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Presquevoix...
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31 mars 2017

le miroir

20151128_155806Il avait constaté qu’à chaque fois qu’il se regardait dans un miroir, ceux-ci basculaient. Etait-ce de  l’empathie, du désespoir où le le fruit du hasard ?

Il est de mon devoir de narratrice de tirer un trait sur le hasard ; pour lui, le hasard n’existait pas. Dans son monde tout s’expliquait,  au risque d’une hyper-subjectivité, associée d’ailleurs à une hyper-mnésie qui lui fermait la porte du présent.

Sa devise se résumait à : Pour ne pas perdre ses illusions, en avoir le moins possible. Il voyageait donc chargé de deux besaces : l'une, celle de ses illusions, était presque vide ; l'autre, celle de ses souvenirs, était si lourde qu’elle manquait de le faire trébucher à chaque pas.

Sans doute les miroirs reflétaient-ils ce déséquilibre…

 

 

*photo prise dans le local d’une association

29 mars 2017

Le présentoir

Il y a une semaine, une élève m’a demandé – discrètement, cela s’entend  – si je n’avais pas une serviette hygiénique. J’ai pris ça pour un compliment, vu mon âge …

Je crois que je vais finir par installer un présentoir au fond de la salle de classe avec mouchoirs – demande numéro 1 – comprimés pour lutter contre les maux de tête - demande numéro 2 – gâteaux – demande numéro 3 – et serviettes hygiéniques – demande numéro 4 – ; le tout gratuit, il va sans dire !

 

27 mars 2017

la statue

Depuis que le maire – FN - de cette commune de 7000 habitants avait fait dresser un Christ de 36 mètres de haut dans la ville, le chômage avait disparu. Fort de cette expérience, il pensait faire ériger une statue de Jeanne D’Arc, de la même hauteur ; qui sait si celle-ci ne bouterait pas les immigrés hors de France ? Sa femme - hostile au FN - lui avait dit, provocatrice : et quand il n’y aura plus d’immigrés ? Qui fera le sale boulot ?

25 mars 2017

La culbute

20170205_095027Elle lui avait demandé s’il voulait s’envoyer en l’air. Pourquoi pas ? Avait-il répondu ; et ils avaient opéré une petite culbute. Hélas,  le retour à l’équilibre s’était avéré impossible…

 

 

 

PS : photo prise à Mont Saint Aignan

 

23 mars 2017

la maison de retraite

Il avait fait une fausse route mais les deux dames qui partageaient sa table continuèrent à mastiquer gentiment comme si de rien n'était. Ni ses yeux exorbités, ni son visage cramoisi, ni la langue démesurée qu’il tirait, comme à la recherche d’une aide extérieure, ne les alertèrent ; elles continuaient à mâcher leurs morceaux de poulet. C’est un homme de la table voisine qui alerta l’infirmière en criant.

Ce soir-là, deux pensionnaires de la maison de retraite "Au bon repos" moururent : l’un d’une fausse route, l’autre d’une crise cardiaque.

 

21 mars 2017

Double 6

20161103_115014Si tu fais double 6, tu peux m’embrasser, avait-elle dit surprise de sa témérité. Il lui avait aussitôt répondu qu'il n'en avait pas envie.

-          Ah bon ? Je croyais pourtant…

-          Tu croyais mal. Je n’aime pas les filles.

Elle essuya une larme. Comment avait-elle pu se tromper à ce point ? Ne ressentait-il  rien pour elle ?

-          Bon, eh bien changeons la règle, si tu fais double 6, tu pourras aller retrouver qui tu veux.

-          Tu n’as rien compris.

L’inconvénient avec lui, c’est qu’il gardait toutes ses émotions enfermées dans un coffre dont  il avait perdu la clef.

Pour faire diversion, elle changea de point de vue.

-          Bon, si je fais double six, je te dirai ce que je pense de toi !

Il resta muet et la laissa jouer…

 

PS : photo prise dans le parc du lycée que les "plasticiens" émaillent de leurs oeuvres.

19 mars 2017

C’est pas ma faute

Il n’arrêtait pas de dire  « c’est pas ma faute » et parfois il ajoutait même, comme un pied de nez : « c’est la faute des autres ».  Elle lui aurait volontiers fait avaler tous ses chapelets d’excuses jusqu’à ce qu’il s’étouffe ; mais peut-on tuer son beau-fils ?

