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Presquevoix...

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7 décembre 2011

L’urne

Dans l’urne, il y avait les cendres de son père. L’incinération – qui avait eu lieu deux jours plus tôt -  l’avait fortement éprouvé : c’était sa première crémation. Il n’avait jamais été proche de son père, il passait d’ailleurs le plus clair de son temps à l’éviter ; ce n’était pas  par hasard qu’il avait choisi d’habiter  Nice alors que son père habitait  Lille. Quarante années d’exaspération silencieuse, de non-dits, quarante années de faux-semblants… et cette punition supplémentaire que son père lui infligeait : l’incinération. Sans parler de ce petit récipient qu’il avait eu la faiblesse -  la lâcheté ? - d’accepter, avec  ces cendres qui finissaient par lui donner le vertige...

C’est dans le taxi qui l’avait amené à l’aéroport de Roissy, que lui était venue l’idée d’abandonner son père. Pourquoi pas  les toilettes de l’aéroport ?  C’était le lieu le moins surveillé pour déposer un petit colis en ces temps de névrose sécuritaire. Ni vu, ni connu ! Il lui suffisait de laisser le récipient derrière les WC et de s’éclipser, personne ne se souviendrait de l’homme au complet noir. C’est donc ce qu’il fit une heure avant d’embarquer, l’esprit presque tranquille.

6 décembre 2011

La lettre au père Noël

Quand je suis arrivée dans sa chambre, il était assis à son bureau et écrivait avec application. Un moment rare… je lui ai demandé s’il écrivait une lettre.  Il m’a dit que oui, que c’était sa lettre au père Noël et que je ne devais pas le déranger. Quand j’ai voulu savoir s’il me la montrerait, il a fait non de la tête, en ajoutant que c’était secret, le tout avec un air mystérieux qui ne m’a pas plu du tout. Après son départ, je suis allée dans sa chambre. La lettre était toujours sur le bureau, pliée en deux. Après l’avoir dépliée, j’ai lu :

Cher Père Noël

Pour Noël, je veux une nouvelle maman,  mais je  sais pas si c’est possible. Je veux qu’elle soit belle,  gentille et  qu’elle arrête de me dire de ranger ma chambre tout le temps. Je sais que ça va pas être facile à trouver, mais cette année j’ai bien travaillé à l’école et tu peux être content de moi.

Nicolas

PS : T’es pas obligé de faire mourir mon ancienne maman, elle peut servir à un autre enfant qui en a pas.


La lettre était presque parfaite, étrange… je me demande si son père ne l’a pas aidé. Je me demande même si l’idée ne vient pas de lui !

5 décembre 2011

La propreté

Il avait l’obsession de la propreté. Ça avait d’abord commencé par les mains, qu’il lavait et relavait sans relâche, puis les aisselles et les pieds. Maintenant, ses ablutions en étaient arrivées à un point tel qu’il n’avait même plus le temps de sortir de chez lui…

4 décembre 2011

L’arbre

pagpastIl lui disait souvent « Je t’ai dans la peau », mais elle, dans sa peau, elle ne voyait qu’un arbre qui avait planté ses racines si profond que rien, ni personne, ne pouvait l’ébranler. Un jour, lassée de ses certitudes, elle l’avait menacé de trouver un autre arbre qui enlacerait son corps. Il l’avait laissée dire, comme souvent, mais ses branches avaient frémi ; elle ne s’était pas méfiée.

Le lendemain, les voisins virent son corps attaché au tilleul, près de l'allée qui menait à leur maison. Elle avait le visage collé contre le tronc et sur son pullover, on avait épinglé ce petit mot :  « Ton désir a été exaucé ! »

PS : « montage » de Patrick Cassagnes, réalisé à partir d’une photo de Pastelle. 

3 décembre 2011

Confessions intimes

Il y a dix  ans, il s'était pris pour Johnny, cinq ans plutôt pour Cloclo et maintenant c'était Elvis. Pourtant, il n'avait de "King" que la taille, et encore, pas pour tout, se plaignait sa femme qui trouvait qu'Elvis lui volait  leur intimité.

Il s’habillait comme Elvis - mais son salaire de manutentionnaire était loin de couvrir  ses frais de représentation – marchait comme Elvis, chantait comme Elvis – dans un pidgin qui ressemblait à tout sauf de l’anglais – et  il avait décidé que sa fille s’appellerait Lisa, en hommage au chanteur. Sa femme, au bord de la crise de nerf, avait fini par lui dire.

