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Presquevoix...
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28 août 2023

Acteur ?

Sa meilleure amie, Sophie, lui avait fait, la veille, une confession qui l’avait bouleversée.  

-          Tu sais que mon mari est passé d’acteur amateur à « acteur mateur ».

-          Qu’est-ce que tu veux dire ?

-          Eh bien tu te souviens que mon mari adorait le théâtre.

-          Oui.

-          Eh bien il a arrêté ses cours et maintenant il joue dans les salons d’essayage pour dame ?

-          Comment ça ?

-          Eh bien, il agit en deux étapes, Pendant la première, il est voyeur et après il passe à la deuxième étape où il est acteur.

-          Tu veux dire que… enfin… il observe et ensuite il passe sur scène ?

-          Exactement. Tu imagines les petits applaudis-cris aigus du public.

-          Mais comment tu l’as su ?

-          Eh bien, ma mère l’a vu dans sa cabine d’essayage et elle n’en est toujours pas remise.

-          Non !

-          Si.

-          Là, je viens de le foutre à la porte et je lui ai dit que la cabine dont il avait besoin, c’était celle d’un psychiatre !

-          Eh bien… je ne sais pas quoi te dire sinon que j’aurais fait la même chose que toi. C’est quand même dingue !

-          Oui, c’est dingue et il est dingue ! Le mot d’ailleurs est faible. Dix ans de mariage pour en arriver à ça !

-          L’autre est parfois une énigme, tu sais.

-          Je me demande si je ne vais pas faire une retraite. Un petit tête-à-tête avec Dieu me fera le plus grand bien.

-          Tu penses ? mais tu n’as jamais cru en Dieu.

-          Justement, ça va peut-être venir, vu l’état dans lequel je suis. Tu connais le proverbe juif « l’homme pense, Dieu rit. » ?

-          Non.

-          Eh bien si Dieu est capable de rire, c’est qu’il a le sens de l’humour, non ?

-          Euh… peut-être qu’il se moque de nous quand il rit, Dieu, non ?

-          Qui sait ? D’ailleurs il n’aurait pas tort de se foutre de nous. Quand on voit où mon connard de mari en est arrivé.

-          La situation n’est pas simple, je te l’accorde.

-           Bon, je te laisse, j’ai pris un rendez-vous chez un psychologue. L’homme déraille, sa femme consulte. Etonnant, non ?

Et elle vit Sophie partir pour sa première consultation. Elle se dit qu’elle lui demanderait ce qu’elle pensait du psychologue, n’en avait -elle pas besoin elle-même ? L’orage grondait au-dessus de leur couple et des éclairs apparaissaient de temps à autre. Elle espérait juste que son mari ne passerait pas par la casse "acteur-mateur", car lui aussi avait fait du théâtre amateur avec le mari de Sophie.

 

PS : prochain texte, vendredi.

 

24 août 2023

La même chose

 

-          La même chose !

-          T’es sûr ? Arrête de boire Jean Marc. Tu me diras si je  disais ça à tous mes clients, j’aurais plus qu’à fermer la porte. Mais toi, c’est pas pareil, t’es un ami.

-          Allez, arrête ton baratin et donne-moi la même chose !

L’homme observe son verre vide où la mousse a laissé une petite écume blanche. Elle est belle cette écume, elle lui rappelle la plage où il a longtemps passé ses vacances avec sa femme et son fils. La petite écume blanche sur le bord du verre, la même qui ourlait la plage sauvage où son fils jouait avec la mer. Sa tête lourde heurte le comptoir et le choc le fait sursauter.

-          Allez arrête de boire j’te dis, tu crois que ça va faire revenir ton fils ?

-          Boucle-la et laisse-moi boire. Si j’arrête je me tire une balle dans la tête.

Plutôt l’alcool qu’une vie vide. Soudain il crie « Reviens Paul, reviens, reviens tout de suite. L’eau monte ». Il voit une déferlante d’écume emporter l’enfant dans son gouffre humide. Il n’a rien pu faire. Il pleure, observe la petite mousse blanche sur le bord de son verre et dit au patron.

-          La même chose Marcel, la même chose !

 

PS : prochain texte, lundi.

