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Presquevoix...
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7 avril 2010

La différence

A chaque fois qu’elle se promenaient main dans la main avec lui, on chuchotait, on commentait, on s’agitait. On aurait pu les prendre pour mère et fils mais souvent ils s’embrassaient à pleine bouche, comme par provocation.
La dernière fois, au restaurant, le garçon  avait même demandé ce que voulait son fils. Lui avait eu un fou rire et il avait ajouté :
- C’est vrai que je pourrais être ton fils. On a plus de 20 ans de différence…
Le  visage de Marie s’était soudain rembruni. Elle l’avait regardé émue, son visage imberbe, sa peau si lisse, sa moue enfantine, ses yeux  doux, sa soif d’être. Comment pouvait-elle lui faire ça ?
- Ça ne va pas ? Lui avait-il dit soudain inquiet
- Mais si, pourquoi ça n’irait pas, répondit-elle dans un sourire.
Elle se resservit un verre de vin rouge,  lui prit la main et  chuchota :
- Je t’aime.

6 avril 2010

Le libraire

P7280181Une fois par semaine elle allait à la librairie Lello, non pour les livres – elle ne lisait que peu - mais pour le libraire.  Il n’avait pourtant rien de remarquable, mais son insignifiance même et ses lunettes rondes cerclées d’or la transportaient dans un univers onirique. La nuit, il lui apparaissait chevauchant sa monture de papier dont il descendait pour lui raconter  les romans qu’elle n’avait jamais lus  et, à la fin de chaque histoire, son corps transparent s’unissait au sien dans un froissement de pages. Sa vie s’écrivait au fil de ses rêves et quand elle descendait l’escalier rouge de ses nuits, dans les bras de son chevalier de papier, elle avait toujours une robe étoilée où se reflétaient les eaux du Douro. Le libraire ne l’avait pas encore remarquée et elle ne s’en offusquait pas. Elle avait tout son temps. Un jour elle lui parlerait, un jour peut-être. Pour l’instant elle préférait tourner les pages de ses rêves…

PS : photo de l’intérieur de la librairie Lello de Porto, prise par C.V. en juillet 2008

3 avril 2010

Le portable

Vendredi, en cours, je remarque une élève le regard fixé sur ses genoux. Je me déplace vers elle en rasant les murs et que vois-je ? Son portable allumé et ses petits doigts agiles qui s’agitent sur l’écran. Je lui dis d’un ton sec :
- Vous connaissez le règlement intérieur ?
Elle me répond stoïque qu’elle ne se sert pas de son portable. Etonnée j’enchaîne :
- Ah bon et ce doigt qui bougeait sur le portable ?
- J’enlevais une étiquette, me répond-elle effrontément.
Alors là, évidemment, que faire sinon s’effondrer ou hurler de rire ! Parfois je me dis qu’il faudrait une caméra qui filmerait en permanence. Nous aurions alors quelques scènes savoureuses de vie de classe. De quoi faire plusieurs montages à visée didactique intitulés : « il faut le voir pour le croire ! »

2 avril 2010

L’opération

Elle attendait dans la salle juste à côté du bloc opératoire - on devait lui poser une prothèse de la hanche - seulement l’isolation du bloc laissait à désirer. Elle entendit d’abord les voix énervées du personnel, puis le bruit lancinant de la  scie et enfin  des coups de marteau qui firent trembler la cloison. Elle appela au secours, en vain. Allait-on lui faire subir le même sort ? Elle voulut se lever, mais le sédatif qu’on lui avait donné commençait à faire de l’effet…

30 mars 2010

Le mensonge

Je raconte souvent des mensonges, juste pour me rendre intéressante. Il faut bien que je trouve des trucs sinon on me regarde jamais.
Hier par exemple, je leur ai dit un truc, je crois que j’y suis allée un peu fort : j’ai dit qu’on m’avait violée ! Ça m’est passé par la tête comme un flash et je me suis dit « Vas-y Cindy, tu vas voir, ça va jeter un froid et ils vont tous s’occuper de toi. » Ça a pas loupé, même Mélissa, la  pute de service qui se prend pour un top model, elle a pas pu s’empêcher de me regarder alors que d’habitude elle se fout de moi.
Seulement, maintenant je suis dans le bureau de l’assistante sociale et j’ai envie de vomir. Je peux quand même pas lui raconter que mon père m’a violée alors que c’est pas vrai !

