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Presquevoix...

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11 janvier 2019

Désinhibition

Je me suis installée à une place isolée dans la salle de cinéma, prête à apprécier le film « En liberté », de Salvadori  dont on m’avait dit le plus grand bien. Juste avant que  les lumières ne s’éteignent, un couple arrive, sans doute le même âge que moi. Sauvée par ma sacoche et mon sac à dos – la salle est grande et le public peu nombreux – j’échappe à la présence d’une voisine immédiate.

Le film commence et, après cinq minutes, une scène me fait particulièrement rire. Deux minutes plus tard, même chose. A ce moment-là, ma voisine me dit, d’une voix agacée,  que je ris trop fort. Je lui réponds que la salle est si vaste qu’elle devrait s’asseoir très loin de moi pour ne plus m’entendre rire.

Soudain, j’entends son compagnon éclater de rire et là, désinhibition oblige – une conséquence de mon traumatisme crânien du 25 mai – je ne peux m’empêcher de signaler à ma voisine qu’elle devrait aussi dire à son compagnon d’arrêter de rire, ne la dérange-t-il pas ?

Sa réplique est immédiate.

-          Mais vous êtes complètement folle !

Ce à quoi je réponds aussitôt.

-          Je suis peut-être folle, mais vous, vous avez un sérieux grain, sachez-le.

Son compagnon lui demande de se taire et, après avoir répété que j’étais folle – ce que je ne nie pas -  elle fait silence.

Pas une seule fois elle n’a ri pendant tout le film. Quant à moi, j’ai poursuivi ma route du rire avec grand plaisir, sans plus penser à elle.

A la fin du film, quand les lumières se sont allumées, je leur ai tourné le dos afin de ne pas les voir. Qui sait ce qui aurait pu arriver ?

J’avoue qu’avant mon traumatisme, jamais je n’aurais réagi ainsi, mais – depuis ma chute -  je ne supporte plus les gens qui imposent leur volonté aux autres, avec pour seule raison, leur désir personnel.

9 janvier 2019

Dépaysement

La citation qui va suivre est extraite du livre de Anne Dufourmantelle  « En cas d’amour – psychopathologie de la vie amoureuse »

Psychanalyste et philosophe, A. D. dessine dans cet essai, et ce de main de maître, la carte du cœur blessé.

"Dépaysements

(…) Et s’il fallait être très loin pour se risquer au plus près de soi ? Nous sommes des êtres fragmentés, un feuilletage qu’une unité fragile et toujours renouvelée voudrait résumer en disant « je ». Mais ce « je », comment saura-t-il qui le compose, ce qu’il aime, ce qu’il désire, s’il ne se risque pas hors de lui-même pour, enfin, après revenir à soi ? Le dépaysement est l’image de ce trajet peut-être essentiel qui voudrait qu’on se perde pour se trouver.(…)"

7 janvier 2019

Le Christ

Après le texte de Mado, voici le mien, écrit à partir de la même photo, prise par Mado en été 2018 , dans un village gascon. 

 

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Le Christ

 

En voyant sa position, j’ai tout de suite compris pourquoi il était arrivé en retard à notre rendez-vous : cet idiot se prenait pour le Christ. Sans doute parce qu’il s’appelait Christian, allez savoir ?

 D’abord, j’ai essayé de lui dire qu’une telle tenue me paraissait déplacée, mais il ne m’a pas écoutée. J’ai aussitôt ajouté  que garder les bras en croix, dans cette étrange position, ne pouvait en aucune façon le mettre sur le droit chemin. C’est à ce moment exact qu’il m’a signalé qu’il avait une mission.

-          Te prendrais-tu pour le messie ? Ai-je demandé.

Il n’a jamais voulu répondre à ma question et c’est pour cette raison que je l’ai quitté.

Certes, mon attitude vous semblera rigide, mais peut-on passer sa vie avec un homme qui se prend pour le sauveur de l’humanité ?

Pour être sincère, je dois vous avouer que je n’attendais pour compagnon qu’un être « normal »,tout simplement, non un être qui prenait sa mère pour la vierge Marie.

