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Presquevoix...
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9 avril 2019

Ecrire

Il l’avait reçue rapidement, suite au livre qu’elle lui avait envoyé. Elle ne le connaissait pas, ou peu, c’était l’ami d’un ami qu’elle avait rencontré lors d’un dîner. On l’avait assise – elle,  l’âme seule -  à côté de lui et ils avaient parlé littérature. Il était éditeur, elle souhaitait publier afin de fuir un travail qui l’épuisait.

Lorsqu’il l’avait reçue dans son bureau, un mois plus tard, il lui avait dit.

-          Pour faire rire, il me semble qu’il faut être capable de rire de soi, ne croyez-vous pas ? C’est ainsi qu’on voit si ce qu’on écrit est à hauteur humaine.

Elle n’avait rien répondu et il avait continué.

-          Il me semble, je me trompe peut-être car je ne vous ai vue qu’une fois et lue qu’une fois, qu’il vous manque encore ce petit élan qui permet de sortir de ce qui nous tourmente et nous enferme.

-          Si je comprends bien, vous trouvez que ce que j’écris est ennuyeux ?

-          Non, mais votre roman est à travailler et retravailler afin qu'il respire mieux.

Sa dernière remarque faisait couler en elle une rivière de larmes et elle savait que rapidement, cette rivière inonderait son bureau. Elle se leva et répliqua, avant de fermer la porte.

-          Merci de vos conseils. Par ailleurs, n'y aura-t-il qu'un humour, le vôtre ?

Il préféra se taire. Il aurait certes pu être cruel et ajouter que son roman l'avait  ennuyé à mourir.

Ecrire, certes, mais quoi et comment ? pensa-t-il intérieurement.

5 avril 2019

La traversée

Il vivait dans un monde englouti, naufragé volontaire d’un bateau qui avait perdu son équipage. Devait-il survivre ? Et s’il survivait, quel morceau jouerait-il en solo ? Il l’ignorait.

I WISH YOU WERE HERE *, n’arrêtait il pas de fredonner, mais l’entendait-elle, celle qui l’avait épuisé ? Cette femme dont l’esprit  hésitait entre je, je et moi-même. L’autre chez elle n’existait pas car elle n’avait jamais vu qu’elle, dans ce miroir où elle se regardait jour et nuit.

Quant à lui, être au jeune corps usé,  il poursuivait son chemin sur la mer, un chemin que nul ne comprenait, pas même lui. Peut-être qu’un jour – par peur d’être dévoré -  il  accepterait la solitude, celle qui vous fait découvrir le côté obscur de la lune, vous étreint, puis rit de vous voir pleurer, ému de cette rencontre…

 

*J’aimerais que tu sois là

 

 

14 mars 2019

Ecrire

La première chose qu’elle lui avait dite en la croisant  au supermarché, juste après lui avoir demandé des nouvelles de ses enfants et de son mari, c’est qu’elle avait rassemblé ses morceaux.

-          Tes morceaux ? Mais tes morceaux  de quoi ? avait répondu son amie étonnée.

-          Mes morceaux pour écrire, avait-elle souri.

-          Ah bon, tu écris ? Mais quoi ?

-          Des histoires à dormir debout, bien sûr !

Son amie n’avait pas réagi, les yeux fixés sur  sa liste de courses.

-          Tu m’excuseras Hélène, mais j’ai tellement de trucs à faire aujourd’hui qu’il faut que je me dépêche. Envoie-moi un de tes textes par mail, d’accord ?

Elle remarqua que Marie traversait rapidement le rayon fruits et légumes pour se diriger vers la caisse.  A quoi rimait cette fuite éperdue ? Décidément, le quotidien suintait l'ennui.

Elle avança lentement vers la caisse et  se rendit compte, émue, que son esprit voyageait au pays des mots. Aussitôt,  phrases et voix  déployèrent ombres et couleurs et, des êtres inconnus jusqu'alors lui demandèrent d'écrire leur vie ; peu importaient le temps, le lieu ou l'espace, elle serait la seule à décider. Une telle confiance la fit pleurer. Etait-ce un rêve ou le début d'une autre vie ?

