La solitude du marcheur
Vérone ayant épuisé temporairement mon imagination, je suis partie sur les chemins de montagne de ma belle Suisse !
Paysages bien différents, soleil, solitude du marcheur qui permet l’introspection, qui encourage les pensées diverses au fur et à mesure que les pas avancent sur les petits chemins.
Je réfléchis, je médite, je pense à tout et à rien et parfois ces petits riens apportent la solution qui me manquait et que je cherchais désespérément…j’adore marcher dans la nature et je m’y ressource.
Le cloître (fin)
- Notre belle ville de Vérone
vous plait ?
- Oui.
- Son histoire vous
subjugue-t-elle ?
- C'est-à-dire ?
- L’histoire qui fait d’elle une
des villes les plus célèbres du monde entier, du moins pour tous les amoureux ?
- Vous parlez de Juliette et
Roméo ?
Il acquiesce.
- Euh ! vous savez moi, les
histoires d’amour qui finissent mal, ce n’est pas ma tasse de thé. La vie est
déjà assez déprimante alors si en plus il faut se tuer pour aimer…
- Pourtant c’est bien ce que vous
aviez l’intention de faire, non ?
Elle sursaute et rougit. Evitant
ses yeux, elle demande
- Comment le savez-vous ?
- J’ai été comme vous, j’ai aimé
et j’ai souffert. Depuis, je suis attiré par les personnes qui ont vécu ce que j’ai
vécu. Une sorte de solidarité entre âmes sensibles.
- Et quand vous avez trouvé
« l’âme sensible » du moment, vous faites quoi ? Vous offrez
votre mouchoir, votre épaule bienveillante ?
- Je lui offre ce qui lui manque,
je l’aide à ne pas faire la même bêtise que j’ai faite, je la sauve.
Elle rit, mais son rire sonne un
peu faux. Elle grimace.
- Vous la sauvez et
comment ?
Il lui prend la main et la pose
sur son front, sur la cicatrice qui lui barre le front.
- Je lui raconte ma vie et ma
mort.
- Votre mort ?
- Oui, comment j’ai été tué par
celle que j’aimais.
- Mais vous n’êtes pas mort
puisque vous me parlez ?
- En êtes-vous sûre ?
Cette conversation qui ne mène à
nulle part commence à l’agacer, ces énigmes aussi.
- Alors dites-moi comment vous
êtes mort, comment elle vous a tué ! Au fait, votre aimée, comment
s’appelait-elle ?
-Juliette.
Elle éclate de rire.
- Et vous, c’est Roméo, c’est
ça ?
- Oui.
- Et votre fantôme erre depuis
des siècles à la recherche d’autres « Juliette » ?
- Si on veut…toutes les
amoureuses se ressemblent, quel que soit leur nom.
- Je ne comprends pas, vous
voulez quoi ?
- Vous !
- Pourquoi ?
- Pour vous aimer.
- Et comment ?
Il s’approche d’elle, ses lèvres
effleurent sa chevelure, puis descendent le long de sa joue. Un frisson la
parcourt, elle semble tout oublier mais un éclair de lucidité la traverse. Ces
italiens, quels dragueurs, prêts à tout pour tomber une femme, mais est-ce si
désagréable. Des bras l’enveloppent, elle renverse sa tête et voit les lèvres
de Roméo s’approcher des siennes, elle ferme les yeux…
- Signorina, Signorina.
Quelqu’un la secoue, un peu
rudement. Elle ouvre les yeux, un vieil homme est penché au-dessus d’elle.
- Ce n’est pas permis de
s’allonger sur la pelouse, vous n’avez-vous pas vu le panneau ? Vous devez
partir ou utiliser les bancs.
Elle regarde autour d’elle, elle
est seule, son Roméo a de nouveau disparu.
- Je m’étais assoupie, désolée.
Et l’homme qui était avec moi ?
- Quel homme, il n’y a que vous.
Cela fait un moment que je vous observe depuis ma fenêtre, il n’y a jamais eu
que vous.
- Je parlais avec quelqu’un,
cette personne était allongée avec moi, vous avez dû la voir ?
- Le soleil tape dur
Mademoiselle, vous devriez faire attention.