A l’époque – et aujourd’hui il en est de même - je n’attendais ni rédemption ni résurrection.  Je préférais marcher seule sur le chemin avec comme unique volonté celle de me connaître moi-même. N’est-ce d’ailleurs pas une folie que de vouloir conduire les autres sur un seul chemin, le sien ?

Je dois dire qu’une semaine après cette rencontre étrange, Christian m’avait envoyé un extrait de l’évangile dans une enveloppe de la couleur du ciel.

Je ne me souviens que d’une phrase pour l’avoir  notée dans mon agenda :

«Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »

Quand j’ai revu Christian par hasard, vingt ans plus tard, je n’ai pu m’empêcher d’être triste. Il faisait la manche devant un distributeur automatique dans une tenue non plus christique mais d’une saleté repoussante.  Son chemin avait dû le conduire dans les ténèbres, car ses rides lui donnaient le visage d’un homme de soixante-dix ans alors qu’il n’en avait que cinquante.

J’ai cherché un billet de vingt euros que j’ai placé dans sa sébile et je l’ai salué. Il ne m’a semble-t-il pas reconnue.  Merci ma sœur, m’a-t-il dit, Dieu vous le rendra un jour, le seigneur est juste et bon.

 Je n’ai pas osé lui dire qu’un jour, il avait été mon amant, et je n’ai pas non plus osé lui dire qu’il n’était pas le Christ…

5 janvier 2019

Sur quel pied danser...

Mado – dont vous ne pouvez pas voir le blog car il n'existe pas  -  fera de temps en temps trois petits pas sur Presquevoix ; parfois seule, ou en duo avec moi. Cette fois, il s’agit d’un duo où nous nous sommes inspirées de l''une de ses photos  prise en été 2018, dans un village gascon. 

Aujourd’hui, vous pouvez lire son texte. Le mien sera publié dans deux jours.

 

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Sur quel pied danser...

 

Dans son journal, Nijinski appelait de tous ses vœux  un « dieu qui danse ». Il était mort trop précocement pour savoir  qu’un jour il serait exaucé, enfin presque. Bien lui en fut fait en somme, car  une âme si éprise d’absolu eût certainement  été un peu déçue.

Quelques décennies plus tard, Alexandre le fut aussi. Ce soir-là, comme d’ordinaire, il s’était bien torché au bal du village et  levant haut la jambe  il avait, devant son public depuis longtemps acquis,  paraphrasé le génie bondissant. Bien à son insu, le pauvre !  Lui qui avait seulement retenu de ses quelques années de  Primaire trois compagnons  de beuverie !  A l’extinction des feux, le trio ne s’était pas senti  d’aller plus loin que les cyprès du cimetière pour cuver sa piquette. De concert ils s’étaient soulagés d’urgence sur le muret d’enceinte, et c’est là qu’ils étaient tombés nez à nez avec lui, qui se déhanchait  sur sa croix de pierre. Ils n’en croyaient pas leurs yeux :

(Note : l’échange  ci-dessous se lit avec l’accent)

-          Putain  (on le sait, le Gascon est  un précurseur linguistique) ! Putain ! Hé bé, lui aussi a pété un boulon ! Et pas si brave le père pour s’y frotter, qu’il  en a envoyé le fils !

-          Moi, j’ai toujours pensé que c’était un déséquilibré ce type, renchérit Antoine.

-          En tous cas, con, sa rockégraphie ne vaut pas un clou ! conclut Arthur en connaisseur. 

Seul  Antonin s’était tu. Ses yeux vaguaient par les coteaux  baignés de lune, caressant  cette Terre  qu’alentour  il trouvait si jolie.

-          Si tu veux y rester plus longtemps, parvint-il à  philosopher à part soi, il faudrait peut-être que tu arrêtes la rouquine… 

Et s’adressant en silence au danseur qui ne cessait de dodiner et lui donnait  le tournis, il en  fit serment au père si puissant : dès demain, il freinerait la rouilleuse...

3 janvier 2019

Le rayon surgelé

On était au rayon surgelé du supermarché et elle m’avait demandé où je partais pendant mes vacances de février ; je lui avais répondu simplement.

-          En Angleterre.

