Aujourd'hui Caro-carito du blog " les heures de Coton " est l'invitée de presquevoix. Il s’agissait, cette fois, d’écrire un texte en s’inspirant de la bande annonce du film iranien "une séparation" et de la chanson " Tu verras " de Nougaro.
Du défi proposé par gballand, j’ai choisi de prendre une photo et ces quatre mots : « Tu verras, tu verras… »
Italiques
« Tu verras, tu verras. » m’avait-il dit, avec son accent d’une ville que je ne connaissais pas et dont il aimait jouer. Il y avait cette porte verte, translucide, trois pièces minuscules et de la lumière sur ce lit de camp qu’il avait coincé entre son bureau et les panneaux coulissants d’une penderie. Je le connaissais à peine, comme un père que l’on voit en coup de vent depuis quinze ans et dont on aligne les photos sur la table de la cuisine des grands-parents : « Là, vous étiez à Cassis, tu avais six ans et ce petit bikini à pois lilas. » « À Noël, tu voulais tellement un jouet minable que tu avais repéré dans un prospectus de supermarché que tu as fondu en larmes quand, après avoir arraché le papier cadeau, tu as trouvé ta Barbie. » D’ailleurs, je lui avais fait la peau à cette bimbo, elle avait fini les cheveux courts et fluo, une cicatrice lui tailladait la joue droite et elle avait suivi GI Joe dans des aventures sanguinolentes.
« Tu verras, tu verras. » J’avais vite vu. Le boulot l’avait rappelé à l’autre bout du monde, une mine à ciel ouvert dans une canopée épaisse, un gars qui s’était démis une épaule, qu’il fallait remplacer. Gare de Lyon, je le regardai derrière la glace qu’il m’avait offerte. Vanille fraise. Il l’avait commandé en croyant bien faire. Ben non papa. Je n’aime plus les glaces depuis longtemps, surtout qu’à chaque fois, je te vois fondre dans l’horizon de ma petite cuillère. Tu offrais aussi à maman une glace quand tu te barrais ?
« Tu verras, tu verras. » J’ai rien vu au bout du compte, juste une clef dans mes mains et un paquet de pognon, même si j’ai dû partager avec une petite sœur que je ne connaissais pas. Dans le bureau du notaire, ça faisait des étincelles entre belle-mère n° 2 fraîchement divorcée et la baby-sitter récemment épousée et veuve aussi sec. L’une et l’autre m’auraient volontiers ouvert leur cahier de doléances. J’ai décliné l’invitation au salon de thé/glacier du coin. « J’aime pas la glace. » J’ai pris ma bagnole et je suis allée faire un tour dans le vieil appart. Je me demande pourquoi il l’a gardé, ce n’était qu’un deux-pièces dans un quartier pourri.
J’ai poussé la porte verte, translucide. Je fais le tour. Le bureau est toujours là, les livres et le vieux poste télé qui ne doit plus marcher maintenant avec la TNT. Les portes coulissantes de la penderie sont coincées. Je déménagerai ici en août. Avec Cyril, mon mec, de toute façon, c’est mort. Et puis, je n’ai pas envie de le voir entrer ici, s’arrêter devant le vieux papier peint et me sortir son grand jeu de mec qui assure, type MacGyver. Et enfin l’entendre me dire en faisant des moulinets comme si, lui, allait changer mon monde « Tu verras, tu verras… »
PS : Mon texte se trouve sur son blog.