 

20 août 2023

Les Ressources humaines

Daniel Rouille est entré à la DRH de l’entreprise « G et O » il y a trois mois pour une période d’essai de six mois. Il se demande encore comment il a pu être recruté pour ce poste d’assistant DRH. Lors de l’entretien il a eu la sensation étrange de répondre à côté de la plaque aux questions personnelles,  quant aux autres, elles ne l’ont pas surpris, sa maîtrise du management théorique lui a permis de limiter les dégâts. Il se dit que son travail d’un an aux Etats Unis a certainement jeté de la poudre aux yeux du Directeur Général.  Si le DG avait connu les conditions réelles de son travail – une entreprise de troisième catégorie dans une infâme ville du Texas – peut-être ne l’aurait-il pas embauché. Mais les Etats Unis ont toujours aimanté les recruteurs. Savoir se vendre, lui a-t-on toujours répété dans sa boîte de chasseurs de tête. Il a appliqué, ça a marché, c’est mathématique. Sauf que…

Deux semaines plus tard, il entend frapper à la porte de son vaste bureau. Machinalement il répond « Entrez » et apparaît alors la tête de fouine – c’est ainsi qu’il lui a été présenté -  du délégué syndical de FR – Forces réunies. Le Visage de Daniel Rouille se crispe insensiblement.

-          J’ai besoin de vous parler monsieur Rouille, c’est urgent, dit le délégué syndical d’un ton péremptoire en s’asseyant sur le siège face à lui.

-          Eh bien asseyez-vous M. Leborgne.

-          C’est au sujet de la délocalisation.

-          Quelle délocalisation ?

Et Leborgne de l’entreprendre sur une délocalisation semi-rocambolesque en Asie du Sud Est, mais avait-il tort ?

-          Ecoutez M. Leborgne, je vous arrête tout de suite. Il n’est pas question de délocaliser.

-          On voit que vous êtes nouveau. Renseignez-vous M. Rouille, lui a dit le délégué. Ce n’est tout de même pas au délégué d’informer le sous personnel de direction !

-          Je n’y manquerai pas, a-t-il eu l’amabilité de lui dire avant de lui faire quitter son bureau.

Après son départ, Monsieur Rouille est resté assis, inerte, sur son simili fauteuil d’assistant et, immédiatement,  des nuages d’emmerdements ont envahi le ciel. Serait-il capable de faire comme si de rien n’était ?

 PS : prochain texte, jeudi.

17 août 2023

Le numéro de téléphone

Samedi soir, avant le dîner, l’enfant entra dans la cuisine et dit à sa mère qu’il ne voulait plus aller à la messe le dimanche. Elle ne répondit rien et continua à éplucher ses pommes de terre. L’enfant insista.

-          Tu m’entends maman ?

Elle finit par lui dire.

-          Oui mon chéri, je t’entends, tout comme Dieu t’entend, mais toi tu ne veux plus l’entendre.

-          Alors ? J’ai le droit ?

Elle lui répondit en souriant.

-          Demande à ton père, c’est lui qui parle à Dieu, moi je n’ai pas son numéro de portable

-          Pas drôle maman, pas drôle du tout.

-          Enfin je voulais dire que tout ce qui concerne la religion passe par ton père ; moi, à vrai dire, je ne crois plus beaucoup en Dieu.

-          Ben pourquoi tu vas la messe ?

-          Pour faire plaisir à ton père, et puis les prières m’apaisent.

-          Je peux le dire à papa que tu ne crois plus en Dieu ?

-          Je ne te le conseille pas, sinon le dîner ne sera pas agréable, tu vois ce que je veux dire ? Si tu ne vois pas, demande à Dieu te t’expliquer.

L’enfant fit une grimace à sa mère et partit dans le bureau de son père où celui-ci s’escrimait à terminer un rapport pour le directeur de cabinet du ministre. Dès que son fils lui parla de la messe, il l’arrêta.

-          Ecoute, pour la messe, ce n’est pas le moment de m’en parler, je travaille. Va voir ta mère.

-          Maman m’a dit de venir te voir, parce que ce n’est pas elle qui s’occupe de Dieu.

-          Elle a dit ça ? Ecoute, adresse -toi à Dieu toi-même par une prière et tu verras ce qu’il te répondra.

-          Et si Dieu ne répond pas ?

-          Tu insistes et tu fais une autre prière. Allez, file.

L’enfant partit dans sa chambre, prit une feuille et écrivit en grosses lettres rouges la phrase suivante : « JE NE CROIS PLUS EN DIEU et JE N’IRAI PLUS A LA MESSE » . Il colla la feuille sur la porte de sa chambre et ajouta sous la phrase « PS : si quelqu’un a le numéro de téléphone portable de Dieu, qu’il me le donne. »

PS : prochain texte, dimanche.

13 août 2023

Alzheimer

Rendre visite dans un Ehpad est un miroir de nos années futures, mais au troisième étage Alzheimer, la visite débute d’une bien étrange façon. Dès la sortie de l’ascenseur, une odeur tenace d’urine. Courageuse, elle respire par la bouche et avance dans le couloir regardant de droite et de gauche, mais sans fixer son regard sur les quelques personnes qui déambulent de peur de...  mais de peur de quoi d’ailleurs ?

