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Presquevoix...

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12 novembre 2018

Le Vieux Campeur

Il était étendu sur le lit et tournait les pages du catalogue du Vieux Campeur pendant qu’elle regardait son feuilleton quotidien à la télévision ; elle n’en ratait jamais aucun épisode.

Soudain elle cria.

-          Arrête de tourner les pages, tu m’énerves.

Il continua comme si de rien n’était, trop occupé par son prochain achat : une tente igloo qui supporterait des températures de moins 20 degrés pour sa randonnée du mois de juin.

-          Arrête avec ces pages je te dis !

Il leva les yeux de son catalogue et la regarda un instant. Elle était assise sur son fauteuil, la tête légèrement penchée, buvant les paroles de «  héros » sclérosés, interprétés par des acteurs au jeu navrant.  Il ne put s’empêcher de lui dire.

-          Je me demande comment tu  fais pour supporter cette daube tous les soirs ! Moi, ça me fait gerber, et pourtant, je n’ai pas fait d’études littéraires ! Toi, la randonnée, le camping, les grands espaces, la toundra, l’aventure avec un grand A… ça te passe au-dessus de la tête, tu préfères t’abrutir avec ce feuilleton à la con ! Parfois, je me demande pourquoi on vit ensemble !

Elle resta silencieuse. Elle n’allait pas gâcher la fin de son feuilleton pour lui dire son fait. Ses sarcasmes, elle allait les lui faire avaler un à un au moment de la publicité. Tiens, pour commencer, elle lui parlerait de la visite impromptue de sa « chère » mère cette après-midi. Quand il saurait  qu’elle avait l’intention d’arriver avec arme et bagages dès la semaine prochaine pour rester dans leur chambre d’ami, et ce, pour une période indéterminée, ça lui ferait un choc ! Sa toundra et sa steppe, il n’était pas prêt d’y mettre les pieds.

Par contre elle, elle ne se disait pas non à un petit voyage en solitaire, pourquoi pas en Italie ?

 

 

10 novembre 2018

L’Endurance

20180916_113435Elle avait terminé son dialogue avec son amie par l’exclamation suivante : « T’es vraiment cinglée ! ». Celle-ci lui avait assuré, "endurance" oblige, que cette nuit-là elle atteindrait le sommet du mât.

En regardant le bateau, elle se demanda comment les choses allaient tourner, mais pourquoi s'inquiéter, ce n’était pas elle qui ferait l’ascension. 

Elle se demanda tout de même si son amie ne perdait pas la tête. Que comprendre dans son désir d’aller à l’assaut nocturne d’un lieu inconnu ? Et puis, elle qui ne parlait aucune langue étrangère, que dirait-elle à ces marins - venus certainement d’ailleurs - s’ils lui demandaient ce qu’elle faisait là ?

Quand elle quitta son amie, elle pensa que ce serait sans doute la dernière fois qu’elle la verrait. Et elle ne s’était pas trompée.

Un an après le départ de l’Endurance du port, elle reçut une carte postale d’Antigua  qui disait :

« L’Endurance m’a changée. A St John's, la vie est faite de sucre, de rhum et de coton, l’idéal, non ? Why don’t you come ? »

Elle sourit. L’endurance était-elle la vertu qui lui manquait, elle qui était restée sur sa terre natale ?

 

PS : photo prise sur le port de Rouen en 2018

8 novembre 2018

Vivre

Je suis née dans un aquarium. Ma mère a toujours eu de drôles d’idées, même avant ma naissance. Quand j’ai ouvert les yeux, je me suis trouvée nez à nez avec un gros poisson triste qui tournait en rond dans une eau trouble. De sa voix sans voix il m’a chuchoté.

-         Tu vois, c’est ça la vie ! Et puis il a disparu.

Il m’a fait si peur que j’ai voulu retourner dans le ventre de ma mère, mais il était trop tard. Elle avait fermé sa porte à clef, sans état d’âme.

Aujourd’hui, j’attends qu’on m’ouvre l’autre porte…

 

6 novembre 2018

Les gargouilles

20181024_114329Le jour où les gargouilles étaient tombées dans les parapluies, la ville avait compris que tout changerait. Et tout avait changé.

