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Presquevoix...

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18 octobre 2019

Sarabande

 

 

 

 Depuis un an, elle voulait toujours qu’il lui joue la sarabande de Haendel.

-          Pourquoi ce morceau ?

-          Parce que, répondait-elle, sans jamais donner de raison.

Cette sarabande, c’était l’extase. Il comprit ensuite pourquoi : elle le quitta pour un espagnol au regard fier et mélancolique spécialiste des danses du XVIIè.

-          Lui aussi joue d’un instrument ? demanda-t-il.

-          Non, il danse.

-          Et moi ?

-          Quoi toi ?

-          Maintenant, je sors de  la scène ?

Elle ne répondit rien puis, le visage triste, elle conclut.

-          Oui mon ami, nous ne donnerons pas suite à notre couple. Que veux-tu, la vie est un théâtre permanent, l’un part, l’autre rentre…

Il mit un an à s’en remettre et élimina définitivement la sarabande de Haendel de son répertoire.

 

 

 

16 octobre 2019

Maman

Maman,

Tu as passé mon enfance à me dire « Goûte chéri » et je suis devenu monstrueux. J’étais la risée de l’école et toi tu me disais toujours « Goûte chéri » !

J’étais tellement gros et seul que j’ai voulu me suicider. Le jour où tu es entrée dans ma chambre, tes gâteaux à la main et que tu m’as vu la corde autour du cou, tu n’as rien compris, mais cette fois-là, tu ne m’as pas dit « Goûte chéri », non pas que tu aies compris, mais sous l’effet de la stupéfaction tu avais perdu la parole.

A cinq heures, quand je rentrais de l’école, tu étais toujours dans la cuisine.  Tu m’appelais de ta voix sucrée et tu me disais « Goûte chéri !». J’aurais voulu vomir tous tes gâteaux mais je n’y arrivais pas. C’est dur de vomir sa mère.

Tu me disais que je devais manger pour te faire plaisir, mais plus je te faisais plaisir, plus je grossissais et plus je grossissais, plus on se moquait de moi. J’ai toujours été le « gros lard » de service, mais toi, tu ne voyais rien, tu pétrissais ta pâte à gâteaux, tu la mettais au four et tu me disais de ta voix douce : « Goûte chéri, ils sont tout chauds ! »

Cette nuit encore tu m’as dit « Goûte chéri » ! Je me suis réveillé en sueur et j’ai hurlé :  NON ! NON ! Mais je n’ai pas pu me rendormir.

Demain, c’est ton enterrement. Je laisserai cette lettre dans le petit pot de chrysanthèmes que je placerai sur ta tombe. Maintenant que tu n’es plus là, je vais essayer de goûter la vie, parce que la vie, je ne sais même pas quel goût elle a.

Ton fils

 

14 octobre 2019

Le père

A chaque fois qu’il rendait visite à son père, il ne manquait pas de dire.

-          Saint Pilulier, priez pour nous.

Oui, à 89 ans, son père était un fervent adepte des pilules.  Il y avait les pilules qui ouvraient la nuit et celles qui ouvraient le jour. Au total une douzaine. Un jour, agacé par ces pilules que son père dévorait, il lui dit.

-          Toi, non seulement tu es hypocondriaque, mais tu veux creuser  le déficit de la sécu.

-          Non, je lutte juste pour la vie.

-          Il y a des façons plus efficaces de lutter, non ?

-          Je crois que toi tu attends l’héritage. Tu voudrais que je passe l’arme à gauche pour rejoindre ta mère au cimetière.

-          Franchement, papa ! Moi l’héritage, je m’en fous. Et puis d’abord je suis fils unique, alors… Ce que je voudrais c’est que tu n’enrichisses pas les laboratoires pharmaceutiques avec ces conneries.

Son père sourit et conclut.

-          Ah, ça tu as raison, les conneries, je connais ! Et la première c’est d’avoir épouser ta mère.

-          Tu ne vas pas recommencer. Tu voudrais que je te prenne pour un saint ? Impossible. De toutes façons, maman non plus n’étais pas à une sainte, je le sais bien, même si le curé n’a pas hésité à la canoniser dans son discours.

-          Quel imbécile ce curé, ne m’en parle pas où je vais faire une crise cardiaque !

Son fils sourit. Oui, son père avait de l’humour, parfois. Il n’y avait qu’une chose qui le gênait chez lui : son ressentiment envers sa mère. Pourquoi continuait-il à lui en vouloir après tant d'années ?

