Ils se faisaient face dans le compartiment de deuxième classe qu’ils occupaient seuls. L’homme pencha légèrement sa tête vers la femme et lui dit.
- Je voudrais ne jamais quitter ce compartiment. - On se connaît à peine, protesta-t-elle. - J’ai l’impression de vous connaître depuis toujours.
Le soleil se couchait et on entendait, de temps à autre, des bruits de conversations dans le couloir. Elle lui avait déjà confié qu’elle ne pouvait pas rester longtemps avec un homme et qu’elle ne savait pas aimer…. Tant de choses en si peu de temps ! Il la dévorait de ses yeux gris et elle ne savait plus où poser son regard, il était si près.
- Il y a en vous quelque chose de... Donnez-moi votre main.
Il n’attendit pas sa réponse et la lui prit. Il la caressa d’une façon si étrange qu’elle finit par la lui abandonner totalement. Il lui chuchotait des mots tendres qu’elle connaissait trop bien. La nuit commençait à tomber, on ne distinguait plus le contour des choses, et le compartiment se laissait gagner par l'obscurité. Elle ferma un instant les yeux et sentit ses lèvres sur les siennes ; la sensation était délicieuse, mais soudain elle pensa à l’arrivée du train et à Charles qui l’attendrait. Elle avait encore trois heures devant elle, mais saurait-elle encore embrasser Charles si elle avait le goût de l’étranger sur la bouche ?
Le TGV s’apprête à démarrer, les
dernières personnes s’installent. Une jeune femme arrive, essoufflée et cherche
sa place, située deux rangs après la mienne. Elle fait le geste de saisir sa
petite valise pour la ranger au-dessus de sa tête et aussitôt, deux messieurs
volent à son secours. Remerciements de la belle et sourire satisfait de celui
qui a emporté la mise, à savoir être galant et se faire récompenser ! Il
faut avouer que la jeune femme est mignonne et répond aux critères de séduction
qui font qu’un homme peut y être sensible. Arrive une autre femme qui me faire
revivre la même scène que précédemment sauf que la personne qui tient le
premier rôle est sensiblement plus âgée. Là, aucun homme ne vient à son secours
alors qu’elle fait mine de soulever sa lourde valise. Elle évalue l’effort mais
finalement demande au plus proche représentant du sexe fort de l’aider. La
galanterie spontanée ne serait donc réservée qu’à de jeunes et belles
femmes ?
Lors d’une conférence donnée par
Benoîte Groulx (encore elle !) et dans les questions qui lui ont été
adressées, une a suscité les rires de la salle par sa réponse. A la
question : « comment sont les hommes autour de vous ? »
elle a répondu : « Inexistants car pour eux, je suis devenue
transparente. ».
Hélas, dois-je comprendre que mon
âge avançant, mon quotient attractif diminuera de telle sorte que plus aucun
regard masculin ne se posera sur ma petite personne ? Pourquoi un homme
aux tempes argentées, à la chevelure blanche reste-t-il séduisant et pourquoi
une femme aux mèches grises l’est-elle moins ? Pourquoi un homme mûr
peut-il convoler avec une femme de 20 voire 30 ans de moins que lui sans
provoquer quolibets et critiques qui seront le lot d’une femme épousant jeune
beau ?
Un doute m’assaille au moment où
j’écris ces lignes et je pars à la recherche des définitions* des mots séduire,
« détourner du bien, faire tomber en faute », attractif-ve « qui
attire » et galanterie « courtoisie que l’on témoigne aux
femmes ». Un homme galant peut aussi être « un homme redoutable pour
la vertu des femmes » mais il n’est pas précisé qu’une galante peut être
une femme redoutable pour la vertu des hommes…
Et pourquoi ne pas renverser les
rôles, changeons la donne…mais à notre façon ! On pourrait aller vers un
collègue et lui dire qu’il a de belles mains, que son petit ventre rond est un
oreiller où l’on poserait volontiers notre tête, que sa calvitie naissante est
attachante, tout comme ses kilos en trop, que nous aimerions bien lui faire le
coup de la panne, que….Mais je repars dans les stéréotypes alors que je voulais
proposer des choses différentes ? Caramba, difficile d’éviter les clichés
quand il s’agit des rapports hommes-femmes-séduction et il faut reconnaître que
j’aime les hommes galants et courtois. Pfff, je ne suis pas au bout de mon
questionnement !
- Tu te souviens quand tu as dit à la femme de Gérard qu’elle était mieux en photo qu’au naturel ? Tu as même ajouté que si elle ne t’avait pas dit que c’était elle sur la photo, tu ne l’aurais même pas reconnue ! - Moi ? J’ai dit ça ? Franchement, ça m'étonnerait, parce que les photos des autres, je les regarde jamais, ça ne m’intéresse pas !