17 mars 2017

Chiante ?

Hier, dans le couloir, une élève montrait son tee-shirt à sa copine. Voyant que je l’observais, elle m’a dit :

-          J’ai un tee-shirt qui va vous plaire madame, j’en suis sûre.

-          Montrez-le moi.

Elle a ouvert sa veste et j’ai eu la surprise de lire l’inscription « Je suis very chiante ».  Je n’ai pu m’empêcher  de rire et d’ajouter : « Ah bon, vous êtes comme ça, vraiment ? »

Elle m’a répondu.

-          J’assume madame.

-          C’est bien d’assumer, mais vous pourriez aussi assumer  un comportement à l'opposé ?

-          Je peux pas, m’a-t-elle assuré avec un grand sourire.

La sonnerie a retenti et nous sommes entrés dans la salle. Le cours s’est déroulé normalement  – pour une fois -  sans aucune remarque intempestive de sa part. Dire qu’on est « chiante » suffirait-il à éviter de l’être ?

 

 

15 mars 2017

Duo de mars

Duo de mars avec Caro.  Cette fois-ci, notre inducteur est une chanson de Serge Lama  - " Et puis on s'aperçoit " - à la mélancolie profonde...
Aujourd'hui vous pouvez lire mon texte.

 

 

La décision

 

Elle l’avait rencontré lors d’une foire à tout. Il s’était arrêté à son stand pour lui acheter des livres et elle lui avait chaudement conseillé l’aveuglement de José Saramago. Etait-ce prémonitoire ?

Ils s’étaient échangés leurs numéros de portable et s’étaient revus une dizaine de fois. Un amour naissait, peut-être. A leur dernière rencontre, il lui avait tendu un CD :  Je te conseille «  Et puis on s’aperçoit », c'est ma chanson fétiche.

Le soir même, allongée sur son canapé, elle écoutait Serge Lama. Sombre, très sombre. A vrai dire, elle n’en était pas surprise. Ce longiligne garçon de 40 ans à la silhouette noire traînait un air de vieil adolescent blasé et, à son énigmatique sourire de Joconde, elle comprenait que la mélancolie avait creusé chez lui un puits sans fond.

Cette chanson lui donna une irrésistible envie de pleurer. Après avoir sangloté tout son saoul, elle lui envoya le mail suivant : Paul, j’ai bien réfléchi. Il vaut mieux qu’on se quitte avant de se connaître. Pour moi, la vie c’est plutôt « Y’a d’la joie » que « Noir, c’est noir ». Je crois que tu  finiras par me haïr à force de me voir rire. Je te renverrai ton CD par la poste. N’essaie pas de me revoir. Sans rancune j’espère. Julia. 

Quatre ans passèrent, quatre ans de grandes et de petites joies, de pleurs aussi – parfois - jusqu’à ce fatidique 14 mars 2017.

Elle feuilletait un livre au rayon littérature française dans la librairie Compagnie quand un homme l’aborda.

-          Marie ?

Elle se retourna et manifesta bruyamment sa surprise.

-          Paul ? C’est toi ?

-          En chair et en os. Plus de chair qu’avant, d’ailleurs, tu ne trouves pas ?

-          C’est vrai. Un magicien est passé par là ?

-          Si on veut.

-          Qu'est-ce que tu deviens ?

-          Je dois te dire qu’il y a 4 ans, ta lettre m’a donné un coup de fouet. Je t’en ai vraiment voulu tu sais.

-          A ce point ?

-          Bien sûr, pour moi tu n’étais pas qu’une petite bulle de champagne.

Elle sourit et lui proposa de prendre un verre au café Cluny.

-          Va pour le verre. Seulement, cette fois,  risque zéro, je me garderai bien de te faire écouter ma chanson préférée !

Marie remarqua que Paul riait, il était beau quand son visage s'illuminait. C’était bien la première fois qu’elle l’entendait rire…

 

 

 

 

 

 

13 mars 2017

duo de mars

Duo de mars avec Caro.  Cette fois-ci, notre inducteur est une chanson de Serge Lama  - " Et puis on s'aperçoit " - à la mélancolie profonde...
Aujourd'hui vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera publié le 15 mars.

 

 

Le beau Serge

« Whaaaaat ? Je rêve ! Serge Lama. Tu kiffes la chanson française toi ? ! » Un regard vers la paire de docs sagement rangée dans l’entrée et un autre plus appuyé sur mes piercings.

