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Presquevoix...

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13 juin 2019

Duo

Voici notre Duo de juin avec Caro. La citation choisie par mes bons soins est la suivante :

 

"Je suis trop honnête pour être poli", de Scutenaire

 

Aujourd’hui vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera mis en ligne samedi.

 

Le bal des masques

Ce sept mots, bien plus que sa voix, familière et oubliée, me font brusquement sursauter. Et aussi cette inflexion particulière, à peine mordante, et pourtant assassine. Un tremblement glacé me saisit aussitôt, la pogne du passé me vrille le corps, le ventre, agrippe ma nuque pendant un bref instant. Un instant de trop. Je dépasse le couple immobile sur le trottoir, discrètement, en tournant mon regard vers le croisement de la rue de Bucci et de la rue de Seine. Le quartier bourdonne de voitures, de touristes et de palabres. C’est l’été, Paris 6ème.

Je traverse la rue et décide de m’installer en terrasse pour mieux observer l’homme et la femme. Je scrute son visage. C’est bien lui. Dix ans ont passé depuis notre rendez-vous devant le juge, pour un divorce normalement houleux suivi d’un après endolori. Aujourd’hui, il est toujours aussi beau mec et la femme, jeune, qui l’accompagne, est moins vulgaire que ce que l’on a bien voulu m’en rapporter.

« Je suis trop honnête pour être poli. » Sa formule favorite, son mantra, sa bannière qu’il brandissait avec ce sourire arrogant, estimant que cela ferait passer toutes ses critiques, ses piques trempées dans son mal-être, les traits acérés de sa jalousie toxique. Moi, j’étais amoureuse, puis j’ai cru l’être encore, puis j’ai cru pouvoir le sauver, puis tant de choses que l’on croit… tout cela dans le désordre sans doute.  Je me suis crue une mère et ensuite une amante comme il ne voulait plus d’enfant, ou pas tout de suite, ou pendant une semaine. Je croyais et je sombrais.

Il me fallut une photo trouvée par hasard, une conversation que je n’aurais pas dû surprendre pour me transformer maladroitement en détective privé et me rendre compte, que non content de me tromper, il prenait plaisir à distiller le venin de son « honnêteté » auprès de nos proches : « Noémie ne se sent pas bien dans son corps. » « Noémie doute beaucoup. » « Noémie n’a pas d’amies véritables, comment pourrait-elle ! » « Noémie n’a toujours pas guéri de sa relation avec sa mère. Quant à son rapport au père… » « Oui. Noémie fait bien la cuisine mais le dernier osso bucco était vraiment passable, un problème de dosage dans les épices. » Je tairai le chapitre de nos relations sexuelles, de ce qui fut notre roman d’amour, du « heureusement nous n’avons pas d’enfant ».

Je préparai mon divorce comme on prépare une campagne militaire et je m’en sortis financièrement correctement. Pour le reste… je savais qu’il allait me falloir du temps, des amis, de la chance… Et je piochais dans les cartes du destin, pêle-mêle, une opportunité de carrière, quelques amants généreux apparaissant aux moments opportuns, des amitiés, des bouts de vie colorés…

Je les regarde tous deux. Elle porte le même masque que l’on retrouve sur mes photos de ces années-là : ce visage sans joie pendant un mariage où ma robe rouge ne fait pas oublier la tristesse de mes traits, cet air absent au réveillon de Noël 2005 chez les Artigues ou un regard suppliant sur un cliché pris à Londres lors de quelques jours en amoureux qui ne furent qu’ennui. C’est Anne, mon amie, qui m’en fit la remarque, en feuilletant un album que j’avais ressorti à l’occasion : « Tu as vu comme tu es triste quand tu es avec lui. » Alors, moi qui avais été jusqu’alors si mesurée, fut secouée de longs sanglots ininterrompus, tel un flux sans fin de peines s’évadant enfin hors de moi. Oui j’avais porté un masque que je n’enlevais que lorsqu’il n’était pas là. Et je gardais encore des traces de ce masque de chagrin qu’il me fallait brûler, coûte que coûte, bribe par bribe.

Je le regarde parler tandis qu’elle, la seconde épouse, semble s’enfoncer de plus en plus dans un monde hors de portée de la joyeuse rue de Bucci. Sur sa bouche fine qui embrassait si bien, sur ses traits racés, sur cet élégant masque d’arrogance…  je pourrais poser les mots de toujours : « Trop honnête pour être poli. » Ou plutôt « Trop égoïste pour être doux. Trop orgueilleux pour savoir donner. Vivant si dissimulé que l’on ne peut l’aimer, qu’il ne peut aimer, écrasant tout espoir. »

Il faut se garder des gens qui disent ne pas mentir… La sincérité, et son versant le mensonge, ne sont que des masques comme les autres.