Un peu énervée par cette
situation qu’elle ne s’explique pas, elle se met debout et enlève des
brindilles d’herbes de son pantalon. Alors qu’elle se penche pour ramasser son
sac, elle voit une marguerite à la tige coupée qui git à côté. Elle la prend,
l’examine, l’extrémité de la tige est mâchouillée… son rêve était donc
réel ? Elle ne sait pourquoi mais cette constatation, au lieu de
l’inquiéter, lui procure un bonheur fou et c’est d’un pas léger qu’elle quitte
le jardin. Elle sait qu’il va la rejoindre où qu’elle se trouve. Le vieux
monsieur la regarde partir, il enlève sa casquette et se gratte la tête,
songeur.
Le cloître
Assise, elle essaie de
s’imprégner des lieux. Qui lui a donc dit que les églises, les couvents et les
cloîtres sont des endroits de méditation ? Laisser la paix descendre en
elle, trouver la solution qui lui échappe, résoudre ses problèmes par essence divine,
la bonne blague ! Elle a déjà essayé trois églises ce matin et à part le
fait qu’il lui fallait recouvrir ses jambes et ses épaules nues et qu’il y
faisait froid, elle n’a rien senti. Quand elle a découvert ce cloître, elle a
pensé que c’était l’endroit idéal. Alors qu’elle s’apprêtait à emprunter les
petits chemins de pierres pour aller en son centre, elle s’est fait remettre à
l’ordre par la gardienne. On regarde mais on ne foule pas de son pied impur ce
sol bien arrangé. Désillusion ! Elle se contente donc de s’asseoir sur le
muret qui entoure ce jardinet et attend. Le temps s’écoule au gré des grains de
sable qui s’accumulent dans le sablier de sa mémoire, elle est en vacances,
elle a tout son temps et elle cherche quelque chose mais elle ne sait pas
quoi !
- C’est beau n’est-ce pas ?
Elle ne sursaute pas, elle tourne
lentement la tête et son regard accroche celui d’un homme.
- Oui, c’est beau.
Il a des cheveux longs bruns
tirés en catogan, des yeux d’un marron très foncé et une cicatrice qui lui
barre le front. Elle ne voit que son visage. Il sourit, il a un sourire très
doux mais un peu triste, elle poursuit.
- C’est beau mais inaccessible.
On peut regarder mais on ne peut pas en profiter. J’aurais voulu tirer un hamac
entre deux colonnes et me bercer en laissant venir à moi la sagesse que ces
lieux ne manqueraient pas de m’inspirer.
Il rit.
- Un hamac, quelle idée…mais
pourquoi pas en fait ? J’ai l’impression que vous attendez quelque chose
mais que cela peine à venir, est-ce exact ?
- Vous êtes devin ?
- Qui sait ? répond-il
énigmatique.
Elle hausse les épaules. Son
cellulaire sonne. Elle le cherche dans son sac et son attention est prise par
l’appel. Quand elle termine sa communication, elle est seule, son interlocuteur
a disparu. Elle saute du muret et se met à le chercher. Le cloître est vide,
elle pénètre alors dans l’église. Il y a peu de visiteurs, elle fait rapidement
le tour mais elle n’aperçoit toujours pas l’homme avec qui elle a parlé.
Pensive, elle se dirige vers la sortie et se retrouve sur la place. Il fait
très chaud, il est bientôt 14h et le soleil tape fort en ce mois de juillet. Un
joli jardin accolé à l’église l’accueille à l’ombre de ses arbres centenaires. La
pelouse lui tend les bras et elle s’y allonge, n’est-ce pas l’heure de la
sieste ? Les yeux clos derrière ses lunettes de soleil, son sac à dos
comme oreiller, elle écoute les bruits environnants, le crissement des pas
d’autres promeneurs sur le gravier, le chant des oiseaux, l’accélération d’une
moto au loin et…
Elle sent une présence. L’homme du cloître est allongé à côté d’elle. Elle ne dit rien, ne demande rien, ne voit que son visage, captivée par les yeux qui sondent son âme. Il a une marguerite qui dépasse de sa bouche aux lèvres fines. Elle se souvient avoir lu un jour que des lèvres fines signifiaient « exigence en amour ».
