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Presquevoix...

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10 décembre 2014

Justine

Elle salua Madame Barrabé, propriétaire du salon, puis passa en cabine. Elle attendait avec impatience le moment privilégié, l’instant délicieux où, une fois son visage enduit d’un masque fleurant l’eucalyptus, elle pourrait se laisser aller au sommeil dans la demi-pénombre.

Elle déchanta très vite, car lorsque l’esthéticienne arriva, elle découvrit  qu’en lieu et place de la jeune femme habituelle, elle aurait Justine, une ancienne élève que, deux ans plus  tôt, elle renvoyait en permanence un cours sur trois car soit elle n’avait pas ses affaires, soit elle se montrait insolente.

Et s’il prenait l’envie  à Justine de se venger alors qu’elle serait allongée, sans défense, les yeux clos ?

 

8 décembre 2014

Disparition

louC’est derrière la croix qu’il l’avait enterrée. Personne n’avait jamais rien soupçonné. Pour tous elle avait disparu, un coup de tête, une folie, un amant peut-être…

 

Pour lui rendre visite, il attendait que  les nuages laissent leur traîne de nuit dans le ciel et, la bouche collée contre terre, il murmurait lamentations et demandes de pardon avant de   s’éclipser dans les ténèbres.  Le même rituel s’opérait chaque vendredi, sauf ce vendredi-là, celui où la terre s’ouvrit et le précipita dans l’abîme.

 

 

PS : photo prêtée par Lou Du blog « la maison des marguerites »

6 décembre 2014

Duo de décembre

Toujours à partir de la même photo, après le texte de Caro, voici le mien.

 

La rencontre

 

quijoteElle s’était assise sur le bord de la route et avait couché son vélo à côté d’elle. Avaler des kilomètres en ligne droite sans autre perspective qu’un ciel aux couleurs grisâtres l’avait épuisée. C’est alors qu’elle le vit, perché sur sa monture, comme échappé du roman de Cervantès.

Elle se frotta les yeux. Mais oui, il existait,  et il avait planté son ridicule canasson juste devant elle.

-     Gente demoiselle, je cherche un moulin, lui dit-il sans aucune autre forme de politesse.

-       Je n’ai vu aucun moulin et Dieu sait si j’en ai abattu des kilomètres, répondit-elle aimable.

L’homme  la fixa d’un air étrange.

-         Me dites-vous la vérité ?

-         Pourquoi vous mentirais-je ?

Elle le considérait maintenant avec méfiance. Son visage émacié d’où émergeaient deux billes brillantes  ne lui disait rien de bon. Et pourquoi arborait-il cette barbiche ridicule et cet accoutrement venu d’un autre âge ?

-          Il y a longtemps que vous êtes sur les routes ? lui demanda-t-elle pour cacher son malaise.

-          Quatre siècles, répondit-il, et je risque de cheminer encore longtemps.

-          Et ce moulin, pourquoi le cherchez-vous ?

Il répondit d’un ton presque méprisant.

-          Ne me dites pas que vous l’ignorez ?

Il lui raconta alors sa foi et sa croisade pour la justice. Cinq heures sonnait au clocher de l’église quand il s’arrêta. Trois heures durant, il lui avait relaté l’épopée de sa vie. Et elle ? Combien de temps mettrait-elle  pour raconter sa vie ? Un quart d’heure ? Une demi-heure ? Et quels étaient ses rêves ? Quels étaient ses combats ? Elle dut se rendre à l’évidence : de rêves nulle trace et de combats encore moins. Rien, le vide, zéro. C’est alors que celui qu’elle nomma plus tard «  le  chevalier » lui dit.

-          Prenez votre monture gente demoiselle et suivez-moi.

-          Moi ? Mais…

Son ton autoritaire ne lui laissait aucun choix.

-          Pour combattre le mal, nous ne serons pas trop de deux.

Deux minutes plus tard, ils cheminaient côte à côte. Elle sur sa monture de fer,  lui sur sa monture de poils. Il lui expliqua qu’une fois le moulin trouvé, le mal disparaîtrait de la terre, pour la simple et bonne raison qu’à cet endroit vivait celui qui en connaissait l’origine.

-          Celui que vous cherchez depuis quatre siècles ?

-          Exactement.

Soudain il lança son cri de guerre : « Allez Rossinante, on va leur montrer de quel bois on se chauffe ! ». La bête partit au galop et elle changea de plateau pour ne pas se faire semer.

Assurément, cet homme était atteint d’une douce folie, mais elle, n’était-elle pas atteinte de la même démence pour  le suivre ainsi, dans ce voyage qui pourrait encore durer quatre siècles ?

