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Presquevoix...

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6 janvier 2012

Seine de Crime

Le Tiers livre et Scriptopolis  sont à l’initiative d’un projet de vases communicants : le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. La liste complète des participants se trouve ici  grâce à Brigitte Célérier.

Aujourd'hui, l’échange a lieu entre D. Hasselmann, du blog Le Tourne-à-gauche, dont le texte se trouve ci-dessous, et moi-même, invitée sur son blog.

                                                           _____________

 

Seine de crime

Lorsqu’elle se promenait à Paris, elle préférait regarder la Seine de haut plutôt que de longer le fleuve sur les berges. Depuis les ponts qu’elle parcourait – leur liste exhaustive figurait sans son petit calepin de cuir marron – elle sentait l’eau lui couler comme entre les jambes. De temps en temps un bateau de touristes laissait un sillage en V sur la surface verte pendant son passage ou lorsqu’il effectuait un demi-tour.

Elle n’habitait pas depuis longtemps dans la capitale et la perspective de la découverte de certains lieux mythiques, comme le pont Mirabeau, la rendait heureuse par procuration.

Un jour, alors qu’elle était penchée sur un parapet et qu’elle réfléchissait à l’attrait de l’eau qui appelle ou non au saut dans le vide (elle pensait aussi à Ghérasim Luca), quelqu’un l’aborda avec douceur.

– C’est beau…
– Je trouve aussi.
– Imagine-t-on Paris sans la Seine ?
– Impossible ! A la limite, l’Arc de triomphe me manquerait moins…
– La Seine est vivante, l’Arc de triomphe, c’est pour les morts.
– Mais ils ont quand même le droit de vivre, si j’ose dire, il faut les garder en mémoire.
– Vous connaissez leurs noms ?
– Sûrement pas, mais c’est une sorte de monument abstrait qui célèbre l’Histoire.
– Mais pourquoi toujours la ressasser ?
– Elle fait partie de nous, vous ne pensez pas ?
– Je m’en fiche, je préfère le présent.
– Il se nourrit du passé et de l’avenir, vous ne pouvez le couper ainsi…
– Faut-il se farcir la tête avec toutes ces guerres, ces génocides, ces héros ? La vie au jour le jour est suffisamment encombrante !
– J’ai froid, offrez-moi un thé brûlant.
– D’accord, de l’autre côté du pont, vous voyez, là-bas, Le Soleil d’or…

Ils ont quitté leur point de vue : une péniche chargée de sable à ras bord se faufilait sous eux, elle s’appelait Le Pourquoi pas ? et sa vitesse relative semblait vouloir prouver la justesse de la question. Le ciel charriait des nuages noirs en forme de bibendum.

Dans le café, le serveur exécutait son boulot machinalement, et prenait les commandes d’un air las. Ils avaient choisi deux thés Lipton, mais lui, il n’avait pas osé commander une bière brune, il se donnait ainsi l’impression d’être au diapason de cette jeune femme apparemment peu farouche.

La conversation languissait et devenait banale : et vous, vous venez d’où, vous faites quoi dans la vie, je bosse dans une banque, c’est du travail, moi j’écris de temps en temps, oui, plutôt des polars, sous un pseudonyme car autrement je travaille dans une librairie mais l’avenir n’est pas brillant, c’est drôle que vous habitiez près du pont de Bir-Hakeim, j’y suis passé l’autre fois mais cela fait tellement décor publicitaire maintenant, après le dernier tango, ah non, je ne crois pas, l’architecture est restée intacte, je me demande s’il est classé monument historique.
Elle se leva, il aperçut ses genoux ronds comme des galets à la Ponge.

– Vous savez, je vais devoir vous laisser, il faut que j’y aille !
– Où ça ?
– Chez moi, tiens ! Ma fille m’attend, elle a dû rentrer du lycée.
– Vous êtes mariée ?
– Divorcée mais pas envie de recommencer quelque chose…
– Ecoutez, je peux vous raccompagner ?
– Non, je repars toute seule en métro, je suis pressée.
– OK, je paie et vous laisse, mais donnez-moi votre numéro de téléphone.
– Non, cela ne servirait à rien. C’était une brève rencontre et belle à cause de cela : j’en garde déjà le souvenir.
– Alors, au revoir.

