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16 mai 2023

Le sommeil

Elle lui avait dit qu’elle ne dormait jamais – ou tout au moins le pensait-elle – car elle avait peur de ses rêves. Son cœur sentinelle attendait l’heure à laquelle la vérité allait se dire. Et, souvent elle ajoutait, en le regardant droit dans les yeux.

- Moi je suis hostile aux leurres de vérité.

Un jour, il lui avait répondu en souriant.

-          Le divin et le divan sont les deux horizons de l’humain. Moi je préfère le divan. D’autres préfèrent les actes de contrition.

Il avait pensé que cette petite phrase pouvait être un chemin léger dans l’univers austère de cette jeune femme aussi blanche qu’une neige éternelle. Ce fut un échec car elle répondit, l’air sérieux.

-          Je n’aime pas le divan, je risquerais d’y dormir. Quant au divin, je n’en dirai rien.

C’est au bout de trente jours qu’il avait arrêté de la voir, et pour une raison très simple : depuis qu’ils sortaient ensemble, il perdait le sommeil.

Le mot FIN fut d’une efficacité redoutable. Jamais plus il ne pensa à elle et ses nuits redevinrent aussi belles que ses jours.

 

PS : prochain texte, mardi.

 

13 mai 2023

A quoi ça sert la vie ?

Elle passait ses journées à écrire, enfermée entre quatre murs gris.

-          Pourquoi t’écris ? lui demandait Nicole, dans la cellule à droite de la sienne.

Elle ne lui répondait rien. La vie de Nicole était faite de pourquoi, mais elle n’écoutait jamais les réponses données.

Elle, elle savait parfaitement pourquoi elle écrivait : pour avoir une vie qu’elle n’avait plus depuis vingt ans, si ce n’était celle que lui donnaient les murs de sa cellule, de la cour intérieure ou ceux de la buanderie où elle entrait le linge dans la machine à laver des vies carcérales.

-          Un espoir de sortie ? Lui disait parfois Josette, sa voisine de gauche, 65 ans et trente ans de prison.

Elle répondait invariablement.

-          On verra ce que dit le juge d’application des peines ; mais d’abord, est-ce que je suis prête ?

-          On n’est jamais prête, lui répondait toujours Josette.

Mais Josette ne savait qu’une chose de sa vie à elle, et elle, une seule chose de la sienne : Josette avait tué sa fille et elle, elle avait tué son connard de mari. C’était tout, et cela suffisait-il pour se comprendre et comprendre à quoi sert la vie ?

 

PS : prochain texte, mardi.

2 mai 2023

La colère

Lors du diner, après avoir fini son fromage et avoir entendu les récriminations habituelles de sa femme, il lui a dit d’une voix calme.

-          Je crois que ce n’est pas d’un mari dont tu as besoin, mais d’un psychiatre.

Le journal télévisé venait juste de se terminer et le président de la République avait annoncé sa nième réforme. C’est sans doute pour cette raison qu’elle a conclu.

-          Comme notre président, donc ; car lui, ce n’est pas d’un peuple dont il a besoin, mais d’un hôpital psychiatrique. Et toi, Claude, de quoi as-tu besoin au fait ?  

Il l’a observée, a plié sa serviette en quatre, a débarrassé la table, puis la colère qui faisait son chemin de croix depuis des années est arrivée au sommet et il a hurlé.

-          J’ai besoin de solitude, putain, de solitude !

Marie a enchaîné.

-          Eh bien, pars au pays des sourds avec notre abruti de président, et surtout, ne revenez pas, ni l’un, ni l’autre, ça nous fera des vacances ! a-t-elle répondu avant de claquer la porte de la maison derrière elle.

 

PS : prochain texte, samedi.

4 mars 2023

Le tunnel

Il s’était séparé d’elle le premier janvier au soir, sans même le lui avoir dit la veille, il faut dire qu’il avait si peu de courage et d’imagination. Récapitulation des faits, se répétait-elle à longueur de journée depuis un an : le 31 décembre au matin, chez lui, j’ai préparé une dinde avec amour et on l’a mangée ensemble avec quelques amis, dont celle qui a pris ma place. Le premier janvier, je pars à trois heures du matin de chez lui pour dormir chez moi, puis je reviens le soir du premier janvier pour manger, avec lui, le reste de dinde préparée avec amour. Bien sûr, nous devions être en tête à tête. Résultat, le premier janvier au soir, elle est là, avec ses valises, pour s’installer chez lui, dans sa chambre, alors que deux jours plus tôt, elle vivait avec son mari à un kilomètre de là. Et, ce mufle  à eu le culot de me dire « Tu peux manger avec nous, mais peut-être que tu ne seras pas très à l’aise car Christine va venir vivre chez moi. »

Un an que son cerveau s’obstinait à mettre en place ce puzzle, mais il lui manquait deux cases, ces fameuses cases de vide.