Dans un coin de jardin
« Tiens, encore une qui me photographie ! Je me demande bien pourquoi…dans l’état où je suis…mais si elle savait, aurais-je le privilège de me retrouver sur sa pellicule ? Non, je ne pense pas…Elle a de la chance que je n’aie plus mon carcan et mes flèches. Mon sourire de petit ange, mes bras et mes cuisses dodues font de moi le parfait Cupidon, ce que je ne suis pas mais eux, tous ces touristes ne le savent pas. Si j’ai été relégué dans ce coin de jardin et laissé à l’abandon, c’est bien pour que je disparaisse…pauvres fous, ils ne savent pas que je tiens bon car mon heure viendra à nouveau ! La veille là-bas sait qui je suis mais elle n’ose rien dire. Le guide aussi et c’est bien pour cela qu’il ne s’arrête jamais devant moi avec ses groupes. Jaloux moi ? Oui, bien sûr mais surtout furieux ! Et cette immobilité imposée, ce sourire niais, je n’en peux plus, ce n’est pas moi, je ne suis pas qui vous croyez ! »
le balcon (fin)
Elle l’entraîna sur le banc face
au balcon et ils s’assirent tous deux. Elle laissa un silence s’installer,
silence qu’il n’avait pas osé interrompre.
- Vous connaissez l’histoire de
Juliette et de Roméo ?
Il sursauta à cette demande. Bien
sûr qu’il la connaissait, qui ne la connaissait pas, et il le lui dit mais il
ne voyait pas le rapport. Elle poursuivit.
- Grâce à Shakespeare ou à cause
de lui, cela dépend, le monde entier situe cette histoire à Vérone. Eh !
bien non, le balcon et le tombeau de Juliette à Vérone sont des fadaises mais
c’est voulu, histoire de laisser Juliette en paix.
Il ne put s’empêcher de sourire,
un brin moqueur.
- Vous ne me croyez pas, c’est
ça ?
- Racontez, ensuite, je vous
donnerai mon opinion !
- Vous les « stranieri »,
vous êtes loin de nos légendes, pourtant elles sont belles, belles et vraies…il
y a de cela longtemps, Juliette s’était prise d’amour pour le fils du rival de
son père. C’était semble-t-il réciproque et jusque là, Shakespeare raconte bien
l’histoire d’origine. Où cela diffère, c’est dans la suite. Quand le père de
Roméo a su cet amour, il a pensé que c’était une bonne idée pour déshonorer ce
rival qui lui faisait de l’ombre et il encouragea son fils à poursuivre de ses
assiduités la belle. Bon que sait-on de la vie à 15 ans car tel était l’âge de
Juliette, hein, je vous le demande ? Cette gamine se prit au jeu de
l’amour et se laissa aimer par Roméo alors 10 ans plus âgé qu’elle et plus
expérimenté comme cela était souvent le cas à cette époque. Les filles au
couvent ou sous bonne garde pour préserver leur virginité et les hommes avec
les filles de joie, comment vouliez-vous ne pas vous faire avoir, hein je vous
le demande ?
- Si cela peut vous consoler, ce
n’est plus le cas de nos jours, l’égalité à au moins cela de bon
- L’égalité où elle ne devrait
pas être…bon je m’égare. Je poursuis donc mon histoire. Roméo, pas aussi pur
que nous aurions espéré, se lassa de cette aventure et des gamineries de cette
amante qui, à part sa fraîcheur et sa spontanéité, ne lui apportait plus
grand-chose. Il espaça ses visites nocturnes à la belle et de dépit celle-ci
tomba malade.
- Ca fait un peu roman bon marché
votre histoire, pour l’instant, je préfère celle de Shakespeare, je dois
l’avouer.
Sans répliquer, la vieille
continua.
- Une nuit, elle le provoqua et
exigea de lui le mariage car elle était enceinte. Roméo lui rit à la face, il
avait d’autres projets. Elle devint folle, supplia, l’implora car elle savait
la sentence de sa conduite, le couvent à vie pour elle et l’enfant qu’elle
portait à l’orphelinat. Cette femme à ses genoux irrita le beau Roméo et il se
montra dur, intransigeant et terriblement cruel. Elle se releva et le regarda
partir par le balcon, celui-là même que nous admirons vous et moi. Alors qu’il
enjambait la rambarde, elle le poussa de toutes ses forces. Le malheur voulut
qu’il tombe la tête la première sur une pierre et il rendit son dernier soupir
sur le champ. Quant à Juliette, elle devint folle et la famille l’enferma toute
sa vie dans cette chambre qui fut le théâtre de son bonheur et de son malheur.
- Et l’enfant qu’elle
portait ?
- Fausse couche !
- Ah !
- Depuis cette soirée maudite,
Juliette ou son fantôme apparaît tous les jours au balcon et charme les hommes,
on dit qu’elle cherche à se venger de l’affront subi. Savez-vous que depuis des
siècles, plusieurs hommes ont été retrouvés sans vie au pied du balcon ?
La légende dit qu’elle les attire à elle et ensuite qu’elle les tue.
