Pour notre nouveau duo avec Caro, une chanson de Juliette, choisie par Caro. et voguent les mots...
Vous pouvez lire, ci-dessous, le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.
Le tablier à carreaux
J’essuyais les verres quand ils sont rentrés dans le café. Jeunes et bien mis. Bruyants.
La brune retenait ses longs cheveux raides avec les lunettes de mouche à la mode. Elle s’est approchée et m’a demandé : « Un rhum pomme » Le s’il vous plaît était compris dans le texte. Je jetais un coup d’œil à l’horloge qui me faisait face. 18h10. Un peu jeune. Je haussais imperceptiblement les épaules, après tout le client est roi.
La brune se retourna et d’un geste embrassa toute la salle. « Très fifties » Je ne sais pas si elle comptait l’horloge, les clients et moi dans le tableau. Je hochai la tête. J’avais acheté le fond de Tante Grazie qui n’était ni ma tante ni italienne. Un peu par hasard et aussi parce que j’aimais la voir fabriquer les glaces maison puis les faire avec elle sur la fin de sa vie avec sa vieille sorbetière. Peut-être fifties. En tout cas, je l’avais remplacé, comme le juke-box, le frigo, le bar. On ne badine pas avec la réglementation.
La bande s’était répandue sur les deux tables du fond. Ça gloussait et ça jetait des regards en coin. Peut-être, se moquaient-ils de mes barrettes qui retenaient mes cheveux bruns, les désillusions et les passages des hommes qui s’étaient posées sur mes hanches et avaient alourdi mes seins. Ou la vue de mon tablier à carreaux en polyester.
J’ai servi un sorbet amaretto avec des marbrures de cerises griottes, apporté une épaisse part de gâteau aux pommes maison et un ristretto. J’ai compté les portions de tiramisu qui restaient, ça ferait juste. Je leur ai apporté leurs verres, avec tout le tralala, rebords recouverts d’un fin givre de sucre coloré, pailles, une cerise confite pour l’un, une tranche d’orange pour un autre, les couleurs qui se juxtaposent derrière le verre fin comme un coucher de soleil. Je fredonnais la chanson de Juliette. « C’est quoi ça ? Un vieux tube ? » J’ai haussé les épaules, si au moins ils avaient eu un peu d’humour.
Je suis allée au jukebox et j’ai choisi le numéro 318. J’ai juste monté un peu le volume et me suis retournée. Quand j’ai vu au bout de quelques minutes la tête qu’ils tiraient j’ai rigolé. J’ai croisé le regard du vieux Marcello qui se marrait lui aussi.
C’est vrai quoi, ici, c’est pas le Lutetia.