Elle cherche une aide-soignante, mais avant qu’elle n’en trouve une, une petite dame âgée aux cheveux blancs, mince, d’au moins 85 ans, lui dit qu’elle est infirmière - l’a-t-elle été dans une vie antérieure ? - et qu’elle peut l’aider. Son élocution est parfaite. Elle aurait presque pu croire que tel était son métier si elle avait été un peu plus jeune. Soudain une aide-soignante – très jeune, elle -  prend la vieille dame par le bras pour l’inviter à aller au réfectoire où le goûter est servi.

La résidente et l’aide-soignante parties, elle regarde devant elle et voit un monsieur très grand, très maigre, qui circule sans slip avec son tout petit zizi à l’air. Etonnée, elle se demande si elle ne doit pas le signaler, mais non, tout a l’air normal, ce monsieur est paisible et ne risque de violer personne.

Une fois entrée au réfectoire, elle découvre son amie, installée à une table pour les agapes de 16 heures. Après un petit signe de la main, son amie lui sourit et l’après-midi passe entre goûter, marche et conversation, parfois décousue, certes, mais il suffit de replacer le fil des mots dans l’aiguille à couture de la phrase pour que ceux-ci poursuivent leur voyage…

PS : prochain texte, jeudi.

9 août 2023

Le sosie

Elle était femme de sosie depuis trente ans. Un travail quotidien ou presque, car c’est elle qui s’occupait de ses costumes de scène et de la partie contact avec le public. Quel poids de suivre un sosie ! Lui vivait ça calmement depuis sa naissance – disait-il - et, même Johnny mort, le sosie continuait vivant ! Elle finissait par croire que son mari se pensait éternel et avait oublié qu’il s’appelait Claude Dufour dans sa vraie vie.

Problème supplémentaire, epuis la mort de Johnny, la guerre des sosies envahissait le territoire français et elle devait aussi jouer le rôle de coach afin d’éviter que son mari ne termine en garde à vue ou en prison. Souvent elle lui disait.

-          Arrête de te prendre pour Johnny.  Ce n’est pas dieu possible ce putain de transfert que tu fais. Je te rappelle que tu t’appelles Claude Dufour et que je m’appelle Martine Dufour. Garde les pieds sur terre Claude. Tu n’es pas le seul sosie et tu ne le seras jamais. Les autres aussi ont le droit d’exister. Pas d’insultes aux autres sosies, garde ton calme et continue tes cours de chant au lieu de prendre des cours de tir !

Son mari répondait, agacé.

-          Tu me fais chier Martine. Moi, je te dis que je suis la réincarnation de Johnny par la grâce de Dieu et que les autres sont nuls et doivent disparaître de mon territoire. Je suis le premier sosie, en âge et en qualités. Si j’ai envie d’insulter les faux-sosies, je le ferai. Et si j’ai envie de tirer, je le ferai aussi !

Elle ne répliquait pas mais un beau matin, épuisée, elle partit, sans arme et sans bagage. Lui reprit petit à petit sa vie de sosie jusqu’à mourir – un mois plus tard – d’une crise cardiaque en chantant « Retiens la nuit »*, dans son lit.

* pour écouter ce tube des années 60, c'est ici : https://www.dailymotion.com/video/x8bmte5

PS : prochain texte, dimanche.

 

 

6 août 2023

Les discours

Il avait le goût des discours et des monologues et ce, depuis la grande section de maternelle où, face au miroir de sa chambre, il écoutait les mots qui s’égrenaient de sa bouche tels des boutons de rose. Son premier long discours, il l’avait fait au CM1, en fin d’année scolaire. Il avait été désigné pour donner le cadeau à la maitresse qui partait à la retraite. On l’avait applaudi à tout rompre.

Il s’étonnait un peu que maintenant, à l’âge de quarante-trois ans, l’enthousiasme de ses « fidèles » ne soit pas le même qu’au CM1. A chaque discours – ou chaque monologue – il piochait une série de mots dans le panier à provisions présidentiel, comme il l’appelait en plaisantant. C’est ainsi que son « art de la rhétorique » se mettait en place. Les derniers mots tirés au sort avaient été : ordre, sécurité, chantier, planification écologique, erreurs, parents, éducation, violence. Il regrettait que ce dernier discours, au dire de son épouse – mais disait-elle la vérité ? -  ait été un peu moins apprécié que les précédents. Le fait de ne pas être père et de parler des « parents » lui était-il reproché ? A vrai dire, il s’en moquait éperdument. Le plus exaltant pour lui était de continuer à jouer avec sa boîte à mots devant des caméras où – habillé de son costume de scène -  il pouvait se voir et s’écouter en boucle.

PS : toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence

PS ‘ : prochain texte, mercredi.

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