Chacun part de son côté, les directions présentent des sens opposés, la station de métro ne se trouve pas très loin, avec sa fontaine et sa tête de Gibert jaune (le soir est tombé) accrochée en haut d’un immeuble. En marchant, elle pense que ce type était vraiment quelconque, elle n’aime pas les banquiers, ils manquent de poésie, c’est comme s’ils se trimballaient toujours avec une grosse liasse de billets dans la poche.

Elle sort le petit calepin en cuir marron et écrit, avec son stylo Bic bleu : « Accostée à 18 heures sur le pont Saint-Michel par un raseur. Il m’a payé un thé, je ne lui ai laissé aucun espoir. La prochaine fois, envie de balancer ce genre de type à la baille, si pas trop lourd. Prévoir d’emporter mon 6.35, au cas où. Peut-être une idée pour La Série Noire ? Le titre : Seine de crime. »


En cas de noyade_DH
( Cliquez sur la photo pour l’agrandir )

 

Texte et photo : Dominique Hasselmann


5 janvier 2012

Le sapin de Noël

Dans cette ville paisible, connue autant pour  la qualité de son air  que pour celle de ses vins, on se préparait à un Noël joyeux, comme tous les ans. La ville clignotait de mille feux,  les sapins étaient installés dans les  living room et les « gingle bell » résonnaient dans toute les rues.  Les Weston, tout comme leurs voisins,  s'apprêtaient à fêter Noël avec un certain faste malgré la crise. Huit personnes étaient prévues à table, en comptant les deux enfants. M. Weston ferait le Père Noël, comme chaque année, et comme chaque année,  son costume prenait une taille supplémentaire ;  l’obésité faisait des ravages.

Ce mercredi 25 décembre, la dinde était au four, les enfants jouaient, la télévision crachait ses pubs et  les invités commençaient à s’installer à table, placés par Mme Weston. Quant à  M. Weston, il essayait d’enfiler son costume de Père Noël qui résistait à ses assauts ;  il aurait dû prendre la taille au-dessus, mais il avait ses pudeurs. Quand il a eu fini d’attacher le dernier bouton, son visage était  cramoisi. Juste après - allez savoir pour quelle raison - il ouvrit l’armoire, prit l’arme qui y était rangée depuis son retour de la gueure d’Irak et il descendit les escaliers comme un fou.

Deux heures plus tard, on découvrait neuf cadavres au pied du sapin qui clignotait de façon compulsive.

PS : texte inspiré par un fait divers lu dans le parisien

4 janvier 2012

La publicité

On lui avait soi-disant proposé de tourner dans  une pub pour un  parfum. Sa femme en avait été étonnée.

-   Toi ? Dans une pub de parfum ? A 60 ans ? Tu me racontes des histoires.

-    Mais si, je t’assure, avait-il répondu avec force moulinets pour rendre la chose plausible.  Le parfum s’appelle « Titanic ». Titanic,  le parfum qui vous fait chavirer !

3 janvier 2012

Mains et ficelle ( caro-carito)

Aujourd’hui, Caro-carito, du blog « les heures de coton », est l’invitée de Presquevoix. Nous avons fait consignes communes. Quant à mon texte, il se trouve sur son blog.

Entre le cabaret érotique et cette citation de Antonio Tabucchi dans Nocturne indien - « Il m’a longtemps cherché et maintenant qu’il m’a trouvé, il n’a plus envie de me trouver » - essayons-nous à une version du jeu…

 

Mains et ficelle de Caro-Carito


Je remonte mes lunettes. En écaille. Le gars, l’homme - je l’appellerai M. X - a le discours facile. Je hoche la tête, mes cheveux lisses glissent, je replace ma barrette. Je l’écoute, je ne dis rien, je le mets mal à l’aise. Bien.
« J’ai beaucoup aimé les apparitions de Mlle Dora. » Il enclenche : Dora, sa coiffure à la garçonne. Dora, ses courbes, sa moue, sa frimousse, ses coquetteries, ce si petit grain de beauté là près des lèvres et aussi dans le creux de rein, comme tatoué exprès. M. X s’excite et s’anime tout à trac en parlant du jeu des ficelles et des mains. Je ris sous cape.

