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Presquevoix...

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27 novembre 2011

Les alexandrins

Elle faisait partie d’un atelier théâtre, un défi ; non pas à cause de son âge – elle avait 50 ans tout rond – mais à cause de sa difficulté à AR-TI-CU-LER. Quand elle avait demandé au professeur si elle pouvait dire des textes en alexandrins, celui-ci n’avait pas eu le courage de répondre par un simple non. Il s’en mordit les doigts. Pendant deux mois, tous les mardis soirs, elle déclama la même scène d’Iphigénie.

A la fin du deuxième mois, le professeur se fit porter pâle. Il ne supportait plus ces alexandrins passés à la moulinette de ses mâchoires paresseuses :


Je ne m'en défends point : mes pleurs, belle Eriphile,
Ne tiendront pas longtemps contre les soins d'Achille ;
Sa gloire, son amour, mon père, mon devoir,
Lui donnent sur mon âme un trop juste pouvoir.
Mais de lui−même ici que faut−il que je pense ?
Cet amant, pour me voir brûlant d'impatience,
Que les Grecs de ces bords ne pouvaient arracher,
Qu'un père de si loin m'ordonne de chercher,
S'empresse−t−il assez pour jouir d'une vue
Qu'avec tant de transports je croyais attendue ? (…)

26 novembre 2011

Les bonnets

Elle venait d’être embauchée au rayon lingerie d’un magasin à l’enseigne encore peu connue, mais qui promettait de l’être, vu l’innovation dont il faisait preuve en matière de recrutement. Sur son CV, elle avait dû décliner, outre ses diplômes, la taille de ses bonnets. Le 95 E avait dû leur plaire car on l’avait embauchée sur le champ, malgré sa relative incompétence dans le domaine de la vente.

Lors de l’entretien, le directeur s’était contenté de jeter un coup d’œil prolongé sur sa poitrine afin de vérifier que le E  n’était pas galvaudé. Il avait ensuite déclaré.

-    Eh bien je pense que vous serez une vendeuse parfaite. Sachez que sur votre badge, vous aurez votre prénom et, juste à côté, la taille et la profondeur de vos bonnets. Les clientes – ainsi que les clients – aiment bien savoir à qui ils ont affaire.

Elle avait acquiescé. Le Directeur lui avait serré énergiquement la main en jetant un nouveau regard peu équivoque sur sa poitrine avantageuse.


PS : texte écrit en m’inspirant de cet article dans Libération

25 novembre 2011

La mochophobie

Depuis deux semaines, il souffrait de   « mochophobie », une maladie diabolique qui l’avait terrassé du jour au lendemain, sans que rien ne puisse l’expliquer.  Il a tout de suite pris des mesures radicales. La première, supprimer tous les miroirs de la maison ;  la deuxième, prendre rendez-vous avec un chirurgien plasticien. Et pourquoi pas Ivo Pitanguy, grand ami de Carla Bruni ?

24 novembre 2011

Salle des pas-perdus

Il lui avait dit :

-    Rendez-vous salle des pas perdus.

Et elle l’attendait encore, perdant ses pas sur le dallage arpenté inlassablement.

Au matin du troisième jour, un homme l’a obligée à s'arrêter.

-    Vous n’êtes pas fatiguée de l’attendre ? Lui a-t-il dit d’une voix douce.

Elle a fait signe que non.

-     Et vous comptez l’attendre encore longtemps ?

La jeune femme n'a pas répondu. L’homme a soudain changé de ton.

-    Il ne viendra plus, il faut l’accepter.

Elle l’a regardé sans comprendre. Sur son visage, la fatigue avait laissé de longues trainées bleues pâles.

-    Ça ne sert plus à rien, a-t-il continué, venez, je vous offre un café.

Et elle l’a suivi, sans trop  savoir pourquoi…

 

23 novembre 2011

Toujours plus !

Samedi, elle l’a persuadé de lui dire qu’elle avait de l’humour, et  il a cédé, comme d’habitude. Pourtant, elle n’a  aucun humour et il en sait quelque chose. Vendredi, elle l’a supplié de lui dire qu’il l’aimait et il a cédé, comme d’habitude. Pourtant il ne l’aime plus vraiment, ou plus comme avant.  Puis dimanche, le bouquet final, il devait lui dire qu’elle était aussi sensuelle que Monica Belluci.  Et là, non, il n’a pas pu, ses lèvres sont restées closes.