Les enfants avaient quitté leur famille, les maisons avaient fermé leurs volets et la ville s’était endormie dans une longue torpeur.

Ce que les enfants étaient devenus, nul ne l’avait jamais  su. Pourtant, au fond d’elles-mêmes, les mères avaient compris que les monstres  avaient conduit leurs petits au pays des rêves qui n'existent plus…

30 octobre 2018

La folle

Ecoutez, moi quand je vous ai embauchée, je ne m’attendais pas à ça ! Il va falloir revoir votre copie ! Vous avez bien caché votre jeu : un tailleur sympa, une coiffure sage, le vocabulaire branché juste ce qu’il faut, l’attitude positive façon US, le CV en béton, et tout ça pour ça. J’hallucine !  On est dans un truc complètement surréaliste, ça c’est clair.

Et qu’est-ce que je fais maintenant ? Vous avez pensé à moi ? C’est juste au moment où vous avez votre CDI que vous trouvez moyen de péter les plombs, non mais j’hallucine ! Vous trouvez que c’est normal de vous engueuler avec tout le monde et d’arriver avec un pot de fleurs sur la tête parce que c’est le premier jour du printemps ! Vous trouvez que c’est raisonnable de dire au chef de service que c’est un « connard de macho » - je cite vos mots. Vous trouvez que c’est banal de dire au patron que vous n’en avez « rien à battre » - je vous cite encore – des objectifs du directeur de l’innovation ? C’est clair que vous n’en avez rien à foutre – vous voyez vous me faites sortir de mes gonds – mais à cause de vous, je vais gicler et ça, c’est très clair aussi !

Vous me dites que vous êtes une « arracheuse de temps » et que vous voulez prendre du bon temps avec moi avant de tirer un trait sur l’entreprise ? C’est quoi encore que ces salades ? Je n’ai pas du tout envie de prendre du bon temps avec vous ! Je suis marié, père de famille, j’aime ma femme et vous ne me plaisez absolument pas. Ce que je veux c’est mon salaire à la fin du mois, atteindre les objectifs de l’entreprise et qu’on ne me fasse pas chier, c’est tout ! Bon, résumons, soit vous revoyez votre copie soit, si vous avez besoin de vous reposer un peu, vous vous faites interner. Quoi ? Vous avez déjà été internée à Sainte Anne ? Merde alors ! Pour pas grand-chose ? Ça c’est vous qui le dites ! Eh ben retournez-y à Sainte Anne, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Vous n’aimez pas le service où vous étiez hospitalisée ?

 Ecoutez, je suis un type plutôt patient et accommodant, mais j’ai aussi mes limites et…. mais pourquoi vous… pourquoi vous m’attachez ? Bon si vous pensez que comme ça vous serez internée plus vite, allez-y après tout ! Mais pas de bâillon, hein, pas le bâillon sinon je deviens dingue, je vous en prie. Mais pourquoi vous m’arrachez mon pantalon ! Quoi ? Vous voulez me… Putain, vous êtes vraiment cinglée vous… mais bon, si vous y tenez, allez-y, après tout, qu’on en finisse !

 

PS : retour mardi 6 novembre.

25 octobre 2018

Duo d'octobre

Caro voulait bousculer nos habitudes lors de nos duos. Voici donc, ci-dessous,  la photo qu'elle propose. Après son texte, voici le mien.


Corinne

 

Les gobelets

 

Cette idée de soirée était d’une nullité crasse. Pourquoi se bourrer la gueule pour parler ou s’envoyer en l’air ? Elle a fini par lui dire le fond de sa pensée et il s’est emporté.

-          N’importe quoi !

-          N’importe quoi ?

-          Oui. T’es une petite bourge.

-          Moi, une bourge ?

-          Bien sûr. Une  cérébrale qui ne sait pas sortir de ses rails.

-          Mais tu te rends compte que cette fête c’est du vide ?

-          Toi qui sais tout, au lieu de tout foutre en l’air en permanence,  milite, change de vie, fonde un parti !

-          C’est ça. En tout cas, une chose est sûre, je ne resterai pas.

-          Parfait, aurevoir.

