Souvenir
Il avait dit à sa mère que cette année, ils iraient à l’Ehpad de la plage. Un petit cabanon pour l’après-midi, mais où elle serait bien. Sa mère avait souri. Il avait précisé que le cabanon était à Criel sur mer, une petite plage de Normandie où elle était déjà allée avec eux, lorsqu’ils étaient enfants.
- Et on y fera quoi ? avait-elle répondu.
- Rien, on regardera la mer et on écoutera les goélands, c’est tout. Tu verras, tu seras bien.
- On ira tous les deux ?
- Oui, mais pas longtemps, une semaine, juste pour que tu revoies la plage et que tu connaisses l’Ehpad.
Elle avait accepté car Criel lui rappelait son père ; pourtant jamais sa famille n’était partie en vacances. Seulement ce père n’aimait qu’elle, répétait-elle souvent. Son fils se demandait comment un père ne pouvait aimer qu’un seul enfant, mais jamais il ne le lui avait dit. Accepter qu’elle soit la seule aimer, la seule intelligente était une petite concession, si petite, qu’elle ne faisait de mal à personne.
Quand ils arrivèrent à Criel, le 25 juin, par une journée pluvieuse - comme elles le sont souvent en Normandie, même l’été - elle éclata de rire.
- C’est là.
- Là où ?
- Là où mon père m’a dit que j’étais sa préférée.
- Tu ne crois pas que c’était papa, plutôt, qui t’a dit ça ?
- Ton père ? Tu plaisantes. Si j’étais sa préférée, il viendrait avec moi à Criel.
Il ne répondit pas. A quoi cela servait-il de lui dire que son mari était mort il y a 30 ans ?
PS : photo prise à Criel sur mer, vendredi dernier, et il bruinait. Prochain texte, lundi prochain.