C’est à ce moment-là qu’elle m’a servi sa diatribe sur l’Angleterre et les Anglais.

-          Comment ? Me dis pas que tu vas filer du fric à ces égoïstes qui  se retranchent dans leur Brexit et qui  sont même pas capables d’aligner deux mots en français ! Ya pas pire qu’un anglais ! Enfin si, deux anglais !

Et en plus, elle se trouvait drôle. Je savais que, deux ans plus tôt, elle s’était séparée de son mari qui était anglais. J’imagine qu’elle lui en voulait encore et que l’Angleterre servait à épancher sa poche d’humeur maritale. J’ai voulu passer au rayon « produits frais », mais elle  a bloqué mon chariot de son corps et a rajouté.

-          Et tu sais qu’en plus ils baisent mal les Anglais ?

J’ai rétorqué, gênée.

-          Mais, mais … j’y vais pour faire du tourisme !

-          Je me doute, a-t-elle répliqué, mais si l’envie te prenait, je te les déconseille vivement.

A ce moment-là, j’ai empoigné fermement mon chariot  et j’ai commencé à faire mine de partir, mais elle n’avait pas fini.

-          Tu sais que j’ai été mariée à un Anglais ?

-          Oui, bien sûr, puisque vous étiez venus manger à la maison tous les deux.

-          C’est pour ça que je peux en parler en connaissance de cause ! Il n’y a pas de peuple plus autiste et plus coincé que les Anglais. Et puis leurs hôtels ! Leurs hôtels c’est de la merde, sans parler de leurs transports en commun !

La situation devenait on ne peut plus embarrassante ; elle parlait de plus en plus fort en faisant de grands moulinets avec ses bras. J’ai soudain trouvé une porte de sortie.

-          Tu sais que je vais me remarier ?

-          Non, je l’ignorais. Et avec qui ?

-          Avec un anglais !

J’ai vu son corps se ratatiner et son visage se décomposer ; j’en ai profité pour battre en retraite !

 

1 janvier 2019

Les pingouins

20181220_142316Elle lui avait raconté son repas du nouvel an avec des pingouins. « Pas si  facile que ça au départ », avait-elle ajouté.

- Ne me dis pas que tu as passé ton réveillon avec des pingouins ? A  immédiatement répliqué son amie. Décidément, tu es folle. Vraiment n’importe quoi !

Elle l'a immédiatement rassuré en lui disant qu'on pouvait être pingouin et avoir bon goût.

- Par exemple ? Insista son amie

- Eh bien ils sont tous tombés amoureux de moi.

- Tu ne crois pas que tu vas un peu loin ?

- Pas du tout, à quarante ans, on se satisfait de ce qu’on trouve !

Ce qu'elle avait évité de dire à son amie, c'est que les pingouins en question avait fait le repas et que, pendant toute la soirée, il lui avait joué une musique merveilleuse. Sans parler des cadeaux qu’ils lui avaient  donnés et du reste...

Mais peut-on  dire toute la vérité rien que la vérité  sur les pingouins à une personne si bornée ?

 

PS : photo prise à Rouen, non loin du musée des Beaux-Arts

30 décembre 2018

Dans quel bateau voguez-vous ?

"Nous sommes tous des bateaux solitaires voguant sur une mer sombre. Nous voyons les lumières des autres bateaux que nous ne pouvons pas atteindre mais dont la présence et la similitude nous apportent beaucoup de réconfort."

Extrait de l'excellent livre d'Irvin Yalom, Thérapies existentielles

Je vous souhaite, avec une petite avance, une agréable fête de fin d'année.

28 décembre 2018

Le dernier plan suicide

J’ai au moins douze plans pour me suicider*. Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort. Pour l’instant je n’en ai parlé à personne. Pour une simple raison : il suffit que vous parliez de votre envie de vous suicider pour que tout le monde vous dise que la vie vaut la peine d’être vécue. Foutaise ! La vie ne vaut la peine de rien du tout et ils le savent bien, c’est pour ça qu’ils clament le contraire.

 Le jour où j’ai trouvé mon douxième plan-suicide, je n’en croyais pas mes yeux, j’étais arrivé à la perfection. Je préfère ne pas vous énoncer mon plan, par précaution. Les pilleurs courent la toile, vous le savez comme moi.

