Après avoir été puéricultrice pendant deux ans, elle travaillait dans un EHPAD privé, le week-end, en tant qu’aide-soignante. Au départ, elle avait cru que passer du premier âge au quatrième âge ce serait moins fatigant, surtout deux heures par semaine ; grave erreur !
Les Vulnérables, disaient-ils sur les ondes depuis le premier confinement. Il faut protéger les vulnérables, s’occuper d’eux, être attentifs, bienveillants, les écouter.
Mais le discours ambiant était si loin de ce qu’elle vivait le week-end à l'EHPAD qu’elle en riait au travail, parfois.
- Ouais, avait-elle dit à Amina, sa collègue aide-soignante, je crois que les vulnérables on s’en fout, non ? On leur crie dans les oreilles parce qu’on pense qu’ils sont tous sourds, on attend pour répondre à leurs appels, parce que de toute façon, ils ont bien le temps d’attendre, on fait semblant qu’on a compris ce qu’ils disent mais on ne répond pas à leurs questions par manque de temps et en plus, ici, on leur fait payer le prix fort !
Amina avait juste répondu.
- T’exagères. Moi je suis pas comme ça.
- Peut-être. Tu vois, Monsieur Duval il me dit souvent « Au moins vous, vous ne me parlez pas comme si j’étais sourd comme un pot ! »
- Quand on n’a pas le temps on n’a pas le temps, avait conclu Amina, c’est pour ça qu’on parle fort.
- Tu me diras qu’il faut avoir de la patience avec les personnes âgées, c’est vrai. Regarde Madame Dumont par exemple, elle te parle d’un truc insignifiant et elle le dilue à l’infini.
- Je comprends pas ce que tu veux dire.
- Je veux dire qu’elle répète toujours la même chose et la même chose.
- Ça, c’est vrai. Bon, j’y vais.
Et elle était partie dans la chambre de Madame Ronchon – son surnom – pour lui faire sa toilette en vitesse, alors qu’elle, elle était partie chez Madame Malan, pour voir si elle avait besoin d’aide pour la douche. En même temps qu’elle marchait jusqu’à la chambre 27 qui se trouvait au bout du couloir elle répétait : « Des EHPAD médicalisés, mon cul oui, pas de médecin le jour, et la nuit, pas d’infirmière, que des aide- soignantes et on écrit que c’est médicalisé ! Je me demande vraiment si on ne se fiche pas des vulnérables ! ». C’est à ce moment-là qu’elle avait rencontré Madame Dumont qui faisait chaque matin trois aller et retour le long du couloir pour faire travailler ses jambes. Après le « Comment-allez-vous » traditionnel, celle-ci lui a répondu.
- Je vais mal, comment je pourrais aller bien avec tous ces vieux dans des fauteuils roulants. D’ailleurs je suis sûre que Monsieur Paul est mort. Je le vois plus.
- Pourquoi voulez-vous qu’il soit mort.
- Parce qu’ici, on nous parle pas des morts.
- Peut-être mais bon, c’est pas une raison pour tous les croire morts, hein, avait -elle conclu en souriant. Je vous assure qu’il est vivant Monsieur Paul. Allez frapper à la porte de sa chambre et vous verrez.
Madame Dumont avait continué sa marche, et elle, elle était partie voir Madame Malan tout en se disant qu’elle ne resterait pas plus d’un an dans cet EHPAD. Trop dur et trop déprimant de s’accrocher un sourire à chaque étage tous les week-ends. Par ailleurs, elle se demandait si elle-même ne devenait pas sourde, à force...
PS : prochain texte, mardi.