Elle a  placé les gobelets sur la table : rose et vert de droite et de gauche, bleu foncé et bleu clair au centre.

Risible. « Il devrait y avoir ça à toutes les soirées » disait l’affiche ; ça quoi ? a-t-elle crié.

Une fois le rangement accompli, elle  s’est habillée, elle lui a jeté un dernier regard - celui de l’exilée - puis elle est partie.

Dehors il faisait froid. Le vent soufflait et la pluie avait fait son apparition. Des parapluies s’ouvraient dans la nuit, et le bonheur traçait son chemin de vie, la vraie vie, la sienne, une vie où elle ne boirait plus dans de détestables gobelets en plastique !

 

PS : prochain texte le 31 octobre.

23 octobre 2018

Duo d'octobre

Caro voulait bousculer nos habitudes lors de nos duos. Voici donc, ci-dessous,  la photo qu'elle propose. Aujourd'hui vous lirez son texte. Le mien sera publié deux jours plus tard. Bonne lecture.


Corinne

C’est la fête.

 

 « Tu vois Clémence a organisé une fête. Oui une fête. Pour nous changer un peu des meetings politiques et des actions coup de poing. Alors ? »

Vick’ éteint son portable. Pas la peine d’attendre la réponse, on verra bien. C’est vrai que la bande n’a pas trop l’occasion de s’amuser. L’époque est à la lutte et à l’insoumission, à l’urgence à la veille de voir le monde connu se désagréger de plus en plus vite. L’amour, la reproduction de l’espèce, les lendemains heureux et chantants sonnent comme des idées pernicieuses, du temps gaspillé. Alors pourquoi Clémence, leur fer de lance, a-t-elle décidé de faire une fête… Vick’ lui a bien posé la question ; pas de non-dits entre eux telle est la règle. « Un pari, Vick’, un stupide pari avec Gérald mais si on gagne, on a de quoi financer les actions jusqu'à l’a fin de l’année. Tu sais que les scrupules et les atermoiements, je pense que c’est pour les faibles. » Elle lui avait confié cela en passant négligemment une main dans ses cheveux, en s’y attardant peut-être un peu trop. Gérald, bien sûr, ne pouvait qu’être le point de départ de cette idée aberrante, Gérald le frère de Clémence et pur produit d’une civilisation en cours de désintégration, argenté, séduisant, noceur, surfant à toute vitesse sur les jet-lags et les übers et collectionneur compulsif de cyber-aventures.

Vick’ consulte une dernière fois ses mails sur l’unique ordinateur de la colocation. Il faut encore ranger les tracts, relire le manifeste, vérifier que rien n’a été hacké. Ici même si la technologie est antédiluvienne, elle n’a pas pu être éradiquée totalement. Un ordi pour tous, une connexion, des téléphones basiques, pas de réseaux sociaux ni de petites annonces. La bande a investi cette barraque de banlieue parisienne il y a trois ans déjà. Spartiate et communautaire, la colocation est un peu rêche mais demeure un chez-soi.

Depuis 6 h ce matin, Clémence a barricadé la salle communautaire et la cuisine. Elle s’y est enfermée avec deux des membres de la bande pour d’étranges va-et-vient, des bruits de chaises et des fous rires. Et dans trois-quarts heure maintenant, les portes s’ouvriront pour les invités.

Vick’ regarde des orangés et des dorés, un bleu presque turquoise et des lumières de ville se diluer et s’étaler sur la fenêtre ; cette nuit la vitre froide du vélux rappellera que c’est l’hiver, tandis qu’ils danseront et boiront, baiseront peut-être. Ça fait combien de temps ? La lutte laisse peu de place à la tendresse. Vick’ range les tracts, il faut se saper, une douche froide et rapide mais une douche, trouver des fringues potables dans le placard, jeter le dernier regard dans le miroir. Un peu de luxe sur leurs peaux, une once de beauté déposé sur leurs existences.

Les planchers et les murs vibrent soudain, la sono martèlent un vieux Dead Purple. Les invités arrivent, Gérald est le premier. Clémence joue à l’hôtesse dans une petite robe noire qu’elle a dégotée, on peut se demander où. Vick’ s’approche derrière un groupe inconnu qui jettent leurs blousons sur le sofa du corridor. Déjà certains se sont jetés sur la piste de danse improvisée. Une boule à facettes brille de tous ses feux.