- Son fantôme ? Mais cette
maison est habitée ?
- Oui, elle est restée dans la
famille de Juliette, elle n’a jamais changé de propriétaires.
- Et qui l’habite ?
- Moi !
Il sursaute.
- Vous ? Mais…vous n’avez
pas peur des fantômes ?
- Non, vous aimeriez
visiter ?
Il hésite mais la curiosité est
la plus forte. Il accepte et tous deux se dirigent vers la porte qu’elle ouvre
avec une grosse clé en métal qu’elle sort de sa poche. Elle entre la première,
il la suit, ils montent à l’étage et quand il pénètre dans la chambre au
balcon, un grand froid le saisit. Il se retourne, la veille a disparu, à sa
place, une jeune fille, belle à couper le souffle, vêtue d’une longue chemise
de nuit blanche à dentelles fines, de longs cheveux bruns défaits sur ses
épaules.
- Juliette, murmure-t-il !
Elle sourit et s’avance vers lui,
les bras en avant alors que le chien se met à hurler…
le balcon
Aujourd’hui, il ne la voit pas et
il en est triste, elle lui manque, sensation bizarre que cette dépendance toute
fraîche... Cette silhouette, il l’a aperçue un peu par hasard, un matin alors
qu’il promenait son chien dans cette jolie cité de Vicenza où il séjourne pour
se remettre de cette saleté qu’on appelle cancer et qui a failli le tuer. Ce
jour-là, il ne sait pas pourquoi, ses pas l’avaient emmené sur un autre chemin
et il avait pensé « pourquoi ne pas changer la routine ? » Il
avait pris plaisir à regarder les façades des maisons qui se succédaient, le
soleil chauffait ses bras et son crâne dégarni et, un peu en sueur, il avait
trouvé refuge sous un arbre en s’octroyant une petite halte sur le banc disposé
à cet effet. Le balcon était en face, s’offrant à sa vue et à sa curiosité. La
végétation qui montait à l’assaut de la maison en briques camouflait la
décrépitude des murs et leur effritement. Il admirait les colonnes supportant
le toit du balcon quand il distingua une forme se mouvant dans l’ombre. Tout
d’abord, il n’avait aperçu qu’une vague ombre mais progressivement, il avait su
deviner les gestes gracieux des bras qui tenaient
un arrosoir ancien en cuivre mais n’avait pu discerner les traits cachés par un
chapeau charmant à larges bords. L’habillement semblait désuet mais il n’en
était pas sûr. Le lendemain, il était revenu à la même heure et avait assisté
au même rituel. Depuis 10 jours, il ne manquait aucun rendez-vous et cette
simple apparition suffisait à combler sa journée. Sur son banc, il ne bougeait
pas et il ne savait pas si elle l’avait remarqué, elle n’en donnait aucun
signe.
Il avait même rêvé d’elle et il
doit l’avouer, les images qui lui étaient restées n’étaient pas anodines. Il se
demandait si il n’était pas en train de tomber amoureux d’une ombre ?Le rêve ne suffisait pas, il
voulait savoir qui elle était. Il s’installa à son ordinateur et chercha qui
habitait là mais il ne trouva rien. Il alla donc rôder autour de la maison et
profitant de l’opportunité du chien, commença à parler avec les personnes qu’il
croisait dans le coin, à les questionner mais sans résultat. Un jour, il entra
dans le café situé en face, s’accouda au bar et demanda au patron s’il savait
qui habitait cette maison. Le patron, un rondouillard à l’allure débonnaire
comme le sont souvent les rondouillards, le regarda d’un œil perplexe, puis
sans se presser, lui demanda.
- Pourquoi vous voulez
savoir ?
- Euh, par curiosité !
L’homme posa son torchon et vint
s’accouder en face de ce client curieux. Il le fixa dans les yeux.
- La curiosité peut parfois être
malsaine. Vous voulez un conseil, orientez votre curiosité ailleurs.
Il se redressa et sans plus
accorder d’attention à cet inconnu qui posait des questions sans réponses, il
héla un autre client et débuta une conversation anodine sur le temps qu’il
faisait.
Jacques, car tel était son
prénom, paya et sortit. Sa curiosité avait été attisée et il s’enhardit. Il
sonna à la porte de la maison. La porte resta close. Il fit un pas en arrière,
cherchant des ombres derrière les fenêtres, mais rien ne bougeait.