23 mars 2010

Amitié ?

Elles se voyaient depuis 20 ans, une fois par semaine, pour le thé ; l’une ronde, l’autre maigre, l’une taciturne, l’autre volubile.
- Les Français sont minables ! disait souvent l’une.
Quand elle avait dit ça, elle avait tout dit. Un dicton ponctuait aussi ses conversations :
- Les chiens ne font pas des chats ! 
L’autre écoutait sans rien dire, mais qu’aurait-elle pu dire ? Elle se contentait de laisser glisser des silences qui ne duraient jamais car sa partenaire, insatiable, continuait à enfiler les clichés comme des perles.
Leur conversation se terminait souvent dans la pénombre de ces fins d’après midi où les thés fument dans les tasses et où le  temps ressasse la vie de ceux qui ne savent plus vivre.

19 mars 2010

La montre

Hier, j’ai oublié ma montre chez moi. Je déteste oublier ma montre. Il suffit que je n’en aie pas pour avoir la sensation d’être en retard.  Quand je suis arrivée sur le quai du métro, n’y tenant plus, je me suis adressée à un type qui n’arrêtait pas de regarder la sienne et de se la mettre à l’oreille.
- Vous auriez l’heure s’il vous plaît ? Lui ai-je dit.
Question bête, je vous l’accorde, mais je manque souvent d’imagination dans la vie de tous les jours. Il m’a répondu les yeux hagards :
- Chut, ma montre me parle !
Je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter :
- Et qu’est-ce qu’elle vous dit  ?
Il m’a dévisagé l’air furieux, comme si je le dérangeais en plein travail :
- Elle me dit que vous devriez vous mêler de ce qui vous regarde. Et à votre place, je ferais attention, parce que s’il me prend l’envie d’appuyer sur le détonateur…
Je n’ai pas demandé mon reste et j’ai marché à grandes enjambées jusqu’à l’autre bout du quai…

18 mars 2010

Les truffes

La veille, elle avait acheté 100 grammes de truffes dans une boulangerie. Après avoir mis les 1OO g dans un petit sachet transparent la boulangère - blonde, ronde et rose jusqu’à l’écœurement - le lui montra en disant d’une voie suraiguë  :
- Voilà 100 g, j'en mets plus peut-être ?
- Non merci, ça suffira, répondit-elle d’une voix neutre.
- C'est pour offrir ?
Que voulait-elle dire avec « c’est pour offrir » ? Voulait-elle lui signifier qu’elle se montrait pingre ? Elle en aurait juré. Ce n’était pas la première fois qu’elle remarquait la petitesse des commerçants.
Elle répondit poliment « Non, c'est pour moi, merci. »
Elle paya et sortit la tête haute.

17 mars 2010

Le collectionneur de moulins à café

Depuis deux ans il collectionnait les moulins à café. Sa femme ne supportait plus ces moulins qui trônaient dans les endroits les plus improbables. Il en avait même mis un aux toilettes. Allez savoir pourquoi !
Et s’il n’y avait eu que les moulins à café, mais non ! Depuis 30 ans qu’ils étaient mariés, elle lui avait connu la passion des voitures miniatures, des capsules de bouteilles, des couteaux de poches, des boutons de manchettes, des cartes postales…
Quand elle se plaignait à sa voisine, celle-ci lui répondait avec son bon sens coutumier :
- Tant qu’il ne collectionne pas les femmes !
Mais justement, ne les collectionnait-il pas aussi ? La dernière fois, en prenant sa veste, elle avait incidemment mis la main dans sa poche et elle avait trouvé des préservatifs fluorescents. Ce n’était certainement pas avec elle qu’il allait les utiliser…

PS : texte écrit après avoir vu la collection de moulins à café de Latil

15 mars 2010

Le lanceur de couteau

Elle avait grossi de trente kilos, pour lui :
- J’aime les femmes bien en chair, lui avait-il dit.
Un an plus tard, il la voulut mince. Elle essaya de maigrir, en vain. Il la quitta. Par trois fois, elle tenta de se suicider, peine perdue, la vie lui collait à la peau comme un vieux gant usé.
Elle se résigna à vivre, triste et grosse, jusqu’au jour où elle rencontra un lanceur de couteau. Chaque soir, il faisait le tour de son corps avec ses quarante couteaux et chaque soir, elle vivait le grand frisson de la vie.

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