 Je peux juste vous dire une chose :  je passerai bientôt à l’acte, non pas le 31 décembre, mais peut-être le premier janvier. Il me reste simplement  à parfaire ma mise en scène, c'est important pour moi.

 Je ne sais pas qui me trouvera. Ce ne seront pas mes enfants, je n’en ai pas ; ni ma femme, je vis seul ; ni ma mère, elle est morte ; ni mon père, il ne m’a jamais reconnu ; ni mes amis, je ne m’en connais aucun ; ni mes collègues de travail, je suis au chômage. Peu importe, mais celui ou celle qui me trouvera ne m’oubliera jamais, j’en suis sûr ; et c’est pour moi une bénédiction.

 

* phrase de Benjamin Vautier

26 décembre 2018

La mâchoire

On était en période d’examens blancs et elle avait surveillé trois épreuves. Elle s’était tellement ennuyée dans cette salle où trente élèves suaient sur leur épreuve de philosophie, qu’elle avait baillé à plusieurs reprises. Résultat : elle s’était décroché la mâchoire.

Comme elle vivait seule, elle s’était résignée à la remettre elle-même en place mais, la mâchoire inférieure s’était mal emboîtée et il lui avait fallu aller aux urgences.

Là-bas, le médecin - un vieil homme au seuil de la retraite – n’avait pas voulu y toucher : « Je suis trop vieux. Allez voir un spécialiste : tenez, voici son numéro de téléphone. »

Elle aurait voulu le mordre, l’imbécile, mais ses mâchoires n’étaient plus en état.

Elle prit un rendez-vous – heureusement rapide - chez le fameux spécialiste.

A 8.30, elle entra dans la salle d’attente. Le médecin arriva en même temps qu’elle. Jeune, mais vu son presque grand âge, tout le monde lui paraissait jeune. Elle ne resta que cinq minutes assise, il vint la chercher immédiatement.

Elle expliqua son cas. Il sourit à plusieurs reprises. Elle ne voyait pas ce qu’il y avait de drôle à s’être décroché une mâchoire, mais elle préféra ne rien dire afin de ne pas se le mettre à dos.

Après lui avoir remis la mâchoire en place il lui dit.

-          Vous ne me reconnaissez pas ?

-          A vrai dire, je ne suis jamais venue dans votre cabinet.

-          Et si je vous dis Hugo.

-          Hugo ? Hugo quoi ?

-          Vous êtes professeur de français au lycée des Tourelles, n’est-ce pas ?

-          Exact.

-          Je vous ai eu comme professeur il y a quinze ans et vous me reprochiez toujours mes bâillements. Vous disiez même qu’avec des bâillements comme ça je finirais par me décrocher la mâchoire. Et vous ajoutiez, en plus, que j’aurais difficilement mon baccalauréat.

Elle essaya de sourire, mais impossible. Elle finit par répondre.

-          Chacun son tour.

-          Oh, mais je ne me suis jamais décroché la mâchoire, moi.

-          Je voulais dire, chacun son tour de se moquer de l’autre.

Il sourit à nouveau et ajouta.

-          Je ne vous en veux pas, sinon je n’aurais pas remis votre mâchoire en place

-          Vous me rassurez. D’ailleurs, si je m’en souviens bien, vous aviez un autre talent à par bâiller.

-          Ah oui, lequel ?

-          Vous passiez votre temps à bavarder avec votre voisin.

Il répliqua.

-          Lui est devenu kiné, au cas où vous auriez des problèmes de dos.

Elle lui serra la main et sortit du cabinet l’œil terne. Dorénavant, où qu’elle allait, lui faudrait-il toujours trouver d’anciens élèves ?

24 décembre 2018

La météo

Quand il téléphonait à sa mère, sa femme avait toujours l’impression qu’il lui faisait la météo en ligne, mais lui, s’en rendait-il compte ?

Maintenant, sa mère est morte, et la météo, c’est avec elle qu’il la fait...

 

PS : Joyeux Noël à vous, avec ou sans météo ;)

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