-    Elvis y faisait 102 kilos le jour de sa mort, toi t’as pris de l’avance, et sans cortisone* encore ! Si tu continues comme ça, j’te dis qu’tu vas crever et y faudra pas t’plaindre !

Il lui répondit en braillant un « aillouaniouaillnidiou » qui la terrassa…

 

*texte écrit après avoir vu une « savoureuse » vidéo qui a disparu, mais vous avez toujours la bande annonce !

2 décembre 2011

La maison de retraite

A chaque fois qu’il allait voir sa mère en maison de retraite, cette même sensation d'écoeurement :  les odeurs d’urine se mêlaient aux odeurs de soupe et aux souvenirs qu’il n’avait toujours pas digérés.

Deux mois plus tôt, en montant le dernier étage qui le menait à la chambre 114, il avait  murmuré : « C’est la dernière fois que je viens te voir, mais tu ne sauras rien, tout comme je n’ai jamais rien su de mon père ».

Et il n’était pas retourné la voir, jusqu’à ce fameux coup de fil…

1 décembre 2011

L’homme au cartable

Tous les jours, même le dimanche, il se promenait avec son cartable rongé par le temps. Pourtant, il ne travaillait plus ; j’en étais sûre, parce que je l’avais déjà suivi plusieurs fois. Oui, parfois je suis les hommes, ceux que le temps a usés. J’aime m’émouvoir.

Avait-il été fonctionnaire des impôts ? Enseignant ? Agent d’une compagnie d’assurance ? Peut-être n’avait-il jamais travaillé ? Il avançait à pas précautionneux, s’arrêtait en pleine rue pour consulter le ciel ou bien il regardait la foule de l’air de celui qui ne comprend pas pourquoi le monde existe. Avait-il eu une mère ? On aurait pourtant dit qu’il n’était né de personne, qu’il était arrivé nu, par une rue déserte et que jamais personne ne l’avait habillé pour le protéger du froid et de la pluie. Il avait l’âge de ceux qui n’ont pas d’âge, ceux sur lesquels le temps patine jusqu’à ce qu’ils rentrent la tête dans leurs épaules pour ne jamais la ressortir…

30 novembre 2011

Les cadeaux

Elle achetait toujours les cadeaux de Noël, même les siens. Elle les choisissait avec beaucoup de goût et chaque année, son mari était surpris de ce qu’il lui offrait. Elle pensa, amusée, qu’il serait encore plus surpris le 25 décembre prochain : il lui offrirait un voyage au Cap Vert, mais sans lui.

PS : merci à M. B. pour le lien. 

29 novembre 2011

Le feu

Elle a mis le feu et  depuis elle se sent mieux. Tout le monde doit être mort mais ils l’ont bien cherché.  Pourtant ce n’est pas faute de les avoir avertis :  un jour je vous tuerai ! Leur avait-elle dit plus d’une fois.

Ils ne l’ont pas crue. Les parents pensent toujours qu’ils sont les plus forts. Elle sourit d’un air satisfait, comme si elle leur avait fait une bonne blague, mais derrière elle il ne reste rien. Elle ne se doutait pas qu’elle y aurait pris autant de plaisir ; la petite allumette et hop ! Son seul regret c’est le chien. Tant pis, l’imbécile n’a pas voulu la suivre. Maintenant ses parents ne sont plus qu’un mauvais souvenir à qui les flammes ont réglé leur compte.

Elle marche dans la forêt, les branches griffent son visage mais elle s’en fiche, elle est libre, libre, libre comme l’air. D’une main, elle tient le sac qu’elle a pris soin de  cacher au fond du jardin, la veille, et de l’autre, elle vérifie de temps à autre que son cher journal est toujours dans la poche droite de sa veste. Sur la première page elle a écrit il y a longtemps : « Un jour, je les tuerai. »

C’est fait, maintenant elle va enfin pouvoir continuer le journal de sa vie.

28 novembre 2011

L’erreur

Il avait traversé le miroir au mois de mai, sans  laisser de traces. Sa mère avait retrouvé le produit à vitres au pied du mur où le miroir était accroché. Avant de s’éclipser, son fils avait laissé une petite carte scotchée sur la bordure dorée. Elle avait lu :  


                              «  Je pars. Rien ne pourra jamais effacer l’erreur. »

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