Vick’ aperçoit sur une table, parmi une floppée de bouteilles et de jarres de cocktails, les quatre couleurs des verres en plastique recyclable soigneusement alignés. Mettre un peu plus de gobelets c’est compliqué est une bonne idée. Une voix dans son dos l’interpelle : « Tu n’as pas soif ? De toute façon, on a toute la nuit et ici on peut changer plus facilement d’option que sur un site de rencontre. » Vick’ se retourne, Clémence éclate de rire tandis que Gérald se penche sur elle pour lui glisser un mot. Sur le visage de sa sœur, un sourire carnassier se dessine. Le beau gosse se redresse et sourit à la cantonade en s’emparant d’un verre mauve. Il avance vers les danseurs, la démarche assurée. Au fond de la salle, la porte s’ouvre sur de nouvelles têtes.

Vick’ s’avance au milieu de tous ces étrangers, un verre à la main. Dans son verre le premier Negroni, la nuit s’annonce longue tandis que les murs blancs se colorent de rose, de mauve, de turquoise et de vert.

21 octobre 2018

Jésus

20150719_152628Magdalena avait toujours eu de drôles de choses dans sa tête et, quand elle lui dit « C’est ici que je l’ai connu. », il se sentit obligé de lui demander.

-          Et il te parle toujours ?

-          Oui,  dès qu’il me voit et que je suis seule, il descend de sa croix et vient vers moi.

Inutile de lui poser d’autres questions, n’était-elle pas devenue folle à lier ? Il aurait préféré que son amie continue  à marcher sur son chemin d'avant, mais le Christ l’avait appelée il y a six mois. Humour et création avaient disparu de son âme et son quotidien se limitait maintenant aux visites d’église et à la lecture des évangiles.

 

 

PS : photo prise à l'abbaye de St Wandrille.

19 octobre 2018

Je te veux ?

Quand ils écoutaient « Je te veux », elle avait l’habitude de lui dire, presque exaltée « Cette musique, c’est la nôtre, c’est toi et moi ! »

Aujourd’hui, il est assis au premier rang de cette salle de concert et il écoute le pianiste  jouer « Je te veux », leur musique, mais il est seul. Elle, il y a six mois qu’elle est partie, sur un désaccord.

A la fin du morceau, il sent une main se poser  sur son épaule. Il se retourne, sûr de la voir, pourtant non,  ce n’est pas elle, c’est une  femme inconnue, qui ne lui ressemble pas. Elle est jeune, le teint mat, tout aussi brune qu’elle était rousse.

-           Je vous connais, affirme-t-elle, mais je ne me souviens  plus d’où.

Il est sur le point de lui dire qu’il ne la connaît pas, mais il se retient et dit.

- Votre visage me dit quelque chose, mais vous dire où je vous ai rencontrée...

Je les observe depuis un certain temps, c’est moi qui les ai rapprochés. Je me doutais que lui était prêt pour une rencontre et qu’elle, aimait les hommes mélancoliques. J’ai cru préférable que ce soit elle qui fasse le premier pas, je savais que lui n’en aurait pas le courage. Je les regarde  sortir ensemble du théâtre. Joli couple, vraiment, j’ai bien fait de les unir, ils ont déjà l’air complice, vous ne trouvez pas ? Je me demande, maintenant, quelle partition ils vont jouer… mais ça, même un ange ne le sait jamais d’avance.

 

 

17 octobre 2018

Love

 

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L’imbécile, il mettait ce " Love " sur tous les murs de la ville. Elle se demandait bien qu’elle était le rôle de ces deux points en équilibre au-dessus du vide. Etait-il en train d’imaginer une revanche à leur histoire ?

Avec lui il fallait s’attendre à tout. Elle aurait mieux fait de ne jamais sortir avec ce type. Il avait vingt ans, elle en avait vingt de plus, et il la prenait de toute évidence pour la mère qu’il aurait aimé avoir. Un genre d’Emmanuel, peut-être…

 

PS : photo prise à Paris, je pense.

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