Le tatouage
Il s’était fait tatouer dans le dos un aigle imposant aux ailes déployées. A croire que l’oiseau lui avait donné le goût de voler, quinze jours plus tard il quittait le nid familial…
Il s’était fait tatouer dans le dos un aigle imposant aux ailes déployées. A croire que l’oiseau lui avait donné le goût de voler, quinze jours plus tard il quittait le nid familial…
Au jeu des chaises tournantes, elle avait toujours été celle qui n'avait pas de chaise. Jusqu'au jour où une chaise se présenta ; elle fut tellement surprise qu'elle en oublia de s'asseoir et reprit sa place au royaume des sans chaises...
La première fois qu’il l’avait vue, elle marchait sur le chemin d’eau Il avait freiné brusquement, avait posé son vélo et l’avait admirée. Sa robe de mariée blanche semblait caresser la silhouette des arbres et la courbe de son voile épousait son corps. Soudain, un canard avait pris son envol et elle avait disparu dans le miroir vert.
Le lendemain – lui avait-elle jeté un sort ? - il revint au même endroit. Il apercevait par endroit le reflet tremblé du ciel gris et la ligne régulière des arbres donnait à cette scène champêtre un air de paix. Il n’eut pas le temps de la voir car son portable sonna et il partit à regret ; un chantier l’attendait et le patron s’étonnait de son retard.
Le troisième jour, il prit soin d’éteindre son portable et s’assit à l’endroit exact où elle lui était apparue, décidé à rester jusqu’au bout. Il devait en avoir le cœur net. Existait-elle oui ou non ? Enfant, il avait déjà été sujet aux apparitions et en avait gardé un souvenir amer : personne ne l’avait jamais cru. Mais maintenant qu’il était adulte, qui pourrait remettre en cause sa parole ?
Elle arriva à dix heures, précédé d’un cortège de cygnes noirs. Ce jour-là, elle n’avait pas son voile vaporeux – sans doute le vent l’avait-il emporté ? – et ses cheveux noirs ceint d’une couronne de fleurs d’oranger flottaient sur ses épaules. Il retint son souffle et s’allongea dans les herbes pour qu’elle ne le vît point.
Arrivés à sa hauteur, les cygnes s’arrêtèrent. La jeune femme lui tendit la main. Il aurait pu l’ignorer, rester caché dans les herbes folles, mais il n’hésita pas un seul instant ; il la rejoignit, lui baisa la main, et le cortège repartit emporté par le courant…
PS1 : photo de C.V. prise en Alsace
PS2 : petite pause, prochain texte le jeudi 26 juin.
Depuis 5 ans, il militait - avec une fougue qui parfois l’étonnait lui-même - dans un mouvement non-violent. Que lui avait-t-il donc pris, ce mercredi 18 juin, de tuer sa femme de 33 coups de couteau ?
Pour notre duo de Juin avec Caro, Une citation de Bulbul Sharma, en incipit, et l'imaginaire s'ouvre...
Vous pouvez lire, ci-dessous, le texte de Caro ; quant au mien, il est sur son blog : les heuresdecoton.
L’adéquation
« Il était allé voir des montres et avait perdu la notion du temps ».
Elle marche à mes côtés ; le trouble que j’avais perçu au téléphone a collé de larges plaques rouges sur son cou et ses bras. Elle semble parfois perdre le fil de sa respiration, une larme s’échappe par mégarde de son œil droit. Pourtant il fait doux, bleu ; il n’y a pas de vent.
Elle s’immobilise devant la devanture d’un bijoutier-horloger. Elle a blêmi. Son corps mince tangue. « Cath, il y a un truc, viens on va boire ce verre que tu m’as promis dans ce bar, celui là-bas. Pas la peine de se montrer au Vendôme » Je commande une Margarita pour elle, un Americano pour moi. J’attends. Tiens, le patron a délaissé Piers Faccini pour un fond de latin jazz.
Elle a vidé son verre sans même remarquer ce que c’était. Elle va vraiment mal. Pour Cath, prendre un verre avec un ami tient de l’acte de recueillement. Je laisse le silence travailler.
« C’est Joachim.»
Je hausse les épaules, Joachim est compliqué. Les années en couple ont un peu gommé ce défaut, mais quand même, ce gars à vingt ans devait déjà trimballer ses règles idiotes. « On ne mange pas les sushis avec les doigts » « Je supporte, mais vraiment je supporte de ne pas avoir systématiquement un torchon à main dans la cuisine ». En même temps, il est incapable de simplement planter un clou ou changer une ampoule.
Joachim est beau, pas mal friqué et, bizarrement, il sait être drôle. C’est ce qui a fait que Catherine a dit oui.
Je souris au serveur, oui, il va nous apporter la même chose et des olives. « C’est arrivé quand il achetait la bague de fiançailles. » Je vois le bijou anciennement domicilié place Vendôme qui scintille à la main gauche de Cath. Diamant rose, grenats et or blanc. Une beauté. « Il a vu les montres et est devenu obsédé. » À ce moment Margarita n° 3 arrive sur la table. Cath l’avale un peu plus lentement. Peut-être en reconnaît-elle le parfum. J’accepte, oui encore une ensuite. Au point où on en est.