4 décembre 2014

Duo de décembre

Nous poursuivons, avec Caro, nos duos d'écriture.

Pour le mois de décembre, place à l'aventure avec Don quichotte. La photo qui nous inspire a été vue sur facebook.

Le texte de ce jour est de Caro, le mien paraîtra samedi, sur presquevoix.

 

 

 

quijoteToute ressemblance avec la situation actuelle d’une ville de province moyenne relativement endormie n’est pas fortuite.

Une guignolade.

Il régla ses jumelles. Parfait. La fière silhouette semblait être à deux pas ; rien encore ne dérangeait l’après-midi paisible.

Louis vérifia si sa besace était bien amarrée à son vélo. Il attrapa la bouteille de bière, encore fraîche d’avoir séjourné dans le ruisseau. La première gorgée était la plus amère. Il s’installa à couvert. Il n’y avait plus qu’à attendre l’arrivée des flics.

Car ils viendraient.

Quinze ans qu’il militait, Louis. Il avait commencé l’année du bac français. D’abord contre ce maire, tyranneau de campagne avec maîtresse officielle, abus de pouvoir et mépris de la valetaille. On avait planté yourtes de protestation et manifesté. Baptisé des arbres pour les sauver. À l’époque, chaque profession avait encore son pardon trimestriel : jours de paralysie, jours de lisier, jour sans courrier. Le ton s’était peu à peu durci. Jusqu'à ce jour des morts.

Des années de lutte où battait à plein la propagande des politiques. Où une presse locale, parfois nationale, maniait une plume servile et appliquée. De grands noms secourant « leurs amis » menacés, des intimidations et des procès. Les leçons de communication des années populistes n’avaient pas été vaines pour tous.

Louis rangea la bouteille vide dans son sac. Une vraie tête brûlée, c’est ce que rapportaient encore les camarades. El Quijote ! Un surnom tiré de ses racines espagnoles qu’il apposait en tags rageurs au bas des coups de poing, des coups de gueule, des coups de sang.

La situation du pays avait fini par virer à l’aigre. Les organisations de lutte avaient pris le mauvais pli de leurs adversaires. Négociations où l’on retournait sa veste, instauration d’une ligne de conduite à laquelle il ne fallait pas déroger. La dissension n’était pas autorisée, la liberté devenait amère. L’esprit humain a des dérives qu’aucune famille politique, aucun idéal n’effacent : veulerie, flagornerie, cupidité, orgueil. Une palette insatiable.

El Quijote avait enfourché son vélo et s’était perdu sur les routes de France, Loire ou canal de Berry, plus loin encore. Une carte postale écrite à deux pas du viaduc de Millau avait annoncé qu’il se désolidarisait du mouvement. Là sa jeunesse de croisé s’était envolée et il avait pédalé. Longtemps. De toutes ses forces.

Louis savait : bloc contre bloc, de terre, de fer ou de granit, l’affrontement ne menait à rien. Il fallait investir les fêlures, les failles, les fractures et laissait pousser un peu d’humour, de tendresse, de poésie. Garder le rêve. Se déprendre des illusions du collectif.

Hier, en début de soirée, il avait planté ce panneau qu’il avait confectionné en douce, grâce à une responsable à l’âme et au corps de satin. Louis reprit ses jumelles, scruta un mouvement en contrebas : la presse et ses dents longues, prête à mettre dans la boîte à images du 20 h un scoop, était sur les lieux.

Une ombre bleu marine approchait sur la D 49, une deuxième suivait. Il était temps de plier bagage. Ce soir, un Guignol à l’accent espagnol moquerait encore le gendarme. L’uniforme ne supportait plus le moindre accroc à l’ordre. Susceptible, tatillon, apoplectique, les spectateurs aimaient le voir battu. Et le public s’esclafferait, confortablement installé dans son salon. Quand il s’en extirpera, il se rappellera qu’il aime l’ordre. Louis, lui, gardait l’héritage des zannis, parsemant ses coups d’éclat de drôlerie et de poésie.

Le moulin était loin. Louis pédalait plus tranquillement et observait la frange rousse des champs où une alouette riait sous cape. Là-bas les marionnettes devaient démonter le décor ; le spectacle était dans la boîte pour le prochain JT. On applaudirait. Louis chantonnait en longeant la coque vide d’une usine qui s’était envolée en Chine. Sur les murs brisés, des arbres s’élançaient. Oui. Il fallait envahir les fêlures, les failles, les fractures et déposer un peu d’humour, de tendresse, de poésie. Caresser le rêve. Élever des châteaux en Espagne. Garder l’âme du Quijote.