Sous les conseils de plusieurs amies, elle avait commencé une thérapie, mais, même à raison de 45 minutes par semaine et de 50 euros par séance, elle avait toujours deux cases de vide et, en plus, elle avançait dans un tunnel noir dont elle voyait difficilement la sortie, loin, très loin, si loin ; et elle se cognait toujours aux murs, étroits, très étroits, si étroits…

 

PS : prochain texte, mercredi.

1 mars 2023

Au Sénat

En ce mercredi frileux, vêtue de noir, elle est entrée au sénat par la petite porte. Grâce à la carte volée à l’amie d’une amie qui était sénatrice, elle s’est permis, en grandes pompes – de fait elles étaient rouges - de prendre la parole au micro devant la respectable assemblée réunie afin d’évoquer le projet de loi de réforme des retraites. D’une voix retentissante, travaillée pendant deux semaines avec un professeur de chant, elle avait dit lentement le texte suivant :

« Pour régler le problème des retraites, envoyons donc notre Président et ses ministres un mois durant travailler à des postes différents. Pourquoi pas Aide-soignant en EHPAD pour notre Président, aide à domicile pour notre première ministre, maçon pour notre ministre du travail, gardien de prison pour notre ministre de la justice, Auxiliaire Vie Scolaire pour notre ministre de l’éducation nationale, caissier pour notre ministre de l’intérieur… Ainsi équipés je pense que notre gouvernement aborderait différemment le problème des retraites et que nous reviendrions rapidement à la retraite à 60 ans ! Par ailleurs, que dire de nos sénateurs dont la retraite, pour un mandat de 6 ans, est de 2.190 euros nets. N’est-ce pas honteux ? »

C’est au moment où le mot « honteux » a été prononcé que la police est intervenue pour la menotter et l’envoyer en garde à vue ; mais, avant de sortir du Sénat, elle n’a cessé de hurler ce slogan que tout le petit personnel de la vénérable maison, a repris en chœur : « Mourir au travail, non ! Donner du sens à la vie, oui ! Non, non, non, à cette réforme BIDON ! »

 

PS : prochain texte, samedi.

21 février 2023

Constipation

A chaque fois qu’elles parlaient de leurs problèmes de santé – et c’était de plus en plus fréquent car elles avaient dépassé les soixante ans  – Marianne parlait de sa constipation. Ses deux amies souriaient et évoquaient en général différents « trucs » pour soulager ce « mal » qui était entré en elle.

Jusqu’au jour où est arrivée une troisième amie – Anne  - qui ne faisait pas partie du groupe mais qui avait été amenée par Catherine. Cette fois-là, quand Marianne a évoqué cette constipation fréquente, Anne, n’écoutant que la  psychologue clinicienne qu’elle avait été dans une vie antérieure, lui a dit.

-          Être constipée, c’est un peu comme ne rien céder, ne rien lâcher, non ?

Cette phrase a laissé un long silence jusqu’au moment ou Marianne a dit en souriant, après avoir fixé Anne dans les yeux.

-          Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien venir ?

Et Anne a répondu astucieusement.

-          Je vois que le muscle de ton cerveau se relâchera et que tes intestins s’ouvriront ! J’espère que tu ne m’en veux pas, hein ? Défaut professionnel, comme on dit.

Et Marianne a répondu.

-          Chacun ses défauts, moi j’étais prof de littérature, alors je te dirais « Toute littérature est assaut contre la frontière.”, comme la psychologie, non ? Cette phrase est de Kafka.

Et Catherine – l’amoureuse des mots et de l’humour a conclu.

-          Bon, les filles, je vous propose bientôt une soirée sangria à volonté, car quand le vin est tiré, les esprits s’affutent, les mots fusent. Sachez que la lie, elle-même, peut créer des liens. Certains disent que le vin a un effet constipant, moi je dirais plutôt qu’il a  un effet lubrifiant, une sorte de vaseline cérébrale non ?

Rendez-vous avait donc été pris pour le mercredi soir à 19 h 30 chez Catherine. Une soirée sangria où le sang de la vie coulerait à flots !

PS : prochain texte, samedi.

 

5 février 2023

L’histoire des bas

Quand l’été venait, elle se plaignait toujours qu’elle avait mal aux jambes. Son leitmotiv était exactement.

-          J’ai les jambes lourdes.

-          Mets des bas de contention, disait alors son conjoint, énervé.