 

 

 

 

26 février 2019

Fin

Souvent elle se demandait pourquoi il haïssait les autres. Quand un jour elle lui a posé la question, il s’est contenté de lui dire que c’était les autres qui le haïssaient.

L’affaire en est restée là, jusqu’au jour où il a  assassiné sa mère.

Quand elle lui a rendu visite en prison, elle lui a demandé.

-          Pourquoi ta mère ?

Il l’a regardée le visage fermé.

-          Elle l’a cherché.

-          Mais qu’est-ce qu’elle avait fait ? a-t-elle insisté.

Il n’a rien répondu, comme souvent.

-          Mais tu as donné cinquante coups de couteau !

-          Et alors ?

-          C’est beaucoup.

-          Elle m'avait énervé.

Elle n’a rien compris, comme d'habitude. Mais pouvait-il lui dire quelque  chose alors qu’il ne lui avait jamais rien dit ?

C’est ce jour-là qu’elle a arrêté de le voir, définitivement ; elle n’était pas née pour haïr son prochain.

 

12 février 2019

La clef

 

 

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Elle ne trouvait plus la clef du paradis. Pourtant, afin de ne pas la perdre, elle avait demandé une grande taille chez le serrurier.

Peut-être  avait-elle été volée, mais par qui ? Son mari ? Non, il ne croyait pas au Paradis ; ses enfants ? Non, ils avaient disparu il y a longtemps déjà ; ses amis ? Non, ils étaient morts et enterrés en elle ; ses parents ? Non, son père n’avait jamais existé et sa mère vivait si loin qu'elle ne la voyait plus.

Alors, où était-elle cette clef ? Elle se souvint soudain que son dernier rêve l’avait transportée dans un étrange paysage où deux goélands  l'avaient accusée de posséder une clef que seul Dieu pouvait garder. Elle avait voulu leur dire qu'elle n'était pas coupable  mais elle était restée muette. Juste après leur départ une femme, dont la voix évoquait le bruit de la mer,  avait murmuré à son oreille : « N’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne. »* .

Lorsqu'elle s'était réveillée, son corps tremblait et son coeur battait la chamade. Ce rêve signifiait-il qu'il était temps pour elle de préparer son dernier voyage ?

 

*phrase extraite de Devotions upon Emergent Occasions, 1624,  de John Dole

PS : prochain texte en ligne : vendredi 15 février

 

 

10 février 2019

L’inconnue

Jamais je ne l’avais vue sans ses aiguilles à tricoter. Je me suis tout de suite demandé pourquoi elle les transportait toujours dans son sac rouge. N’allez pas croire que je la suivais partout. Non, bien sûr que non, mais souvent je faisais un bout de chemin avec elle, sans qu’elle le sache. J’ai toujours aimé suivre des inconnues.

Seulement maintenant, ce n’est plus une inconnue pour moi, je sais que ses aiguilles ont tué. Qui, je ne sais pas, où, je ne sais pas non plus, mais la lettre qu’elle a laissé sur le banc où je m’asseyais est très claire. Ce sera donc le début de mon roman…

 

 

2 février 2019

Disparition programmée

Dis-moi,  tu l’as vue ? Ne me dis pas que tu ne l’as pas vue, parce que c’est dingue ! Pourquoi c’est dingue ? Mais parce qu’elle a changé. Comment ça tu ne comprends pas ? Eh bien je vais te le dire tout de suite. Toute sa vie durant, elle s’est demandée comment on pouvait avoir du vague à l’âme, comment on pouvait voir la vie en noir, comment on pouvait demander de l’aide aux autres, comment on pouvait ne pas se secouer, comment on pouvait être déprimée, comment on pouvait se suicider, et maintenant : l’inverse ! Tu ne comprends pas ? Eh bien maintenant, c’est elle qui est déprimée ! Pourquoi ? Je n’en sais rien moi, ou plutôt  j’imagine. Sans doute parce qu’elle est nostalgique. De quoi ? De la seule chose dont elle garde un souvenir merveilleux : son enfance. Tu me demandes si elle a des regrets ? Ah les regrets, ça ne manque pas. Mais bien sûr, ça ne concerne pas l’attitude qu’elle a eue envers les autres. Non, les regrets qu’elle a, c’est son incapacité face au quotidien, raison pour laquelle, elle n’a peur que d’une seule et unique chose : que son mari disparaisse avant elle !