- Vous cherchez quelqu’un ?
demanda une voix
Il se retourna pour se trouver
presque nez à nez avec une veille dame voûtée, au visage plissé comme une
vieille pomme, fichu noir sur des cheveux blancs comme neige. Des yeux lavés
par les ans le scrutaient d’un air bienveillant. Il se sentit en confiance.
- Je cherche à savoir qui habite
cette maison ?
Elle hocha la tête.
- Et pourquoi voulez-vous savoir
qui habite là ?
- J’ai aperçu une silhouette au
balcon et…
Qu’allait-il dire ? Qu’il
était tombé amoureux d’une ombre ? Ridicule, il était ridicule. Alors
qu’il se creusait la tête pour terminer sa phrase en trouvant une suite admissible…
- Et vous êtes tombé
amoureux ?
Il la regarda bouche-bée, comment
avait-elle deviné ?
- Venez !
Bye bye blog…
Jusqu’au 16 août, je ne serai plus de quart sur le pont du blog presquevoix. Mes écrits infuseront une semaine ici et une autre semaine là. Peut-être diffuserai-je mieux ensuite… qui sait ?
Sur l’air de « bye bye love » chanté par Ray Charles ( les paroles sont de lui ) ou par les Everly Blue brothers , les paroles suivantes, le tout de mon cru…
Bye bye blog
Bye Bye blog
Bye bye happiness, hello something else
I think I'm-a gonna cry-y
Bye Bye blog
Bye bye sweet writing, hello travelling
I think I'm-a gonna try-y
PS : Et deux citations, pour la route :
« Je doute de tout, je redoute le reste » Yvan Audouard
« Même l’avenir n’est plus ce qu’il était » Paul Valéry
Vivre…
- Je me demande où partent les rêves dont je ne me souviens pas* ? - lui avait-elle dit en traversant le pré. Est-ce qu’ils s’accrochent aux nuages ou est-ce qu’ils sont engloutis dans les vallées profondes où se cache l’ogre des enfers ?
Il n’aimait pas la voir ainsi, il savait qu’elle partirait dans un de ces longs monologues qui entretenaient sa mélancolie. Il essaya de détourner son attention en lui montrant la fleur rose dont la chevelure oscillait au vent.
- Elle est comme toi, lui dit-il.
- Comme moi ? Je ne comprends pas.
- Une résistante.
Elle le regarda incertaine. Une résistante ! Comment pouvait-il lui mentir ainsi, à elle ! Elle qui n’avait pas su dire non. Elle regarda le fil de l’eau. Des rides se formaient à la surface parce que le vent se levait ; c’était comme si la rivière l’appelait. Des frissons couraient sur sa peau blanche et elle enfila le gilet qu’elle avait noué autour de sa taille. Oui, lui, elle aurait pu l’aimer s’il n’y avait pas eu son père. Elle ne pouvait rien effacer et personne ne pourrait rien effacer pour elle, ni lui, ni aucun autre. Ce qui était vécu, était vécu pour l’éternité.
- Et si on prenait une barque pour traverser la rivière ?
Il avait dit cette phrase avec une telle douceur qu’elle lui prit la main et la glissa dans la sienne. Pour la première fois, elle lui chuchota qu’elle l’aimait ; bien sûr, elle mentait un peu, mais était-ce si important ? Après, il serait peut-être trop tard.
- Aujourd’hui, je veux traverser la rivière toute seule, lui confia-t-elle au creux de l’oreille. Il accepta. Que pouvait-il faire d’autre ? Lorsqu’il la vit s’éloigner dans l’embarcation, il eut l’étrange sensation qu’il ne la reverrait pas, mais il se ressaisit ; il avait déjà eu cette impression tant de fois, et elle était toujours revenue. Alors pourquoi en serait-il autrement cette fois-là ?
* Phrase lue dans le livre « Autoportrait » de Edouard Levé
* photo gentiment prêté par Mû du blogamû
Le train couchette
Elle revenait de l’enterrement de sa grand-mère et devait prendre le train qui partait de Toulouse à 22 h 35. En entrant dans le wagon couchette numéro 50, des odeurs d’encens lui brouillaient encore la tête. Elle chercha la couchette 82 tout en pensant que sa nuit dans le train allait l’achever. Le lendemain, si tout allait bien, elle serait à la gare d’Austerlitz à 7 h 00. En glissant sa valise sous la couchette du bas, elle revit le cercueil en bois brun devant lequel elle avait fait un signe de croix machinal. La cérémonie l’avait vidée de toute énergie et elle s’allongea sur la couchette, les mains croisées sur son ventre. Elle les décroisa aussitôt, cette position lui rappelait par trop celle de sa grand-mère au funérarium : visage de marbre blanc, lèvres serrées, et sa robe grise au col blanc d’écolière sage, celle qu’elle portait du temps où…
- Bonsoir, j’ai la couchette à côté de la vôtre.