 

El Quijote : surnom de Don Quichotte en espagnol.

Zannis : (altération de Giovanni en dialecte vénitien) Personnage de serviteur bouffon dans la commedia dell'arte

2 décembre 2014

Voir ou pas

Il était assis au fond de la classe, comme à son habitude, son grand corps avachi sur sa chaise. Le week-end avait dû être difficile ! Au moment où le professeur commença à écrire au tableau l’élève leva le doigt.

-          Monsieur, je vois rien.

Le professeur lui répondit.

-          Viens devant, Charles, il y a de la place au premier rang.

Charles réfléchit un instant puis conclut.

-          Ca y’est monsieur, je vois.

-          Quand je pense qu’il y en a qui recouvrent la vue avec moi ! Je vais finir par me prendre pour Jésus Christ…

Les élèves sourirent, Charles resta assis au dernier rang, avachi sur sa chaise, et le cours continua.

30 novembre 2014

Les scratchs

A 17 ans, il ne savait toujours pas attacher ses lacets ; forcément, il mettait des chaussures à scratch depuis sa naissance… 

28 novembre 2014

Bonheur

Il  pensait qu’il était plus facile de rendre heureux la femme d’un autre que la sienne. Il aurait facilement pu le vérifier, mais au dernier moment, il n’avait jamais réussi à sauter le pas : question d’éthique,  de culpabilité, de peur ou de confort, allez savoir !

PS : la liste n’est pas exhaustive

26 novembre 2014

La démarche des vases

couvertureOn disait d’elle qu’elle avait une démarche de vases - j’aurais plutôt dit d’amphores. Tout le monde la trouvait laide, sauf moi. J’en étais tombé secrètement amoureux. Son double-menton et ses joues blanches et molles m’attiraient comme des aimants. Ce lieu commun, chers amis lecteurs, vous dérangera peut-être,  tout comme vous dérangera  sa chair abondante, mais moi je rêvais d’y enfouir mon visage et d’en parcourir les plis, dussè-je y passer plusieurs jours.

Pourtant, ce qui me fascinait chez elle, encore plus que sa chair flasque, c’était son autorité, à laquelle je rêvais de me soumettre.

Mardi dernier, par le plus curieux des hasards, nous nous sommes retrouvés en tête à tête dans le même salon. Un moment inespéré. Elle m’a regardé de ses yeux faussement inexpressifs et  je n’ai pu refreiner l’impétuosité de la sève qui jaillissait dans mon jeune corps brûlant.

-          Mademoiselle, lui ai-je dit, j’ai pour vous…

Elle ne m’a pas laissé terminer ma phrase et m’a répondu d’une voix grave qui semblait prendre sa source à la naissance de son pubis.

-          Monsieur, arrêtez, je sais ce que vous allez dire.

-          Et que vais-je vous dire ?

-          Toute l’horreur et la répugnance que je vous inspire.

-          Tout au contraire mademoiselle, je ressens pour vous un étrange amour.

-          Insolent ! m’at-elle-dit en me frappant le visage de ses gants de peau.

Jouissance suprême. Ce geste charmant m’a conquis. Maintenant, je ne rêve que de me glisser sous l’étoffe de sa lourde robe.

 

PS : pour vous amuser à créer votre couverture de livre, c’est ici.

 

24 novembre 2014

Le déchétarien

Il faisait ses courses au supermarché, de nuit, en sautant par-dessus les murs et en fouillant les poubelles qui regorgeaient de produits périmés. Les DLC*, il laissait ça aux victimes de la société de consommation. Lui, il   mangeait  gratuit depuis 10 ans, une économie non négligeable pour qui refuse de « revendiquer » son employabilité sur le marché du travail…

 *Date de limite de consommation

 

 

22 novembre 2014

La blouse blanche

Lorsque l’élève était arrivée en cours de physique avec une blouse blanche qui lui arrivait à la taille, le professeur lui avait fait remarquer qu’il lui fallait une blouse plus  longue à cause des expériences. Peine perdue. La semaine suivante, il lui demanda son carnet de liaison afin de mettre un mot à ses parents.  « A faire signer par tes parents », ajouta-t-il.

Le jeudi suivant, l’élève lui rapporta le mot signé avec cette note de sa mère :

« Ma fille à la blouse que sa sœur a porté il y a quatre ans. Pourquoi elle convenait avant et plus maintenant ? Je vais pas acheter une blouse plus longue pour vous faire plaisir. »

Le professeur poussa un long soupir, regarda la fille qui devait faire au moins 1 m 80, puis il  écrivit sur le carnet :

"Quelle taille faisait votre fille aînée ?"

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