27 janvier 2019

Le rendez-vous

Elle avait connu la fabrique des imposteurs lors d’une visite dans les quartiers bourgeois de la ville et elle avait voulu s’y rendre, allez savoir pourquoi ? Etait-ce parce qu’elle-même faisait partie de cette catégorie-là ?

Lors du premier rendez-vous, elle fut étonnée par les gens présents. La conférence s’intitulait : « l’homme capital humain ». Le public, presque uniquement masculin, était composé d’hommes pour qui le costume semblait une seconde nature. Les visages étaient jeunes - bien rasés - et leurs yeux, souvent bleus, la percèrent du regard dès son arrivée.

Il n’y eut pas de second rendez-vous. Elle s’en dispensa car, ces imposteurs-là, venaient d’un monde qui n’était pas le sien et jamais ne le serait ; non parce qu'ils étaient bourgeois – elle-même était née dans ce monde-là -   mais parce qu'ils croyaient que l'intelligence n'avait qu’un seul sexe.

28 décembre 2018

Le dernier plan suicide

J’ai au moins douze plans pour me suicider*. Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort. Pour l’instant je n’en ai parlé à personne. Pour une simple raison : il suffit que vous parliez de votre envie de vous suicider pour que tout le monde vous dise que la vie vaut la peine d’être vécue. Foutaise ! La vie ne vaut la peine de rien du tout et ils le savent bien, c’est pour ça qu’ils clament le contraire.

 Le jour où j’ai trouvé mon douxième plan-suicide, je n’en croyais pas mes yeux, j’étais arrivé à la perfection. Je préfère ne pas vous énoncer mon plan, par précaution. Les pilleurs courent la toile, vous le savez comme moi.

 Je peux juste vous dire une chose :  je passerai bientôt à l’acte, non pas le 31 décembre, mais peut-être le premier janvier. Il me reste simplement  à parfaire ma mise en scène, c'est important pour moi.

 Je ne sais pas qui me trouvera. Ce ne seront pas mes enfants, je n’en ai pas ; ni ma femme, je vis seul ; ni ma mère, elle est morte ; ni mon père, il ne m’a jamais reconnu ; ni mes amis, je ne m’en connais aucun ; ni mes collègues de travail, je suis au chômage. Peu importe, mais celui ou celle qui me trouvera ne m’oubliera jamais, j’en suis sûr ; et c’est pour moi une bénédiction.

 

* phrase de Benjamin Vautier

16 décembre 2018

Se soumettre ou agir

Dans la famille on était subalterne de père en fils. Personne n’avait jamais failli à la règle, sauf lui.

-          Subalterne, jamais ! avait-il dit à son père.

-          Mais tu te prends pour qui ?

-          Un homme.

Son père était sorti de table en vociférant. Pas de dessert pour moi, avait-il dit, je ne mange pas avec des anarchistes. Et lui avait fini de manger avec sa mère qui était restée silencieuse.

Alors qu’elle débarrassait la table il lui avait demandé.

-          Toi aussi tu penses comme lui ?

-          Non. A vrai dire je déteste deux choses : mon patron et mon salaire, mais que faire ?

-          Résister. En tout cas, moi, je ne serai jamais un larbin.

Sa mère sourit tristement et conclut.

-          C’est vrai que l’on vit dans un monde inhumain. Tu as raison de ne pas accepter ça.

Il observa sa mère. Pouvait-elle, un seul instant, penser différemment de son mari ? Il ajouta.

-          Tu sais, les gilets jaunes, c’est notre force !

-          Je suis d’accord avec toi. Se soumettre de père en fils, cela mène à la catastrophe.

-          Pourquoi tu ne manifestes pas ?

Elle aurait voulu lui dire que oui, elle manifesterait bien sûr, mais elle ne pouvait pas encore agir, peut-être qu’un jour…

 

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