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Presquevoix...

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3 juillet 2019

Espérance

 

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Il l’a tuée rue de l’Espérance ; un crime parfait.

Hélas, il ne s’en est jamais remis, et depuis il erre sur les routes, le coeur en miettes et l'âme blafarde, avec pour seul compagnon un chien qu'il a appelé Espoir...

 

PS : Photo de Paul Day prise à la Gare de St Pancras, à Londres

 

1 juillet 2019

Les chiens

Lorsque j'étais enfant, je rêvais que je m'effaçais. Je me souviens du jour où je m’étais installé dans la niche du chien. Lui au moins, on lui fichait la paix. J’étais recroquevillé à l’intérieur depuis au moins un quart d’heure quand j’ai entendu ma mère qui m’appelait. J’ai aboyé furieusement, juste pour le plaisir, j’étais content de jouer au chien.

J’ai continué de m’effacer à l’âge adulte, sauf hier. On m’a convoqué dans le bureau du patron pour une faute professionnelle.

-          Ce n’est pas moi, ai-je dit d’une voix ferme.

Mais le patron ne m’a pas cru et m’a sommé de dire la vérité

-          Quelle vérité, la vôtre ou la mienne ? ai-je répondu

Comme il ne voulait pas m’écouter, j’ai aboyé et j’ai montré les dents. Le patron a fait pareil. J’ai continué et là, il s’est calmé.

Je dois dire que depuis, les choses vont mieux.

J’ai donc décidé de ne pas lui garder un chien de ma chienne.

 

29 juin 2019

Questions

-          Je suppose qu’il n’y a pas de fruits ? Lui dit-il d’une voix qu’elle jugea impatiente.

Toujours ces interrogations négatives ! Il l’accusait d’être paranoïaque, mais il y avait de quoi : « Je suppose qu’il n’y a pas de fruits » ce n’était tout de même pas la même chose que  « Est-ce qu’il y a des fruits » !

Ce matin, il  avait commencé la journée par « je suppose que tu n’as pas acheté de dentifrice », suivi par « je suppose que tu n’as pas sorti la poubelle » et conclu par  « Je suppose que tu n’as pas appelé le plombier ».

Comment ne voyait-il pas que s’il lui posait des questions simples, elle n’aurait pas l’impression d’être remise en cause en permanence.

Soudain elle comprit :  Et s’il cherchait à la rendre folle, tout simplement, pour se débarrasser d'elle  ?

27 juin 2019

Sa femme

 

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Sa femme partageait tout avec lui, sauf l’amour ; là, elle avait été catégorique.

-          On partage la nourriture, on partage la voiture, on partage la salle de bain - même nus - on partage le même lit, mais l’amour non, impossible.

Bien sûr, il ne lui avait pas posé de questions. Les questions n’étaient pas sa tasse de thé ; d’ailleurs il détestait le thé - tout comme les anglais - mais il ne savait pas pourquoi.

-          A quoi bon savoir pourquoi nous n’aimons pas les choses ou pourquoi les gens ne nous aiment pas, disait-il souvent.

 

PS : photo prise dans la salle de bain d’une chambre d’hôte à Caen.

 

 

25 juin 2019

CGBD

Le maire avait invité un membre du gouvernement dans leur belle ville de la banlieue parisienne et Stéphane s’était rendu sur les lieux pour le vin d’honneur, un vin d’honneur ne se refuse pas quand on vient de perdre son travail. Après avoir écouté le discours creux et long de cet homme pour qui l’Elysée était devenu un port d’attache, il se demanda comment un type aussi jeune  pouvait se trouver à un poste aussi important. Une jeune femme inconnue lui dit.

-          Un vrai membre du CGBD celui-là, vous trouvez pas ?

-          CGBD ?

-          Oui, Connard Garanti Brut de Décoffrage.

Ce sigle le fit sourire.

-          Vous le connaissez ?

-          Oui, on a fait Science Po Paris ensemble et il est né la même année que moi : 1986 ! Je peux vous dire que déjà, à l’époque, il était imbu de lui-même, alors maintenant, vous pensez !

-          Et comment il est arrivé dans ce club très fermé de l’Elysée ?

-          Les réseaux sociaux, pas facebook, bien sûr, mais ceux de la politique, des médias, des grandes écoles et des élites parisiennes. Allez, je vous laisse, je dois écrire mon papier  pour le journal qui m'embauche à temps partiel. Un conseil, allez lui poser quelques questions sur la politique du gouvernement, et vous verrez qu’il fait vraiment partie du CGBD.

Il la remercia et lui souhaita une bonne soirée. Il lui fallait maintenant passer à l'étape suivante : interroger cet ancien élève de Sciences Po.

23 juin 2019

Le fils

Le jour où il regarda son fils une seconde de plus qu'à l'habitude, il constata que celui-ci vieillissait plus vite que lui ; pourquoi ? Bien sûr, il l’accusa immédiatement de tous les mots. Ce fils était si fainéant, pensa-t-il,  que le temps se vengeait de lui.

