Je pense que ma tâche va être longue et ardue, mais j’ai à cœur de trouver un éditeur qui acceptera de publier le manuscrit qui contient, entre autres, une quinzaine de lettres - parmi tant d'autres - que mon père a écrites à l’EHPAD Korian où il est décédé en aout 2024. Il les a envoyées à la directrice de l’EHPAD, au chef cuisinier, à la cadre de santé, au médecin coordonnateur ou à l’ARS ( Agence Régionale de Santé). Il évoque, souvent avec ironie, les problèmes vécus au quotidien. Ces lettres sont la preuve évidente qu’on se fout des vieux dans notre civilisation « libérale » avancée ! En voici un exemple :
Lettre à Monsieur J B, Chef cuisinier, pour son départ.
Monsieur
Dans la plupart des entreprises et administrations, au moment du départ d’un collaborateur apprécié, il est de coutume d’organiser un pot en son honneur (…) Faute de cette sympathique réunion - et je me demande bien pourquoi elle n’a pas eu lieu - je crois de mon devoir de vous livrer par écrit mes vifs compliments afin qu’il en reste trace.
Au grand soulagement de bon nombre de résidents encore en mesure de donner un avis, vous allez quitter, dans deux jours, cet établissement où, durant plusieurs années vous avez œuvré, mais œuvrer est-il le mot qui convient ?
En effet, qui regrettera vos haricots, petit-pois et lentilles fort mal cuits, parfois même jusqu’à vos pommes de terre insuffisamment cuites ? Qui regrettera vos fruits de saison, hélas très rarement servis mais pratiquement jamais mûrs ? Qui regrettera votre cuisine de bas étage pour des mets aux appellations ronflantes dignes d’un trois étoiles, et que la direction s’autorise grâce à l’escroquerie de la « labellisation » Gault et Millau !
Enfin, à titre personnel et en celui de mon épouse qui, comme moi, ne peut manger que de la viande hachée, je tiens tout spécialement à vous remercier pour le soin particulier que vous avez souvent pris à nous choisir une autre viande que celle des morceaux servis aux autres résidents, c’est-à-dire en nous donnant de la viande provenant de bas morceaux et, qui plus est, renfermait parfois des bouts d’os et de cartilages. Pourquoi se gêner pour de petits vieux qui sont souvent incapables de se faire entendre ? Heureusement, comme vous avez pu le constater de vive-voix au fil des mois et encore en lisant cet écrit, je n’ai aucun problème cognitif et je sais m’expliquer lorsque les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient.
Vu le prix élevé payé par les résidents dans cet EHPAD, ils seraient pourtant en droit d’exiger une certaine qualité dans les prestations proposées.
Je vous autorise, bien entendu, à faire le meilleur usage de cette lettre et notamment à la communiquer à votre futur employeur qui en sera sûrement ravi !
Exerçant mon mandat au grand jour, j’en remets une copie à madame la Directrice de l’Ehpad.
Croyez, Monsieur, en mes sentiments qui ne sont pas les meilleurs.
PS : prochain texte, mercredi 16 avril.