 

 

12 octobre 2019

La poudre à ré-enchanter le monde

 

 

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C’était un dimanche soir, avant de s’endormir, que son fils lui avait parlé de la poudre à ré-enchanter le monde. Certes, à 10 ans, il était aussi rêveur que dans sa petite enfance, mais elle ne put s’empêcher de lui demander.

-          Et où elle se trouve ?

-          Dans une boutique.

-          Et où elle est cette boutique ?

-          Au fond d’une rue où je suis allée pour voir la maison où habite Hugo.

Elle le regarda attentivement. Il avait à côté de lui une bande dessinée de Tintin qui l’accompagnait toujours avant d’entrer dans le monde du sommeil. Tintin était son ami d'enfance.

-          Alors tu es entré ?

-          Oui, et j’ai rencontré d’autres trucs, comme le fil pour rafistoler nos vies, pas mal hein ? Et puis, j’ai trouvé un truc pour l’anniversaire de papa. Une baguette magique qui dit «  Elle réalisera tout ce en quoi tu crois le plus mais il faudra y travailler pour y arriver ».

Elle éclata de rire. Elle aussi en aurait besoin de cette baguette magique, mais en quoi croyait-elle vraiment ? Cela demandait réflexion.

-          Mais dis-moi, et toi, tu l’as acheté la poudre à ré-enchanter le monde ou tu attendras Noël ?

Il resta un instant silencieux puis conclut.

-          Bof, j’attendrai Noël parce que je sais pas encore comment ré-enchanter le monde. Et puis, j’en veux deux, au cas où je ferais une bêtise.

Elle sourit. Un amour d’enfant, enfin, parfois. Elle l’embrassa, lui souhaita une bonne nuit et un bon voyage au pays de Tintin.

 

PS : photo prise dans une très jolie boutique, à Nancy, il y a trois ans et demi.

10 octobre 2019

le café du coin

Au café du coin, Michel discutait au comptoir avec un type assez jeune que personne ne connaissait à part lui ; c’était le fils d’un ami d’un ami  dont il ignorait même le prénom.

- Moi, disait Michel, fier de lui, je suis  anti-immigration et anti-Europe, et je peux te dire que je me gênerai pas pour voter RN s’il le faut !

L’autre lui répondit l'air moqueur.

- Et anti-connerie, non ? Tu devrais essayer, ça ferait du bien à ton cerveau anti-social.

Michel ne répondit pas et but d'un coup le reste de sa bière. L'autre ajouta.

- Et les inégalités, t'en penses quoi ?

- Quoi j'en pense quoi ?

- Et bien les retraites  par exemple ?

- Bon, allez, ta gueule, répondit Michel, tu me fatigues et en plus tu comprends rien à rien.

Le jeune homme se dit que si  ce vieux voulait foncer droit dans le mur, qu’il y aille, lui avait assez à faire avec les mecs anesthésiés au boulot.

-  Allez, je te pais ta bière et je te laisse même le journal l’humanité, un cadeau. C’est beau l’humanité, non ? Et puis ça informe mieux que le Rassemblement National !

Il sortit du café sous le regard des habitués du matin. La journée commençait sous un soleil pâle et il se demandait comment elle se finirait…

 

8 octobre 2019

Le comptable

Il passait ses nuits à pédaler ; l’enfer. Le matin, il se levait exténué, le pyjama à tordre. Il finissait par avoir peur de s’endormir, sûr qu’il aurait encore un ou deux cols à franchir dans la nuit. Mais le pire, ce n’était pas les côtes, c’était les descentes : il avait peur des sorties de route.

La nuit du 13 mars, il s’était réveillé juste au moment où il ratait un virage dans une descente vertigineuse. Il n’avait pu se rendormir qu’à 5 heures et son réveil avait sonné à 6 heures 30.

Quand il était arrivé au travail, ses collègues s’étaient étonnés de son visage défait. Mais le coup de grâce, c’est son chef de service qui le lui avait donné.

-          Dites donc Dormien vous avez une bien mauvaise mine ce matin. Votre femme, par contre, elle a l’air radieuse, je ne sais pas ce que vous lui avez fait…

Dormien répondit abattu.

-          Je ne lui fais plus rien, monsieur, elle m’a quitté. Elle est partie avec un coureur cycliste. A croire que les coureurs cyclistes lui réussissent mieux que les comptables.