« Serge Lama, c’est comme la politique, mon opinion personnelle, je la garde pour moi. » Sur ce, je lui jette un coussin qu’il esquive difficilement ; il n’en peut plus de rire et évite à grand peine le suivant. Au bout d’un quart d’heure, échevelés et rouges, un coup d’œil à nos montres nous rappelle qu’on est bien parti pour rater notre séance de ciné.

Finalement on arrive juste à la fin des bandes annonces pour découvrir le dernier film expérimental que tout le monde dit avoir vu. Perso ça m’étonnerait, parce qu’à part lui et moi et une meuf étrange au premier rang, il n’y a personne pour visionner Mysterious object at noon.

Après, comme d’hab, on va descendre une pression Au petit fer à cheval. Il commence par m’épeler le nom du réalisateur. « Apichatpong Weerasethakul, franchement easy non ? Pas aussi simpliste que Serge Lama, j’avoue. » Heureusement il ne se met pas à rire comme un taré, sa barbe de hipster aurait pris un shampoing à la pils.

Je bois mon demi sans dire un mot ; c’est fou ce que le silence semble grossier dans un bar où l’on n’entend que le bruit des verres, les corps qui se lèvent et s’assoient, les conversations qui se superposent. Je finis par le fixer. « Tu aimes bien ma mère, Charlie. Alors évite de lui dire ce genre de connerie quand on ira la voir la semaine prochaine ; tu la blesserais à mort. Elle m’a biberonnée à Serge Lama. Parfois elle optait pour un Becaud, un Sardou, plus rarement Aznavour ou Ferrat. Mais toujours on y revenait, le beau Serge, ses p’tites femmes de Pigalle, son terrific je suis malade et toute la collection de vinyles. »

J’avale une grande goulée de ma deuxième pression : « Ma mère écoutait cette chanson en boucle et à 16 ans j’ai commencé me demander si la famille entière n’allait pas finir névrosée ou à l’asile. Je me sentais paumée d’entendre dans ces phrases tout ce que je ressentais. » A la façon dont Charlie me regarde, à l’heure qu’il est je pourrais raconter n’importe quelle débilité, il la goberait. Sauf que non, je vais la jouer réglo.

« Un jour, je lui ai demandé, pourquoi tu écoutes toujours ce mec et pourquoi toujours cette même chanson. Ma mère m’a répondu qu’elle était heureuse et que ce texte lui rappelait que la vie était absurde, que la solitude ça faisait partie du lot gagné à la naissance. Il y avait deux choix, regimber, elle me disait, ou accepter. Elle avait choisi la solution 2. C’est là qu’elle ajoutait, et c’est pas le tout de décider tout à trac, ma fille. Il faut remettre ça le lendemain, encore, et puis encore. Alors cette chanson, parce qu’elle est triste et vraie, elle m’aide à coller à la vie et me sentir bien, en phase avec ce qui reste beau du monde, même si ça paraît stupide. L’absurdité, faut faire avec, c’est mieux que vouloir s’y fracasser la tête. »

Il restait dans mon verre un fond de bière d’un doré pâle semblable à mon enfance. « C’est parce qu’avec le beau Serge, comme elle l’appelait, elle a su être une femme, une mère, une personne étonnante. Le renier, tu vois, ce serait comme cracher sur elle. Jamais ! »

J’ai dû appuyer un peu trop fort sur les dernières syllabes car il m’a examinée longuement. Il pouvait se montrer tellement obtus, Charlie, limite intolérant. Qui me disait qu’il n’allait pas se barrer. A ce moment j’ai bu la bière qui me restait en pensant à mother et aux paroles « et puis... on s’aperçoit que d'être deux, ça sert à rien, et puis... on s’aperçoit que d'être seul, ça sert à rien. ».

J’ai relevé la tête et il a souri, j’aime bien ça, ça lui donne un air de bonheur que l’on voudrait garder pour soi. « Tu crois qu’on peut kicker* ce vieux morceau ; ça doit donner un truc de dingue ! » J’aurais pu le crever pour ça, parce que le rap, pouah, dès qu’il en passe je me branche sur mes écouteurs. Il peut être vraiment grave, Charlie. N’empêche, il me plaît grave bien.

* http://nguemandong.over-blog.com/article-le-rap-de-a-a-z-par-nguema-ndong-116662450.html

Le pain perdu 05/03/2017

 

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