 

Le Pain perdu 10 juin 2019 – Corinne Mennesson Llerena

 

11 juin 2019

Solution

Pourquoi faisait-elle  toujours exprès de parler quand il pensait ? Il ne pouvait plus penser tranquille dans cette maison et son coeur s’affolait comme un oiseau blessé.

« Tais-toi, je pense, tais-toi je pense, tais-toi je pense… » marmonnait-il pendant qu’elle lui parlait ; mais elle ne s’arrêtait pas. Elle ne s’arrêterait donc jamais ? Il sentait que bientôt la marée de ses mots le submergerait et il ne savait pas nager.

C’est à cause de ça qu’il l’avait assommée avec la poêle. Enfin le silence s’était fait.

9 juin 2019

Le bouquet

 

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La première fois qu’elle avait rencontré Dieu c’était  dans un bouquet de fleurs, dans le salon d’une amie. Elle lui avait demandé qui l’avait assigné à domicile, là, et il lui avait répondu : les fidèles.

-          Mais je n’en fais pas partie des fidèles, avait-elle répondu.

-           Non, pas encore, avait-il souri, mais qui sait de quoi demain sera fait ?

Elle resta silencieuse, la fidélité n’était pas son fort ; son mari le disait d’ailleurs à qui voulait l’entendre.

Pourtant, dix ans plus tard, elle entra au monastère des visitandines pour une retraite qui n’en finit pas de durer…

 

7 juin 2019

La thérapie

Ça faisait quatre mois que Manon allait mal. Elle n’arrêtait pas de me dire qu’elle avait envie de se foutre en l’air. Je n’en pouvais plus. Avec elle mes nuits étaient plus belles que mes jours, au moins elle dormait. Agacé, j’ai fini par prendre une décision : et si tu faisais une psychothérapie de soutien ; La femme de Jean en a fait une et au bout de 10 séances elle allait mieux. Je te l’offre, ce sera mon cadeau d’anniversaire.

Manon n’a pas dit non, elle n’est pas contrariante. Enfin, elle n’était pas contrariante, jusqu’à ce fameux jour qui sonna la fin de sa dixième séance.

- On dirait que ça va mieux - ai-je remarqué - tu vois, 10 séances c’est ce qu’il te fallait.

Elle m’a répondu l’air embarrassée : Oui mais…enfin… j’ai quelque chose à te dire.

J’étais un peu étonné de tant de mystères, surtout qu’entre elle et moi il n’y a jamais eu de secrets. Soudain elle s’est jetée à l’eau.

- Il faut que je te quitte. Toi et moi ça ne peut plus marcher, tu n'as pas fait de thérapie.

Je n’ai pas su quoi répondre. D’ailleurs je n’en ai pas eu le temps, elle est montée préparer sa valise puis elle est partie sur-le-champ.

Depuis deux semaines je suis seul avec la chatte - oui, elle m’a quand même laissé Louise – mais moi, je n’ai qu’une envie : me foutre en l’air.

5 juin 2019

Le rendez-vous

 

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Julien lui avait dit : « Rendez-vous à Memoranda à 10 h ».

A 10 h, il n’était pas là, ni à 11 h, ni à 12 h. Elle est sortie de la librairie avec Freud et Jung sous les bras. Les jours ont passé. Des rêves sont arrivés avec leurs revenants et leurs pays lointains. Elle a aussi rencontré un enfant perdu qui l’a terrifiée et puis elle a quitté la porte des livres pour retrouver le pays des hommes. C’est là qu’elle a revu Julien. Il ne se serait pas arrêté si elle ne l’avait pas appelé.

-          Alors ? a-t-elle dit.

-          Alors quoi ?

-          Notre rendez-vous à Memoranda il y a un mois ?

-          Ah oui, j’avais écrit le rendez-vous pour m’en souvenir, puis j’ai perdu la feuille.

-          Et le téléphone portable ?

-          Perdu aussi.

-          Je vois. Aurevoir et à jamais, sourit-elle, à moins que nous nous retrouvions au pays des rêves.

En descendant l’avenue de la liberté, elle s’est demandée comment elle avait pu aimer cette transparence qui habitait Julien des pieds à la tête. « Si loin de lui, si loin du monde », a-t-elle pensé.