Le chef de service, confus, répondit maladroitement.

-          Désolé Dormien, je savais pas que… désolé, vraiment… désolé.

Et il quitta Dormien aussi vite qu’il le put.

 

6 octobre 2019

Le parcours du combattant

Son père était un héros et sa mère  une sainte. Enfin, c’est ce qu’il disait depuis qu’ils étaient morts. Curieusement, il avait oublié que, son père vivant, il l' avait souvent traité de « sale égoïste » ; quant à sa mère, il lui reprochait d'accepter son statut d' esclave et, bien sûr, il ne l'avait jamais aidée.

Maintenant, à 60 ans passés - mais toujours aussi "jeune" -  il attendait sa mort avec impatience pour retrouver sa sainte mère au ciel.

 

4 octobre 2019

Les opposés

Elle l’avait rencontré dans un café près de la gare du Nord, un dimanche. Lui, il lui avait parlé parce qu’elle ressemblait à une ancienne amie, disparue, et ensuite parce qu’elle lui avait souri. Ils avaient discuté de tout et de rien jusqu’à ce qu’elle lui dise.

-          Je suis anti-flic depuis toute petite. Mais bon, je ne sais pas pourquoi je vous dis ça.

Il avait répondu.

-          Moi, il y a un truc que je n’aime pas, c’est la couleur jaune.

Elle avait souri et il lui avait demandé pourquoi.

-          Eh bien je suis gilet jaune, alors…

-          Ah ! Pour ne rien vous cacher je suis flic.

Ils se regardèrent en silence, puis il avait fini par avouer.

-          Vous savez, je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils nous demandent de faire au gouvernement.

-          Alors, dites-le-leur ou arrêtez d’être flic !

-          Facile à dire, mais après ?

-          Après est un nouveau jour.

Et après avait été un nouveau jour où le jaune, le bleu, le blanc et le rouge avaient hissé pavillon sur le voilier de la liberté...

 

2 octobre 2019

Le prince

 

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Arrivée devant le restaurant qu’elle avait connu vingt ans plus tôt, elle prit une photo. Le Prince avait fermé ses portes. Elle  avait connu un autre  prince, elle, un vrai, mais il avait disparu de sa vie.

 D’ailleurs, ce restaurant, elle y était entrée avec lui la première fois, et c’est lui qui l’avait invitée. Il lui avait dit en souriant.

-          Pour celle que j’aime, qui n’est pas une vraie princesse mais qui mériterait de l’être.

A l’âge qui était le sien à l’époque –  23 ans – elle avait été touchée de ce compliment qu’aujourd’hui elle trouverait stupide. Être aimée d’un prince, et un si beau prince, n’entrait-elle pas ainsi dans un monde onirique ? Hélas, le rêve avait vite fermé ses portes.

Elle se souvint soudain de cette surprenante remarque qu’il lui avait faite, une fois le menu choisi.

-          Je t’aime et tu n’aimeras que moi, toujours.

Elle en avait été touchée, bien sûr. Mais trois ans plus tard, elle mettait fin au conte de fée qui l’avait épuisée.

Jamais plus elle n’avait eu de ses nouvelles. Peut-être était-il reparti chez lui, dans un pays dont elle avait oublié le nom. Peut-être avait-il disparu ou, peut-être n’avait-il jamais existé. Qui sait ?

 

PS : photo prise à Saint Leu la forêt, dans le Val d’Oise, non loin de la maison des parents d'une amie qui, l'un comme l'autre, ont disparu.

 

30 septembre 2019

le mari

Aujourd'hui, au petit déjeuner, j'ai dit à mon mari qu'il m'était apparu dans un rêve. Il m'a tout de suite demandé.


-    Et je servais à quoi ?

C'est fou comme mon mari veut toujours servir à quelque chose. Je me demande d'où lui vient cette manie, mais lui ne se demande rien. Evidemment, se demander veut dire s'interroger et ça, c'est la porte ouverte vers l'inconscient ; un truc qui n'existe pas, me dirait-il, alors pourquoi ouvrir une porte sur le vide ?

J'ai fini par lui répondre, évasive.


-    Oh, tu avais juste un rôle de figurant.


Il n'a rien rétorqué, mais en voyant sa mine déconfite je me suis sentie coupable. Il faudra vraiment que je surveille mieux mes rêves...

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