Sa femme, elle, savait pourquoi ce fils vieillissait vite mais elle ne lui dit rien. D’ailleurs, jamais personne ne lui disait rien car cette homme n’écoutait personne - ni sa femme, ni son fils, ni ceux qu’il disait ses amis – à part lui-même.

Sans doute s’aimait-il trop, et cet immense amour qu'il se donnait à lui-même ne pouvait faire qu'une chose : le rendre aveugle.

 

21 juin 2019

Rencontre

 

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Elle était dans la cathédrale d'Evreux, non loin de la Chapelle absidiale quand " la chose " est arrivée : le Christ est apparu et a dit d'une voix forte :

" Arretez de parler, qu'on savoure le bonheur d'être ensemble ! "

Elle a souri. Le Christ avait-il de l'humour ? Le curé s'est immédiatement tu et l'assemblée s'est mise à genoux sauf elle car, à ce moment-là, elle pensait ne croire en rien.

Le lendemain elle est allée au presbytère mais le curé - son visage était d'une blancheur sépulcrale - n'a pas répondu à sa question. Pourquoi avait-il perdu sa voix ?

Depuis ce jour, l'âme du Christ la hante et elle marche sur le chemin de St Jacques. Elle ne sait jusqu'où elle ira, ni ce qu' elle verra, ni ce en quoi elle croira,  mais en ce lieu où le mot FIN sera tracé, elle s'arrêtera.

19 juin 2019

Je me demande

Je me demande*

 

Il avait raté sa mort comme il avait raté sa vie.

Quand connaîtrait-il enfin le succès ?

 

*Je pique le « je me demande » à Patrick Cassagne qui, en ce moment,  se demande moins de choses, me semble-t-il… 😉

 

15 juin 2019

Duo

Voici notre Duo de juin avec Caro. La citation choisie par mes bons soins est la suivante :

"Je suis trop honnête pour être poli" Scutenaire

Hier vous avez lu le texte de Caro, aujourd’hui, voici le mien.

 

Ceux qui se pensent grands

 

C’est beau la politesse, et on aime ça chez les « grands » de ce monde. Moi, les grands de ce monde  je n’en fais pas partie, je suis  petit, socialement parlant, bien sûr.

La semaine dernière, chose exceptionnelle, je me suis retrouvé avec la « high class » dans un cocktail avec hommes politiques, journalistes, acteurs, écrivains et j’en passe.  On m’y avait invité par erreur car je ne suis qu’un petit acteur de seconde zone.

C’est en ce lieu que j’ai parlé, pour la première fois de ma vie, à un « grand  homme politique ». Bien sûr je ne vous donnerai pas son nom, je suis discret.

Vous vous demandez peut-être pourquoi il m’a adressé la parole à moi, le presque inconnu ? Eh bien pour une raison très simple : on me prend souvent pour un écrivain connu, très connu d’ailleurs, vous ne devinez pas lequel ? Réfléchissez et vous trouverez.

Ce président – ou plutôt ancien président -  m’a dit qu’il avait lu mon dernier roman. Un roman que je n’avais bien sûr pas écrit, puisque je ne suis pas écrivain, mais que j’avais lu - comme un nombre incalculable d’autres romans - pour le plaisir de m’immerger dans des mondes qui ne sont pas le mien.

Dans la vie j’aime faire semblant, une qualité professionnelle ; alors j’ai joué au romancier. Mais cet homme était si fat, creux et narcissique qu’il m’a fallu être honnête. Comment écouter un monologue ennuyeux sans quitter le navire ?

Je lui ai donc dit ce que je pensais honnêtement et cela ne lui a pas plu. Pourquoi ? Parce que j'ai osé lui dire que mes sentiers littéraires étaient différents des siens. J’ai par ailleurs fait preuve d’ironie. Et ça, un ancien président ne le supporte pas, un ancien ministre non plus, d’ailleurs. Je m’en suis aperçu plus tard, lors d’une conversation avec M. Pillevin qui, lui, pense voyager en poésie alors que diantre, ces poèmes sont si ennuyeux.

Quand j’ai terminé, mon interlocuteur m’a dit.

-          Monsieur vous êtes un gougeât.

Je lui ai répondu.

-          Oui monsieur, gougeât et honnête, pour vous servir.

Et il a ajouté.

-          Il vaut mieux être poli qu’honnête.  D’ailleurs votre honnêteté suinte l’envie.

A-t-il raison ? me suis-je dit. Et pour éviter toute culpabilité j’ai ainsi conclu.

-          Peut-être monsieur mais en ce qui me concerne, je limite les dégâts.

Il ne m’a pas répondu et a changé d’auditoire.

Oui, je suis trop honnête pour être poli, mais quelle jouissance de dire ce qu’on pense aux « grands » qui se croient si grands qu’ils en oublient aussi  que, parfois, ils peuvent être petits.