Elle ne répondait rien à cette remarque. Les bas de contention, comme il les appelait lui donnait une silhouette de personne âgée ; certes, elle avait soixante ans, mais elle se disait qu’elle ne les faisait pas.

Jusqu’au jour où elle lui a répondu en essayant l’humour, qui jusque-là était un territoire que ni elle ni son conjoint n’arpentait.

-          Non, je ne vais pas mettre des bas de contention mais toi, tu devrais peut-être mettre des bas de contentement, et ça, ça changerait notre vie.

A ce moment-là, ils étaient à table et son mari finissait son plat de viande. Soudain, il s’est mis à tousser. S’étranglait-il ?  Elle n’a rien dit, n’a rien fait mais a fini par penser que sa dernière heure était peut-être arrivée.  C’est à ce moment que sa fille est arrivée dans la cuisine et a dit, terrifiée.

-          Mais maman, tu ne fais rien ?

-          Mais non, il n’y a plus rien à faire puisqu’il tousse.

C’est dans le camion des pompiers que son mari est mort. Lorsqu’on lui a annoncé son décès, elle s’est tout de même demandée si l’histoire des bas n’avait pas joué un rôle important. Finalement, a-telle conclu, peut-être qu’il avait raison et que ses bas m’iraient comme un gant.

PS : prochain texte, vendredi.

31 janvier 2023

La SNCF

Vendredi, voyage en train vers Paris. A l’allée pas de problème particuliers – mis à part ceux liés au passage des contrôleurs. Et, je me permets de rêver d’un pays où les billets seraient gratuits. Evidemment, avec la mise en place de la privatisation progressive des services publics, cela ne risque pas d’arriver.

Ensuite, retour en fin d’après-midi et, le trajet en train s’avère problématique. J’arrive à sauter dans le train de 17 h 12. Parfait. Mais, en arrivant à la gare de Mantes la Jolie, le « chef contrôleur » nous signale que nous ne partirons pas en raison d’actes de vandalisme commis à Oissel par des « jeunes ».  Donc, il faut que des techniciens se déplacent pour vérifier les voies et le matériel sur ces voies. Dix minutes plus tard, on nous propose de nous dégourdir les jambes sur le quai, ce que je ne fais pas, en continuant ma lecture. Un certain fatalisme semble régner chez les voyageurs qui se contentent, sans colère aucune, de prendre leur téléphone pour signaler les retards. Environ 10 minutes plus tard, ceux qui sont descendus sont appelés à remonter dans le train. J’espère d’ailleurs que tout le monde a entendu l’appel, sinon, ceux qui ne sont pas remontés risquent fort de se suicider sur les voies – par désespoir - et de bloquer les trains qui nous suivent. Excusez ce cynisme.

5 minutes après on nous dit que le train va partir et, le contrôleur souligne que nous irons au moins jusqu’à Vernon. Arrivés à Vernon, il nous est précisé que nous resterons en gare car le personnel de service n’est toujours pas arrivé à Oissel – est-il déjà parti en week-end ? -  donc, nous ne pouvons partir pour Gaillon. On nous encourage à nouveau à nous dégourdir les jambes sur le quai.  Je remarque qu’à la SNCF, on pense beaucoup aux personnes qui ont les jambes lourdes, et j’en suis presque émue, mais les autres, y pense-t-on ?

10 minutes plus tard, le contrôleur conseille aux voyageurs de remonter dans le train et, avec un humour léger, souligne que nous atteindrons bientôt Oissel.

Durant le trajet Gaillon – Oissel – Rouen, je me suis demandée si je n’allais pas écrire au Directeur de la SNCF afin de lui souligner que la SNCF pourrait diminuer les tarifs d’abonnement des habitués du Paris-Rouen, mais aussi, leur fournir gratuitement des antidépresseurs lors de l’abonnement, étant donné les problèmes fréquents sur cette ligne. Pour les non-habitués, un remboursement du prix de transport suffirait sans doute.

Oui, le sigle de la SNCF n’a pas changé, mais pour moi, maintenant, la SNCF est devenue le Supplice National des Chemins de fer français !

 

PS : prochain texte, dimanche

26 janvier 2023

Vulnérables

 Après avoir été puéricultrice pendant deux ans, elle travaillait dans un EHPAD privé, le week-end, en tant qu’aide-soignante. Au départ, elle avait cru que passer du premier âge au quatrième âge ce serait moins fatigant, surtout deux heures par semaine ; grave erreur !

Les Vulnérables, disaient-ils sur les ondes depuis le premier confinement. Il faut protéger  les vulnérables, s’occuper d’eux, être attentifs, bienveillants, les écouter.

Mais le discours ambiant était si loin de ce qu’elle vivait le week-end à l'EHPAD qu’elle en riait au travail, parfois.

