La petite pièce à écriture
« Avant tu me refusais ton corps, maintenant tu me refuses tes mots. Je ne peux même pas dire que je sois triste. J’entends le bruit des vagues qui se brisent sur la grève… »
- Tu écris ?
Elle lève la tête, surprise de le voir de si bon matin dans « sa pièce à écriture » ; mais après tout, cette maison est la sienne, c’est lui qui l’a achetée. Elle ne supporte pas qu’il pénètre dans cette pièce dont la fenêtre s’ouvre sur l’océan. S’il reste, son inspiration la quittera, comme à chaque fois.
- Tu m’excuses mais il faut absolument que je termine ça. Une commande !
- Une commande ? Mais personne ne te commande plus rien depuis longtemps !
Elle ne répondra pas à sa provocation, il en sera pour ses frais. Il est vrai que son éditeur ne l’appelle plus depuis longtemps, mais elle a encore quelques petites commandes à droite et à gauche. Elle entend les cris des goélands qui se fondent dans ses mots ; pourquoi ne s’envole- t-elle pas, elle aussi, comme ces goélands qui tournoient au-delà des murets ? Elle devrait partir, mais comment se résoudre à quitter cette fenêtre qui s’ouvre sur l’océan ?
- Alors, elle est de qui cette commande ? Insiste-t-il.
- Un nouvel éditeur.
Elle espère bien qu’avec cette réponse-là, il la laissera tranquille. Elle sent qu’à cause de lui, elle perd une fois de plus le fil de sa narration ; son écran restera aussi blanc que le sable découvert après que la mer s’est retirée. Pourquoi choisit-il toujours les moments où son monde s’ouvre à l’écriture pour lui parler ?
- Je veux faire l’amour avec toi.
- Hein ?
- Oui, tu m’as bien entendu. Je veux faire l’amour avec toi, maintenant !
Voilà tout ce qu’il a trouvé pour l’arracher à son inspiration. Elle le connaît, à chaque fois qu’elle est dans sa « pièce à écriture » il cherche des prétextes – même les plus improbables – pour qu’elle cesse d’écrire.
- Ecoute, pas maintenant, je n’ai pas envie.
- Tu n’as jamais envie.
- C’est faux. Je dirais plutôt que je n’ai pas envie quand toi, tu as envie.
Maintenant il va repartir l’air contrit, comme d’habitude, et de sa fenêtre elle le verra arpenter la plage pour sa promenade quotidienne vers l’océan. Peut-être qu’un jour il ne reviendra pas, peut-être. Tiens, ça c’est une idée, elle le tient son nouveau texte, l’histoire d’un homme qui marchera vers l’océan et qui ne reviendra jamais…
- Je me demande pourquoi on vit ensemble, fait-il avant de disparaître.
Elle, elle ne se le demande pas. Ils sont encore ensemble grâce à « la petite pièce à écriture » qui s’ouvre sur l’océan.
* Photo gentiment prêtée par Mû du blogamû.