C’était bien trouvé comme numéro, le jeu des ficelles et des mains pour le cabaret. Une Dora, couchée au milieu de la petite scène, toute en résille, qui croise et décroise ses longues jambes et laisse deviner sur un écran opalescent ce que ses mains tricotent avec un long bout de cordelette : une Tour Eiffel pour touristes, le Pont des Arts, un lapin mutin qui se cache, un long crescendo de formes changeantes jusqu’à une bouche osée qui se ballade sur son corps. Et, à l’instant final, laisser le spectateur deviner, alors que Dora tire sur une des ficelles de son costume tissé de mailles lâches, si celui-ci va se défaire là, la dévoilant plus nue qu’une Ève. Mais vous êtes au spectacle ! La lumière s’éteindra immanquable sur un string ficelle aussi grand qu’un confetti.

Je ris aussi parce que Dora, c’est moi ! Un de mes multiples avatars de comédienne, celui le plus roué, officiant au Burlesque Babylone. Un autre moi est assis à cet instant, en tailleur sombre et col roulé, à la table d’une brasserie chic. Mlle Séverine Martin.  Comme souvent Mlle Martin joue l’interface devant un M. X et ou un sous-fifre d’une boîte de prod, à l’affut d’une possible rentrée d’argent.

M. X ne m’a pas reconnue. Les M. X ne me reconnaissent pas ; ils sont obnubilés par mes cuisses, mes fesses et l’un de mes grains de beauté. Cependant, celui-ci est un cran au-dessus, il a su citer trois de mes apparitions et une réplique. M. X voudrait que je recommande l’offre de son Cabaret Érotique sis à Toulouse, à ma « cliente ». Les similis-bordels haut de gamme de province, non merci Monsieur. Je lui décoche un tranquille sourire en guise de dérobade.

Ce M. X-là,malgré son costume Boss et sa chemise immaculée, garde sur sa peau et au coin de son sourire, une odeur de mec qui attire les femmes. Une fragrance imperceptible qui se repère chez presque tous les hommes. J’ai dit presque ? Oups, mea culpa, tous les hommes. Je le laisse aligner ses euros et ses paillettes. Il est toujours palpitant d’admirer un rôle de composition. Je repose ma tasse de café. J’étouffe un bâillement. Les répétitions de l’adaptation du Tunnel de Sabato m’épuisent. On est mercredi, le Burlesque n’ouvre qu’en fin de semaine et je suis déjà claquée. Actrice sans visage, sans nom et sans rôle fixe, rien n’est facile.

La conversation touche à sa fin. M. X paye obligeamment l’addition. Au moment où je me lève, je vois dans son regard qu’il comprend sans comprendre. Un geste a dû m’échapper, ma façon de décroiser mes jambes, de tirer sur ma jupe, de me pencher peut-être pour attraper mon sac. Il se tient là, indécis. Une Dora contre une Séverine Martin, amour versus désir, l’illusion dans l’ombre ou simplement une ombre. Une poignée de main. Je le laisse, sachant que son regard soupèse chacun de mes pas, sans parvenir à saisir les raisons de son trouble soudain.

Je ne m’attarde pas et m’engouffre dans une station de métro, laissant M. X dans le flou. Pour lui, pour quiconque je ne serai jamais celle qu’ils cherchent. Ni moi, ni Séverine, ni Dora, ni une autre, ni personne.



2 janvier 2012

Les mots

Les mots ampoulés lui tenaient lieu de pensée. Il les prononçait en gardant chaque syllabe longuement en bouche. Le dernier mot dont il se gargarisait était "amphigourique",  l'avant-dernier anosognosie.  

PS ( à ne pas mettre entre toutes les mains ) : à propos d'amhigourique, un article de Libé qui peut vous intéresser : "Sarkozy ne parle pas mal, il refuse le style amphigourique".

1 janvier 2012

De bonnes raisons pour écrire...