« Je vous tuerai »*, c’est ce qu’avait hurlé Michel Riboux, son chef de service, quand il lui avait confessé qu’il couchait avec sa femme. Pourquoi lui avait-il tout raconté ? Il faut dire qu'il ne pouvait plus supporter sa prévenance – « Et vous prendrez bien un apéritif » par ci ou « Restez dîner avec nous, vous ferez plaisir à ma femme » par là… - tout ça lui donnait des bouffées de culpabilité. Il n’avait jamais supporté le mensonge ; une question d’éducation, sans doute.
Depuis qu’il était à l’hôpital, il refaisait chaque jour, en pensée, la course qui l’avait amené à sauter par-dessus le portail d'entrée des Riboux pour échapper à la fureur du mari trompé. Mais le portail était trop haut et son élan trop court. Résultat : le col du fémur cassé, la hanche déboîtée, trois dents de devant envolées, un contrat de travail qui ne serait pas renouvelé et une maîtresse qui l’ignorait...
* phrase extraite de « l’ours en peluche » de Simenon
Elle a eu 50 ans en 2007. Un demi-siècle d’existence lui avait fait
remarquer sa copine qui avait renchérit en disant que c’était le début de la
fin ! Et si au contraire, c’était le début d’une autre vie ?
En prévision de cet anniversaire, depuis deux ans, elle avait
consciencieusement mis de côté toutes les pièces de cinq francs qu’elle
trouvait dans son portemonnaie à la fin de la journée. Elle avait ainsi
accumulé un joli petit pactole qu’elle se destinait à dépenser pour cet
évènement majeur. Le tout était de savoir comment ? Son esprit avait vagabondé
dans toutes les directions et écarté toutes les idées trop conventionnelles,
connues ou trop usitées pour ne garder que celles qui lui semblaient
inabordables ou complètement folles. Finalement, un petit sourire aux lèvres,
elle avait su ce qui allait lui faire plaisir…
Elle avait commencé ses recherches et finit par trouver le chalet
de ses rêves, perdu au fond d’une vallée célèbre pour son fromage d’alpage,
l’Etivaz ! Le chalet était isolé en pleine nature, proche des montagnes
qu’elle appréciait et assez grand pour y accueillir ceux qu’elle aimait. En
début d’année, elle envoya ses invitations conviant ses amis, sa famille à
venir la rejoindre durant tout le mois de juillet dans ce havre de paix pour
passer du temps avec elle et rester un, deux, trois jours, une semaine voire le
temps qu’ils voulaient. Son but était de passer du temps, bavarder, refaire le
monde avec les personnes qui lui étaient chères, c’était ça son cadeau, c’était
ce qu’elle désirait. Chaque hôte n’avait que deux obligations : apporter
nourriture et boissons pour le séjour et laisser sa trace dans le livre
d’or !
En juillet 2007, le chalet fut
rempli de fous-rires, de convivialité et de tendresse. Des hommes et des femmes
qui ne se connaissaient pas et dont elle était le seule lien se découvrirent
des points communs qui en régalèrent plus d’un. Les spécialités culinaires, les
vins fins délièrent les langues et participèrent à la bonne ambiance commune.
Le chalet ne fut jamais vide même si la neige et la pluie furent présentes en
cet été pluvieux.
De cet anniversaire ne restent
que les souvenirs et les photos mais la mémoire a cela de bon qu’elle permet de
revivre partout les bons moments et dans le cœur et dans la tête. Avoir 50 ans
a été pour elle non pas le début de la fin comme prédit par l’amie en question
mais le début d’une nouvelle aventure se sachant entourée par des personnes
importantes, précieuses et aimées.
Quand le 31 juillet, elle rendit
les clés du chalet, elle sut qu’elle ne serait plus la même. Un mois de
tendresse, d’amour et de bonheur, cela laisse une trace…
Elle a 50 ans cette année. Un
demi-siècle d’existence lui fait remarquer sa copine qui renchérit en disant
que c’est le début de la fin ! Et si au contraire, c’était le début d’une
autre vie ?
En prévision de cet anniversaire,
depuis trois ans, elle avait consciencieusement mis de côté toutes les pièces
de deux euros qu’elle trouvait dans son portemonnaie à la fin de la journée.
Elle avait ainsi accumulé un joli petit pactole qu’elle se destinait à dépenser
pour cet évènement majeur. Le tout était de savoir comment ? Son esprit avait
vagabondé dans toutes les directions et écarté toutes les idées trop
conventionnelles, connues ou trop usitées pour ne garder que celles qui lui
semblaient inabordables ou complètement folles. Finalement, un petit sourire
aux lèvres, elle avait su ce qui allait lui faire plaisir…
Elle avait commencé ses
recherches et finit par trouver les coordonnées de l’homme convoité. Pas
difficile quand c’est un homme public donc connu. Elle devait passer par son
agent ? Pas de problèmes elle avait donc transmis sa proposition et
demandé une estimation des coûts de la soirée. Puis, elle avait choisi un hôtel
digne de les recevoir et avait attendu. Quand la lettre avec la réponse
positive et les conditions était arrivée, elle avait sauté de joie sur place
comme une gamine en battant des mains. Elle s’était confiée à sa meilleure amie
qui l’avait prise pour une cinglée mais l’avait quand même encouragée à vivre
sa folie, après tout, on n’a 50 ans qu’une fois dans sa vie !