Puis elle a aspiré l’air du large qui entrait en ville en passant par le port. Elle  devait partir, il était temps...

 

PS : photo prise à Caen

3 juin 2019

L’attente

-          Mais qu’est-ce qui vous prend ? Lui dit-t-elle énervée.

Il rougit et répondit.

-          Rien, je voulais juste voir.

Il y en avait eu tellement d’autres avant lui qui s’étaient aventurés pour voir : des blonds, des bruns, des laids, des beaux, des sans charme, des avec charme. Ils voulaient tous le voir ce tatouage qui plongeait jusqu’à la naissance de ses seins.  Elle se l’était fait faire chez un tatoueur de la rue St Augustin.

Deux heures à rester immobile, mais elle le ne le regrettait pas. Elle ne comptait plus les yeux qui avaient dévoré son décolleté. Elle adorait les rappeler à l’ordre en leur soulignant leur audace.

Un jour, peut-être trouverait-elle les yeux qu’elle attendait, un jour…

 

 

1 juin 2019

Les chiens

Lorsque j'étais enfant, je rêvais que je m'effaçais. Je me souviens du jour où je m’étais installée dans la niche du chien. Lui au moins, on lui fichait la paix. J’étais recroquevillée à l’intérieur depuis au moins un quart d’heure quand j’ai entendu ma mère qui m’appelait. J’ai aboyé furieusement, juste pour le plaisir, j’étais contente de jouer au chien.

J’ai continué de m’effacer à l’âge adulte, sauf hier. On m’a convoquée dans le bureau du patron pour une faute professionnelle.

-          Ce n’est pas moi, lui ai-je dit d’une voix ferme.

Mais le patron ne m’a pas cru et m’a sommé de dire la vérité.

-          Quelle vérité, la mienne ou la vôtre ? ai-je répondu

Comme il ne voulait pas m’écouter, j’ai aboyé et j’ai montré les dents. Le patron a fait pareil. J’ai continué et là, il s’est calmé.

Depuis, les choses vont mieux entre nous. J’ai donc décidé de ne pas lui garder un chien de ma chienne.

29 mai 2019

Changement

La semaine dernière, j’ai appelé un ami à son bureau. Cela faisait un an que je devais lui téléphoner et que je remettais toujours au lendemain.

-          Pourriez-vous me passer Arthur Dumont s’il vous plaît ? ai-je demandé au standard.

La fille a hésité un instant puis a fini par dire :

-          Il est mort.

Elle m’aurait planté un poignard en plein cœur que ce n’aurait pas été pire.

-          Mort, ai-je répété comme un idiot, mais ce n’est pas possible !

-          Oui, mort et on l’a même incinéré il y a une semaine, a-t-elle cru bon d’ajouter.

J’ai bêtement répondu « Merci » et puis j’ai raccroché. Ensuite je me suis morigéné intérieurement ; pourquoi avais-je attendu si longtemps pour appeler Arthur ? J’ai passé ma journée à me morfondre et puis avant de m’endormir, je me suis souvenu de la raison de mon silence : non seulement il avait flirté avec ma femme lors de notre dernier repas chez lui – un an plus tôt – mais ensuite il avait couché avec elle. Une fois, certes, mais une fois qui avait plu à ma femme puisqu’elle m’avait dit qu’Arthur était en forme.

Être en forme, pour elle, veut dire avoir de l’énergie, énergie que je n’ai plus moi-même. Il faut dire que mes hémorroïdes me rendent la vie dure et je préfère investir mon énergie au travail.

Caroline, elle, préfère le sexe au travail. Souvent elle me dit.

-          Franchement mon chéri, à mon âge, j’en profite. Tu m’excuseras de ne pas avoir les mêmes goûts que toi.

Comme Caroline était aux Etats Unis avec notre fille, je me suis dit qu’il était inutile de l’appeler. J’essaierais de joindre la femme d’Arthur le lendemain.

J’ai passé une nuit abominable et je me suis réveillé le visage blême. Je n’ai pas eu besoin d’appeler la femme d’Arthur, c’est elle qui m’a appelé. Je lui ai dit que j’avais appris la nouvelle hier, en téléphonant à son travail, et je n’ai rien pu ajouter car j’ai pleuré.

Sa femme a attendu que j’aille mieux et m’a dit.

-          Arthur m’avait dit de s’excuser auprès de toi.

-          S’excuser, mais de quoi ?

