Jugement et stéréotype
Il fait une chaleur à crever dans
ce bus bondé. Coincée comme souvent lors des heures de pointe, elle patiente et
pousse un « ouf » de soulagement quand son arrêt la libère. Sur le
trottoir, elle rajuste son sac sur l’épaule et suit le mouvement de la foule
quand un objet lui passe devant le nez. Elle s’arrête et ses yeux tombent sur
l’emballage en papier qu’un homme, marchant presque à ses côtés, a lancé dans
la haie. Cette façon de polluer par des déchets alors que des poubelles sont à
disposition l’agace prodigieusement, elle ne peut s’empêcher de râler. Elle
lance à l’homme.
- La rue et la haie ne sont pas
des poubelles, pouvez pas jeter vos déchets ailleurs, non ?
L’homme se retourne et la
regarde.
- T’as dit quelque chose
connasse ?
La moutarde lui monte au nez.
- C’est qui la connasse, c’est
moi ?
Il ricane.
- T’en vois d’autres !
- Alors si je fais une remarque
sur votre façon de polluer la ville avec vos déchets, je suis une connasse,
c’est ça. Mais si tout le monde fait comme vous, vous voyez le bordel ?
Le mec vient vers elle. Il la
toise de ses 20 cm de plus qu’elle. Crâne rasé, un gilet noir comme t-shirt,
pantalon noir bouffant sur bottes noires à tige haute, il lui envoie son
haleine en pleine face. Dans sa robe en lin couleur framboises écrasées, ses
talons plats, elle se sent une toute petite chose. Son cœur se met à bondir dans
tous les sens comme un animal affolé. Elle a la trouille qui lui serre le
ventre.
- Tu vas pas m’emmerder avec tes
histoires d’écolo à la con ? lui lance-t-il.
Elle ne sait ce qui lui a pris
mais instinctivement, elle n’a pas réfléchi. Elle lui a balancé son genou dans
ses parties génitales de toutes ses forces. Le mec s’est plié en deux. Les gens
alentour sont restés pétrifiés. Elle a lancé.
- Je suis peut-être une connasse
mais vous êtes un pauvre type et j’aime pas votre haleine !
Et aussi dignement que possible,
elle a tourné les talons et s’en est allée. Elle n’a pas osé se retourner et
s’attendait à tout instant à ce qu’une main la saisisse par l’épaule. Son cœur
continuait à battre la chevauchée fantastique quand arrivée chez elle, elle
s’est effondrée sur le divan. Elle a mis du temps à se remettre mais
finalement, elle était assez fière même si sa croisade pour un papier sale ne
valait pas forcément pareille aventure.