 

PS : prochain texte mercredi 19 juin.

 

13 juin 2019

Duo

Voici notre Duo de juin avec Caro. La citation choisie par mes bons soins est la suivante :

 

"Je suis trop honnête pour être poli", de Scutenaire

 

Aujourd’hui vous pouvez lire le texte de Caro, le mien sera mis en ligne samedi.

 

Le bal des masques

Ce sept mots, bien plus que sa voix, familière et oubliée, me font brusquement sursauter. Et aussi cette inflexion particulière, à peine mordante, et pourtant assassine. Un tremblement glacé me saisit aussitôt, la pogne du passé me vrille le corps, le ventre, agrippe ma nuque pendant un bref instant. Un instant de trop. Je dépasse le couple immobile sur le trottoir, discrètement, en tournant mon regard vers le croisement de la rue de Bucci et de la rue de Seine. Le quartier bourdonne de voitures, de touristes et de palabres. C’est l’été, Paris 6ème.

Je traverse la rue et décide de m’installer en terrasse pour mieux observer l’homme et la femme. Je scrute son visage. C’est bien lui. Dix ans ont passé depuis notre rendez-vous devant le juge, pour un divorce normalement houleux suivi d’un après endolori. Aujourd’hui, il est toujours aussi beau mec et la femme, jeune, qui l’accompagne, est moins vulgaire que ce que l’on a bien voulu m’en rapporter.

« Je suis trop honnête pour être poli. » Sa formule favorite, son mantra, sa bannière qu’il brandissait avec ce sourire arrogant, estimant que cela ferait passer toutes ses critiques, ses piques trempées dans son mal-être, les traits acérés de sa jalousie toxique. Moi, j’étais amoureuse, puis j’ai cru l’être encore, puis j’ai cru pouvoir le sauver, puis tant de choses que l’on croit… tout cela dans le désordre sans doute.  Je me suis crue une mère et ensuite une amante comme il ne voulait plus d’enfant, ou pas tout de suite, ou pendant une semaine. Je croyais et je sombrais.

Il me fallut une photo trouvée par hasard, une conversation que je n’aurais pas dû surprendre pour me transformer maladroitement en détective privé et me rendre compte, que non content de me tromper, il prenait plaisir à distiller le venin de son « honnêteté » auprès de nos proches : « Noémie ne se sent pas bien dans son corps. » « Noémie doute beaucoup. » « Noémie n’a pas d’amies véritables, comment pourrait-elle ! » « Noémie n’a toujours pas guéri de sa relation avec sa mère. Quant à son rapport au père… » « Oui. Noémie fait bien la cuisine mais le dernier osso bucco était vraiment passable, un problème de dosage dans les épices. » Je tairai le chapitre de nos relations sexuelles, de ce qui fut notre roman d’amour, du « heureusement nous n’avons pas d’enfant ».

Je préparai mon divorce comme on prépare une campagne militaire et je m’en sortis financièrement correctement. Pour le reste… je savais qu’il allait me falloir du temps, des amis, de la chance… Et je piochais dans les cartes du destin, pêle-mêle, une opportunité de carrière, quelques amants généreux apparaissant aux moments opportuns, des amitiés, des bouts de vie colorés…

Je les regarde tous deux. Elle porte le même masque que l’on retrouve sur mes photos de ces années-là : ce visage sans joie pendant un mariage où ma robe rouge ne fait pas oublier la tristesse de mes traits, cet air absent au réveillon de Noël 2005 chez les Artigues ou un regard suppliant sur un cliché pris à Londres lors de quelques jours en amoureux qui ne furent qu’ennui. C’est Anne, mon amie, qui m’en fit la remarque, en feuilletant un album que j’avais ressorti à l’occasion : « Tu as vu comme tu es triste quand tu es avec lui. » Alors, moi qui avais été jusqu’alors si mesurée, fut secouée de longs sanglots ininterrompus, tel un flux sans fin de peines s’évadant enfin hors de moi. Oui j’avais porté un masque que je n’enlevais que lorsqu’il n’était pas là. Et je gardais encore des traces de ce masque de chagrin qu’il me fallait brûler, coûte que coûte, bribe par bribe.

Je le regarde parler tandis qu’elle, la seconde épouse, semble s’enfoncer de plus en plus dans un monde hors de portée de la joyeuse rue de Bucci. Sur sa bouche fine qui embrassait si bien, sur ses traits racés, sur cet élégant masque d’arrogance…  je pourrais poser les mots de toujours : « Trop honnête pour être poli. » Ou plutôt « Trop égoïste pour être doux. Trop orgueilleux pour savoir donner. Vivant si dissimulé que l’on ne peut l’aimer, qu’il ne peut aimer, écrasant tout espoir. »

Il faut se garder des gens qui disent ne pas mentir… La sincérité, et son versant le mensonge, ne sont que des masques comme les autres.

 

Le Pain perdu 10 juin 2019 – Corinne Mennesson Llerena

 

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