-          D’avoir couché avec ta femme.

-          Oh, tu sais, ce n’est pas très grave, ai-je menti.

-          Quand même. Arthur t’aimait bien et il s’en est voulu.

-          Et toi, lui ai-je dit, comment as-tu vécu la chose ?

-          On s’habitue, a-t-elle ajouté. De toute façon, maintenant, il est parti. D’ailleurs, le jour où il a couché avec ta femme, il savait qu’il ne lui restait plus qu’un an à vivre.

-          Je comprends.

-          Dis-moi, tu es libre demain soir ? Je veux dire toi, toi tout seul.

-          Eh bien oui, car Caroline est partie aux Etats Unis.

-          Parfait. Viens manger à la maison. On parlera du bon vieux temps.

 J’ai accepté, bien sûr, mais je dois dire que son invitation m’a paru étrange. Pourquoi m’inviter aussitôt après la mort d’Arthur? Nous nous connaissions assez peu.

Je dois dire que cette soirée, je ne l’ai pas regrettée, car depuis, j’ai repris le goût au sexe, mais pas avec Caroline…

 

PS : prochain texte, lundi 3 juin.

 

27 mai 2019

Se foutre la paix

Plutôt seul que mal accompagné, j’en ai fait ma devise depuis 4 ans, et cela semblait me réussir, jusqu’à ce que je rencontre mon ex-belle mère. Ça faisait 4 ans que nous ne nous étions pas vus, forcément j’ai divorcé il y a quatre ans. J'ai toujours détesté mon ex-belle-mère, elle aussi.

J’étais à la caisse du Monoprix, boulevard St Michel, quand elle m’a mis le grappin dessus. J’ai tout de suite pensé qu’elle m’avait abordé pour me dire une vacherie et ça n’a pas manqué.


- Alors mon petit Adrien, toujours dans le quartier ?


Elle commençait souvent ses phrases par « Mon petit Adrien », d’abord parce que je ne suis pas grand et ensuite parce qu’elle prenait plaisir à me le rappeler au cas où je l’aurais oublié.

-          Non, lui ai-je rétorqué, j’ai déménagé après le divorce, je vis du côté de la Bastille.

Et elle a continué à pépier pendant cinq minutes jusqu’au moment où elle a asséné son coup fatal.


- Mon petit Adrien, j’imagine que vous êtes encore seul. Il faut dire que vous n’étiez pas facile ; je me suis toujours demandé comment Noémie faisait pour vivre avec vous ! Au fait, elle a trouvé un garçon charmant Noémie. Vous savez qu’elle attend un enfant ?


Je n’ai pas eu le temps de lui répondre, elle est partie aussitôt après. Seulement son venin avait fait son oeuvre et elle a fini par me mettre le doute à l’esprit : suis-je si difficile que ça ?

Depuis hier, je repense à toutes celles qui m’ont quitté : Jeanne, Maud, Marie, Lisa, Charline, toutes celles qui se sont envolées, et puis merde Adrien – que je me suis dis - redresse la tête, tu ne vas tout de même pas te remettre en question à cause de ton ex-belle-mère ? Ensuite, j’ai pensé au livre « foutez-vous la paix » de Fabrice Midal, et c’est ce que j’ai immédiatement commencé à faire : je me suis foutu la paix ! Depuis, je vais mieux...


25 mai 2019

L’anniversaire de mariage

 

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La table était presque mise, il ne restait plus qu’à… Seulement, les cinq invités prévus ne vinrent pas. Chacun avait une raison, une bonne. La première se disait stressée et avait peur de gâcher la fête, le deuxième et le troisième signalèrent qu’ils se séparaient et ne pouvaient plus supporter leur présence respective, le quatrième ressassait le départ de sa compagne, quant à la cinquième, elle était malade, le rhume des foins, avait-elle dit.

Juliette et Tristan se retrouvèrent donc face à face sous les arbres du jardin et commencèrent le repas qu’ils avaient prévu à 7. Juliette sourit.

-          Dix ans de mariage. Une bonne idée de nous mettre en face à face, c’est sans doute leur cadeau.

-          Allez, buvons un verre de cet excellent château Margaux que nous prévoyions à 7. Je peux t’assurer que nous lui ferons honneur.

-          A nous, dit-elle en levant son verre, à nous et à notre chemin de vie.

Ils terminèrent leur repas, un peu grisés, heureux de constater qu’il passait un cap sans faire couler le navire alors que d’autres…

 

 

 

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