« Le crayon et la plume nous défendent bien mieux que l’activisme, la vengeance, l’isolement ou la régression. L’écriture rassemble en une seule activité le maximum de mécanismes de défense : l’intellectualisation, la rêverie, la rationalisation et la sublimation. »

« Deuil et créativité sont liés puisque celui qui a perdu est contraint à se représenter ce qu’il ne perçoit plus. »

Boris Cyrulnik, un merveilleux malheur.

"J'écris pour rassembler ce qui est épars en moi. Peut-être aussi pour me donner une apparente cohérence."

Olivier Targowla. Pour lire une critique de son dernier livre, c’est ici.

31 décembre 2011

La voix de la SNCF

Hier, je suis allée à Pôle emploi pour mon  rendez-vous mensuel et j'ai dit à l'employée qui s'occupe de mon dossier : Je voudrais être la voix de la SNCF.

La fille m'a regardée les yeux ronds, comme si elle n'avait pas compris, alors j'ai répété ma requête en ajoutant.

- C'est tout ce que je sais faire.

Elle m'a répondu, comme effrayée,  qu'effectivement j'avais une belle voix, mais que ce serait difficile. Il me faudrait peut-être orienter mes recherches vers autre chose.

Je l'ai remerciée et elle m'a souri poliment. Elle a ajouté qu'elle enregistrait ma demande et que si quelque chose se présentait, elle penserait immédiatement à moi. Ensuite, elle n'a pas manqué de me souhaiter une  Bonne et heureuse année ! 

J'en suis sortie de fort bonne humeur. Je trouve que depuis que les gens débarquent avec des "flingues" à Pôle emploi, le personnel est beaucoup plus poli…

30 décembre 2011

Les parents

Les parents en étaient arrivés à la conclusion que l’enseignant était  nul  -  aucune pédagogie, aucune autorité ! – et ils avaient séquestré la directrice et la secrétaire pour obtenir gain de cause. Ils avaient gagné,  l’enseignant avait été muté et le remplaçant était arrivé une semaine plus tard. Jeune, comme le premier. Visiblement un stagiaire, chuchotaient déjà les parents. Il avait pris ses fonctions tant bien que mal dans cette classe agitée par les remous de l’affaire précédente. Deux semaines plus tard, le couperet tombait à nouveau :  le remplaçant était nul, lui aussi, et il ne méritait qu’une seule chose : la porte !  Les parents séquestrèrent à nouveau la directrice et la secrétaire. Mais cette fois-ci, le rectorat fit la sourde oreille. Ils décidèrent alors de libérer les otages à condition de faire cours eux-mêmes…

PS : Texte inspiré par cet article

29 décembre 2011

L'uniforme

Quand elle lui avait demandé de se déguiser en officier de la wehrmarcht, il avait hésité, mais devant son insistance, il avait fini par acquiescer. Et tous les samedi soirs,  il paradait en uniforme dans leur chambre en baragouinant quelques bribes d'allemand qu'il perfectionnait au fil des mois  grâce à une méthode  achetée pour son anniversaire.
Après trois petits tours de chambre au son d'une marche militaire, elle le déshabillait lentement et chaque bouton enlevé était un nouvel échelon gravi sur l'échelle du désir. Seul bémol, ce Heili heilo qu'elle mettait en boucle pour arriver au septième ciel…

28 décembre 2011

Les rideaux

En voyant   la façon dont les rideaux étaient tirés, elle se doutait qu'il se passait quelque chose de louche chez les Plumeau. Elle ne fut donc pas étonnée d’apprendre que M. Plumeau organisait chez lui, en l’absence de sa femme,  des parties de poker qui se terminaient toujours de la plus étrange façon ! Elle le savait grâce à la femme du docteur, c’est elle qui lui avait dit qu’Aurélie, la petite vendeuse de la boulangerie, avait été vue sortant de chez Plumeau le 27 au soir alors que sa femme était à l’hôpital.
Pauvre Mme Plumeau, elle l’aurait presque plainte, mais il lui fallait reconnaître que c’était une garce et qu'elle n'avait que ce qu'elle méritait…

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