-          Ouais, avait-elle dit à Amina, sa collègue aide-soignante, je crois que les vulnérables on s’en fout, non ? On leur crie dans les oreilles parce qu’on pense qu’ils sont tous sourds, on attend pour répondre à leurs appels, parce que de toute façon, ils ont bien le temps d’attendre, on fait semblant qu’on a compris ce qu’ils disent mais on ne répond pas à leurs questions par manque de temps et en plus, ici, on leur fait payer le prix fort !

Amina avait juste répondu.

-          T’exagères. Moi je suis pas comme ça.

-          Peut-être. Tu vois, Monsieur Duval il me dit souvent « Au moins vous, vous ne me parlez pas comme si j’étais sourd comme un pot ! »

-          Quand on n’a pas le temps on n’a pas le temps, avait conclu Amina, c’est pour ça qu’on parle fort.

-          Tu me diras qu’il faut avoir de la patience avec les personnes âgées, c’est vrai. Regarde Madame Dumont par exemple, elle te parle d’un truc insignifiant et elle le dilue à l’infini.

-          Je comprends pas ce que tu veux dire.

-          Je veux dire qu’elle répète toujours la même chose et la même chose.

-          Ça, c’est vrai. Bon, j’y vais.

 Et elle était partie dans la chambre de Madame Ronchon – son surnom – pour lui faire sa toilette en vitesse, alors qu’elle, elle était partie chez Madame Malan, pour voir si elle avait besoin d’aide pour la douche. En même temps qu’elle marchait jusqu’à la chambre 27 qui se trouvait au bout du couloir elle répétait : « Des EHPAD médicalisés, mon cul oui, pas de médecin le jour, et la nuit, pas d’infirmière, que des aide- soignantes et on écrit que c’est médicalisé ! Je me demande vraiment si on ne se fiche pas des vulnérables ! ». C’est à ce moment-là qu’elle avait rencontré Madame Dumont qui faisait chaque matin trois aller et retour le long du couloir pour faire travailler ses jambes. Après le « Comment-allez-vous » traditionnel, celle-ci lui a répondu.

-          Je vais mal, comment je pourrais aller bien avec tous ces vieux dans des fauteuils roulants. D’ailleurs je suis sûre que Monsieur Paul est mort. Je le vois plus.

-          Pourquoi voulez-vous qu’il soit mort.

-          Parce qu’ici, on  nous parle pas des morts.

-          Peut-être mais bon, c’est pas une raison pour tous les croire morts, hein, avait -elle conclu en souriant. Je vous assure qu’il est vivant Monsieur Paul. Allez frapper à la porte de sa chambre et vous verrez.

Madame Dumont avait continué sa marche, et elle, elle était partie voir Madame Malan tout en se disant qu’elle ne resterait pas plus d’un an dans cet EHPAD. Trop dur et trop déprimant de s’accrocher un sourire à chaque étage tous les week-ends. Par ailleurs, elle se demandait si elle-même ne devenait pas sourde, à force...

 

PS : prochain texte, mardi.

 

21 janvier 2023

Le ministre

Le nouveau ministre de l’Education Nationale avait eu une idée étonnante, mais combien intéressante, disaient certains parents d’élèves : faire entrer dans les classes dites difficiles des chiens d’accompagnement scolaire pour les élèves en décrochage.

Ces chiens – spécialement dressés – étaient censés, par leur présence, apaiser les élèves et contribuer à leurs apprentissages. Car, disait le ministre, si les élèves sont agités les chiens vont l’être aussi, donc cela obligera les élèves à ne pas l’être.

Il faut dire que le ministre, avant d’être ministre, avait élevé dans sa propriété – en dehors de son activité professionnelle qui l’avait mené dans les hautes sphères de l’administration - une meute de chiens.

Le corps enseignant avait réagi immédiatement par nombre de remarques acerbes. Sur twitter, des professeurs étaient intervenus en disant :

« Et pourquoi pas un Rottweiler derrière chaque élève en décrochage ? » -  « A quand un ministre de race canine ? » - « Oui aux profs bouledogues qui favorisent les apprentissages » - « Aboyer plutôt que parler améliore la compréhension des élèves » « Aboyer ou l’écoute active en cours » - « Je m’épanouie en aboyant en cours » etc. etc.

Suite aux réactions des enseignants, le ministre avait rapidement abandonné cette « saine » innovation tout en disant à son fidèle collaborateur : « les enseignants se plaignent, les parents se plaignent, les inspecteurs font grise mine ; franchement, quand je travaillais avec ma meute de chiens, les choses étaient beaucoup plus simples ! »

 

PS : prochain texte, jeudi.

 

 

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