La voix la fit sursauter, elle tourna les yeux et vit un homme d’âge moyen qui s’asseyait sur la couchette du bas, juste à côté de la sienne.
- Ah, dit-elle pour la forme.
L’homme la fixait, le regard vide, et elle en ressentit un vague malaise. Il articula comme avec difficulté.
- Je monte à Paris, des problèmes de couple, c’est pour ça que…
Et il laissa sa phrase en suspens. Elle attendit. Il devait avoir 45 ans, sans signe particulier, si ce n’était un teint blafard et un visage mal rasé.
- Vous êtes mariée ?
Qu’est-ce que sa situation familiale pouvait bien lui faire ? Elle dit que oui, juste au cas où. Avec un homme seul, dis toujours que tu es mariée, lui avait enseigné sa mère. Sa réponse ne sembla pas l’intéresser et il continuait déjà.
- Moi oui. Je n’aurais jamais dû. Elle m’a quitté. A cause d’elle, je prends des antidépresseurs, ça fait un an.
Et il sortit une boîte à moitié vide sur laquelle elle lut « deroxat ».
- Sans ça je suis un homme foutu. Parfois j’ai des envies d’en finir. Je me dis que ça sera elle ou moi.
Elle laissa passer un instant, mais ne trouva rien à dire. La voix du contrôleur annonçait déjà le départ du train dans le haut-parleur, il faisait nuit noire, la lumière papillotait de temps à autre, et personne d’autre ne venait s’installer dans leur compartiment. Elle se demanda si elle n’allait pas partir ailleurs, mais l’homme prit les devants, ferma la porte avec le loquet de sûreté et conclut.
- Il vaut mieux fermer, comme ça vous n’aurez pas froid.
Quand la porte claqua, elle eut le même sentiment que lorsque le couvercle du cercueil se referma sur le corps de sa grand-mère. L’homme ajouta.
- Les antidépresseurs, ça diminue les angoisses, c’est le docteur qui me les a conseillés. Il m’a dit que sinon, je risquais de faire des bêtises. Il a rajouté que j’avais encore la vie devant moi, mais je suis pas dupe, à 45 ans, je sais bien que je peux plus espérer grand chose de la vie. Quelle femme s’intéresserait à un homme comme moi ?
Elle resta silencieuse, comme pétrifiée. Elle devait ressembler à l’une de ces statues qu’elle avait observées dans la petite église du village où la cérémonie d’enterrement avait eu lieu. L’homme avait une voix pâteuse ; quand elle l’écoutait, elle avait l’impression d’être engloutie dans ses phrases. N’était-il pas en train de l’hypnotiser ? Il fallait qu’elle se secoue.
- Vous allez vous installer à Paris alors ? Dit-elle sans trop y croire.
Il la fixa bizarrement et elle crut voir dans ses yeux autre chose qu’une profonde mélancolie. Il ne répondit pas à sa question et poursuivit.
- Et vous ? Vous vous intéresseriez à un type comme moi ?
Elle toussota pour se donner une contenance. Ce type lui faisait vraiment peur. Elle sentit comme une odeur d’encens, la même que dans l’église, comment pouvait-il dégager cette odeur-là ? L’homme eut soudain un mouvement dans sa direction et elle fit un tel bond qu’elle se cogna violemment la tête sur la couchette supérieure.
(...)
... Quand elle ouvrit un œil, elle vit un homme penché sur elle, il avait une casquette et lui disait
- Alors, ça va mieux ma petite dame ? Pas besoin de somnifères pour cette nuit, hein ? Un comprimé d’aspirine, peut-être ?
L’autre homme qui la regardait fit au contrôleur de sa voix pâteuse
- Je pense que maintenant elle va mieux, je vais la veiller. J’ai un sommeil très léger. Si jamais il y a un problème, je vous appelle, j’ai vu où était votre compartiment.
Le contrôleur disparut et elle resta seule avec l’homme qui essayait vainement de la rassurer de sa voix pâteuse. Elle préféra fermer les yeux et ne penser à rien. Elle finit même par croiser ses mains sur son ventre et récita tout bas un « Notre père », machinalement.