Le jour clé arrive. Léonie se
présente à la réception du palace en début d’après-midi. Quand elle ouvre la
porte de la suite réservée, elle sent son cœur gonfler dans sa poitrine, de
peur et de plaisir. Elle s’installe, prend un bain moussant, se fait servir en
chambre un thé avec des scones, puis se rend chez l’esthéticienne pour un soin
du visage avant de passer chez la coiffeuse de l’hôtel. L’heure passant, elle
choisit une tenue simple car ce ne sera pas elle la vedette de la soirée mais
celui qu’elle attend. A huit heures pile, on frappe à la porte. Quand elle
ouvre, un sourire béat reçoit Michel Malou, chanteur français engagé à la voix
basse et profonde qui ne chantera ce soir que pour elle et elle seule. Son
cadeau pour ses 50 ans !
L’homme la salue d’une courbette
et lui baise la main. Il tient sa guitare sans étui et est vêtu comme à son
habitude, d’une chemise noire sur pantalon noir. Elle s’efface pour le laisser
entrer et lui propose un peu de champagne. Il refuse préférant partager un
verre a la fin de son récital. Il lui demande si elle a des préférences, elle
les lui dit et sitôt installé, il débute son tour de chant. Une heure de
bonheur total, une heure de voyages, de vérités, de poésie et de tendresse. Elle
vibre et se laisse guider dans un monde de chansons où elle s’imagine être la
muse de l’artiste…après tout elle peut bien rêver ? Le dernier accord joué,
elle reste immobile, la tête pleine de mots, d’impressions, de mélodies. Michel
Malou pose sa guitare et va se servir un verre puis il s’assied en face d’elle.
Il ne dit rien, il sirote son champagne et attend.
- Merci, c’était tout simplement
fantastique.
Elle regarde son verre et
propose.
- Je sais que ce n’est pas prévu par
le contrat, mais j’aurais grand plaisir à vous inviter à manger ?
Il accepte volontiers, elle
saisit le téléphone et passe commande pour un service en chambre. La suite de
la soirée est parfaite, ils échangent sur des sujets divers, il raconte son
parcours de chanteur engagé contre la discrimination et les inégalités, ses
combats avec les mots et la musique, ses seules armes et elle commence à
comprendre pourquoi elle l’a choisi, lui et lui seul…Ils se quittent en se
faisant la bise, une amitié est en train de naître peut-être mais ce qui est
sûr c’est que, grâce à lui, elle a trouvé le but de son autre demi-siècle à
venir. Elle y avait déjà pensé mais sa timidité l’avait retenue, ses peurs
également.
Le lendemain matin, la porte qui
se referme sur sa suite est le symbole d’un passé qui se termine et d’un avenir
ouvert, elle ne sait pas encore comment, ni où mais ce qu’elle sait c’est que
sa vie sera autre et si une peur tentera de la retenir, elle se dira: « Si
tu ne le fais pas à 50 ans, tu ne le feras jamais, donc vas-y ! »
- Tiens, un nouvel achat ? Dit-elle en désignant ses chaussettes sur lesquelles elle lisait les mots " the last perfect man*" qui s'étalaient en lettres jaunes sur fond marron. - Oui, mais c’est pas une réussite ces chaussettes ; avec elles, j'ai froid ! - Normal, sourit-elle, elles ne sont pas faites pour toi ! Il ne répondit rien et fit semblant de s'absorber dans la lecture de son journal.
Début septembre, la famille a fêté les 80 ans d’une tante dans un restaurant plutôt chic de la banlieue parisienne. Le jeune homme – et patron du restaurant - qui nous servait était métis. Le repas avait été bien arrosé, les convives étaient joyeux, le vin – bu à petites doses, alcootest oblige – avait délié les langues, et les conversations allaient bon train.
A la fin du repas, des compliments sont faits au jeune patron à qui « on » demande d’où il est. Il répond : de Creuse. Manifestement cette réponse ne satisfait pas les personnes attablées : étant métis, il doit bien avoir une autre origine, une vraie ! Et devant l’insistance générale il répond : je suis des Seychelles, par ma mère. Soupir de soulagement dans l’auditoire.
Eh bien oui, quoi, on ne peut pas venir de Creuse – ou d’une autre région de France - si on est métis !
Mais comment s’intégrer, alors, si l’on n’a pas le droit de venir d’où l’on vient ?
Aujourd'hui je suis allé au supermarché et j'ai acheté un lot à ma femme. Elle a jamais aimé les lots, ma femme, surtout les gros lots, ça l'angoisse… Je lui ai pris quarante rouleaux de papier hygiénique, quarante pour le prix de 30, une affaire ! Pour être franc, c'est pas vraiment pour faire des économies que je lui ai acheté un gros lot, mais ça, il y a que vous qui le sachiez. Au moment où je vous écris, elle est à la cave et elle essaie de ranger les quarante rouleaux ; ça fait deux heures qu'elle est en bas, et moi, j'ai la paix…