22 novembre 2011

La crise

Depuis que, trois semaines plus tôt, il  était devenu ministre de l'économie de ce petit pays membre des PIGS,  les voisins le battaient froid.

Dimanche dernier, après la messe,  une mini-manifestation avait été improvisée sous ses fenêtres. Il avait clairement vu et entendu une trentaine d’hommes et de femmes, brandissant le poing et scandant des slogans hostiles : « Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie ! Dehors, dehors, les ministres et les banquiers ! ». Quelqu'un avait même cogné à sa porte d'un geste rageur et il s'était terré sous le lit en attendant que le calme revienne.

Il fallait absolument  qu’il déménage ou on lui ferait la peau…

21 novembre 2011

L’américain

Hier matin, je suis allé m'acheter un croissant à la boulangerie : " the french touch " comme on dit chez nous. La vendeuse avait des gants, ça lui donnait un air de " serial killer ". Elle a pris le croissant avec ses gants, a rendu la monnaie avec ces mêmes gants puis, toujours gantée, elle a continué à vaquer à l'organisation des gâteaux dans la vitrine, sans se poser de questions.

Etrange pays, me suis-je dit. Que font-ils d’autre avec leurs gants ?

20 novembre 2011

La lessive

Quand c’était jour de lessive, la maison résonnait de cris et de rires. Ma mère dirigeait les opérations, mes sœurs et moi exécutions. Les deux lessiveuses attendaient dans la cour, prêtes à recevoir les draps chiffonnés qui en avaient connu de toutes les couleurs ; pleurs étouffés, amours contrariés, caresses désirées, colères ressassées, les draps recelaient en leurs plis nos secrets et nos aveux.

La lessive ressemblait un peu à une campagne menée par un général – ma mère - dont le bâton, prêt à touiller le linge, s’agitait en tous sens. Ma sœur aînée était à la lessiveuse numéro un, mon autre sœur à la lessiveuse numéro deux et moi, je distribuais le linge. Plus loin, sur l’herbe, il y avait les bacs qui attendaient le linge propre.

Ce jour-là, la valse de la lessive aurait continué sur son rythme martial si je n’avais pas déplié et brandi cette serviette bleue qui s’était glissée dans le linge blanc comme par inadvertance. J’aurais pu la passer sous silence, j’aurais pu la cacher, mais au lieu de cela, j’ai hurlé de ma voix perçante.

- Berk, c’est dégoûtant, on dirait de la gélatine séchée !

J’ai vu ma sœur aînée pâlir et ma mère s’est approchée de moi le visage empourpré. Elle a observé la serviette dans ses mains rougies par l’eau des lessives, puis elle m’a donné une gifle sonore :

-          Ça, c’est pour t’apprendre à te taire. Les voisins n’ont pas besoin de savoir ce qui se passe à la maison.

-          Maintenant, dit-elle en se tournant vers mes sœurs l’air menaçant, j’aimerais bien qu’on m’explique !

Ma sœur aînée ne m’a jamais pardonnée.

 

19 novembre 2011

L’accident

Il avait survécu à un grave accident de la route et s’était promis de faire un pèlerinage à Lourdes. Cette petite médaille de la Vierge qu’il gardait autour de son cou depuis l’âge de 10 ans n’était certainement pas étrangère à ce miracle.

Lourdes l’enchanta et la visite du sanctuaire le combla. Cependant, le dernier jour, en sortant de son hôtel, il fut fauché par un car de pèlerins. L’histoire ne dit pas quelle explication Dieu lui  donna…

18 novembre 2011

La danse du hibou

Ils avaient inventé un  jeu  secret  :  la " danse du hibou ". Pourquoi avaient-ils choisi ce nom ? Peut-être à cause de la gaucherie de l’enfant qu’ils faisaient danser contre son gré.

Eux riaient et lançaient leurs petites pierres assassines.  Lui sautait, bondissait,  se cabrait, jusqu’à parfois en perdre le souffle. Personne n’avait jamais voulu voir ses larmes.

Un jour,  on le retrouva  allongé dans l’herbe, immobile, le visage livide, le corps froid.  La “ danse du hibou ” avait fait sa première victime.

 

PS : ce guide - le harcèlement entre élèves : le reconnaître, le prévenir, le traiter - publié par le ministère de l'éducation nationale est particulièrement bien fait.



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