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Presquevoix...
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3 juillet 2008

La petite pièce à écriture

blogamu« Avant tu me refusais ton corps, maintenant tu me refuses tes mots. Je ne peux même pas dire que je sois triste. J’entends le bruit des vagues qui se brisent sur la grève… »
- Tu écris ?
Elle lève la tête, surprise de le voir de si bon matin dans « sa pièce à écriture »  ; mais après tout, cette maison est la sienne, c’est lui qui l’a achetée. Elle ne supporte pas qu’il pénètre dans cette pièce dont la fenêtre s’ouvre sur l’océan. S’il reste, son inspiration la quittera, comme à chaque fois.
- Tu m’excuses mais il faut absolument que je termine ça. Une commande !
- Une commande ? Mais personne ne te commande plus rien depuis longtemps !
Elle ne répondra pas à sa provocation, il en sera pour ses frais. Il est vrai que son éditeur ne l’appelle plus depuis longtemps, mais elle a encore quelques petites commandes à droite et à gauche. Elle entend les cris des goélands qui se fondent dans ses mots ; pourquoi ne s’envole- t-elle pas, elle aussi, comme ces goélands qui tournoient au-delà des murets ? Elle devrait partir, mais comment se résoudre à quitter cette fenêtre qui s’ouvre sur l’océan ?
- Alors, elle est de qui cette commande ? Insiste-t-il.
- Un nouvel éditeur.
Elle espère bien qu’avec cette réponse-là, il la laissera tranquille. Elle  sent qu’à cause de lui, elle perd une fois de plus le fil de sa narration ; son écran restera aussi blanc que le sable découvert après que la mer s’est retirée. Pourquoi choisit-il toujours les moments où son monde s’ouvre à l’écriture pour lui parler ?
- Je veux faire l’amour avec toi.
- Hein ?
- Oui, tu m’as bien entendu. Je veux faire l’amour avec toi, maintenant !
Voilà tout ce qu’il a trouvé pour l’arracher à son inspiration. Elle le connaît, à chaque fois qu’elle est dans sa « pièce à écriture » il cherche des prétextes – même les plus improbables – pour qu’elle cesse d’écrire.
- Ecoute, pas maintenant, je n’ai pas envie.
- Tu n’as jamais envie.
- C’est faux. Je dirais plutôt que je n’ai pas envie quand toi, tu as envie.
Maintenant il va repartir l’air contrit, comme d’habitude, et de sa fenêtre elle le verra arpenter la plage pour sa promenade quotidienne vers l’océan. Peut-être qu’un jour il ne reviendra pas, peut-être. Tiens, ça c’est  une idée, elle le tient son nouveau texte, l’histoire d’un homme qui marchera vers l’océan et qui ne reviendra jamais…
- Je me demande pourquoi on vit ensemble, fait-il avant de disparaître.
Elle, elle ne se le demande pas. Ils sont encore ensemble grâce à «  la petite pièce à écriture » qui s’ouvre sur l’océan.

* Photo gentiment prêtée par Mû du  blogamû.

Commentaires
G
Votre commentaire éclaire le texte, comme si je le lisais sous un autre angle.<br /> Elle est belle cette phrase de Rilke !
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P
Ils sont beaux ces mots comme passés au cardère.<br /> Cette incursion (journalière?) dans le moi de l'autre, dans la coquille qu'il aimerait détortiller, vider, inexplorable et qui résiste.<br /> "Le monde est grand, mais en nous il est profond comme la mer." (Rilke)
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M
Piochez, piochez, si cela vous inspire autant, j'en suis ravie.<br /> Pour les mains sur le clavier, il y a des mains d'enfant et des mains d'adulte, vous les reconnaîtrez aisément je pense.<br /> Je pensais à faire l'inverse...photo d'après vos textes, mais ils ont déjà des photos !
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G
Vous souvenez-vous de votre très belle photo bleutée, celle des iris qui avaient comme "tuteur" les boiseries d'une remise... ? Celle-ci, finalement induit la même atmosphère, je trouve. Ca doit être le bleu !
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G
Bizarre, ce que les photos induisent. En vous la demandant, je n'avais aucune histoire en tête, puis en la regardant et la re-regardant, je me suis dit, tiens et si ça commençait comme ça. En tous cas merci pour la photo. Je vous en ai redemandé d'autres sur votre blog.
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