quand tu auras le temps ! Martine faisait certainement exprès de lui retourner le couteau dans la plaie. Isabelle l’aurait volontiers étranglée. Mais soudain elle lui a dit, assez contente d’elle-même.
- Tiens, au fait, tu connais cette définition de la retraite ? La retraite, c’est comme les grandes vacances, sauf qu’à la fin, on meure.
Martine n’a pas ri. Décidément, même à la retraite, Martine n’avait aucun sens de l’ humour.
Isabelle a passé son après-midi à préparer des cours, à repasser le linge en retard, à nettoyer la cuisine et la salle de bains, à préparer le repas du soir et ensuite, elle a attendu sagement l’heure du dîner en se prenant un apéritif.
A la première gorgée de porto, son corps s’est réchauffé, et à la deuxième, il lui est revenu cette phrase de Stendhal qui ne la quitterait plus désormais : "Il faut secouer la vie, autrement elle nous ronge".
PS : texte écrit dans le cadre des « impromptus »