« Il veut trouver la montre parfaite, en totale adéquation avec mon poignet. Depuis nous ne faisons que cela, errer de joaillier en joaillier. Il oublie tout, dossier, inauguration, lancement, rendez-vous, le temps. Heureusement le cabinet peut tourner quelques jours sans lui. » Mais pas trop ; Si j’étais elle, je serais aussi inquiet.
Alors que le serveur nous pousse vers la sortie, elle éclate en sanglots dans mes bras. Je lui propose ma chambre, je peux bien prendre le canapé pour une fois. « Nous sommes partis en Suisse ce week-end. Il a finalement trouvé le modèle qui lui convenait. Mais cette horrible bonne femme, cette vendeuse, elle lui a dit qu’elle ne m’allait pas vraiment. » J’ouvre la porte de l’immeuble où je vis. Je l’entends renifler doucement, jusqu’à ce que nous parvenions à l’ascenseur. Il était temps que nous rentrions, je n’ai plus de mouchoirs. « Joaquim m’a quittée, tu te rends compte, maintenant il ne cherche plus une montre, il cherche la femme qui ira avec et ce n’est pas moi. » Je regarde son visage chiffonné, Cath. Si fine, si légère, si beauté antique.
L’ascenseur s’arrête dans une secousse grinçante. 7e étage. Cath tire la grille et j’aperçois la grosse bague qui déforme sa main. J’avais toujours pensé que ce gars était une erreur, surtout après qu’il lui a offert ce bijou beaucoup trop ostentatoire pour une si belle femme. Elle pleure tout doucement maintenant, je saisis son poignet et dépose un baiser fragile sur la ligne bleu qui palpite. Un baiser en parfaite adéquation avec toi, Cath.
Il y a trente ans, il avait eu un ami, un vrai, le seul en qui il avait eu confiance.
Et puis un jour, cet ami l’avait trahi. Il était parti – en remuant sa queue et sans même lui adresser un regard - avec une famille qui avait un enfant du même âge que lui.
Quand son père était allé chercher Ouaf et l’avait ramené en laisse, il n’avait plus voulu lui parler. Il l’ignorait, indifférent à ces gémissements et à ses demandes d'affection, jusqu'à ce que - lassé de ce jeu - il lui pardonnât.
Il s’en souvenait encore, c’était un jour d’été, près d’un étang. Il était de bleu vêtu, comme le ciel, et le chien s'était montré si persuasif qu’il n’avait pu que céder.
C’est la première et la dernière infidélité qu’il avait pardonnée.
PS : photo prise par C.V.
Elle les observait attentivement. Ils étaient en « territoire étranger », à des centaines de kilomètres de chez eux, mais ils ne regardaient rien. Par contre, ils passaient leur temps à "jouer" avec leur « smartphone » et surtout, surtout, à se prendre en photo et à commenter les séries de portraits qu’ils prenaient des uns et des autres dans un ballet infini.
Elle se demandait si, à force de se fabriquer en permanence des images d’eux-mêmes, ils en arriveraient à savoir qui ils étaient…
A chaque fois qu’elle voyait son amie, celle-ci commençait par un « Alors » sonore. Oui, Alors ?
Alors rien, toujours rien, ou si peu. En demi-deuil – il était mort depuis un an - elle butinait ici ou là, mais ne récoltait presque rien, sinon le pollen de quelques hommes dont elle oubliait toujours le nom.
Le jour de sa mort, elle l’avait vu dans toute la nudité de son corps d’insecte. C’était un peu comme si, face à l’éternité, il avait voulu lui dire la vérité : je n’étais qu’un papillon qui s’est pris pour un homme, excuse-moi.
Pendant 10 ans, elle avait fait l’amour à un papillon sans jamais ne s’apercevoir de rien. Etait-elle aveugle à ce point ?
PS : photo gentiment prêtée par Ksenia
Après avoir médit des uns et des autres pendant une demi-heure, elle a ajouté.
- Je crois que toi et moi on devrait créer une radio locale. On l’appellerait RLDP.
- Tu sais, je n’ai aucune compétence en matière de radio.
- En matière de radio peut-être, mais pour le reste…
- Et à propos, RLDP, ça veut dire quoi ? a-t-elle fait intriguée
- Radio Langue De Putes, bien sûr !
Elle l’a regardée sidérée. Elle ? Une « langue de pute » ? Elle se moquait d’elle ? Qui avait passé son temps à critiquer tout le monde : elle ou elle ?
Quand elle avait vu le paon elle avait poussé de petits cris de joie et avait ajouté.
- Non mais tu l’as vu ? Tu l’as vu ?
Son mari détestait ses crises d’admiration proches de l’hystérie. Lui préférait la discrétion.
- Mais oui, je l’ai vu, et alors ?
- Et alors ? Il ne te fait penser à personne ?
- Non.
- Cherche un peu.
Il savait qu’elle adorait se faire prier ; c’est la raison pour laquelle il se désintéressa complètement du paon et partit à grands pas vers la serre. Après tout, pourquoi lui ferait-il plaisir ? Lui faisait-elle plaisir, elle ?
PS : photo prise par R.B. au Portugal