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Presquevoix...
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13 avril 2020

Transmettre ou non ?

Un jour,  Laure leur avait dit sur un ton de confidence.

-          Ma mère, je ne sais pas comment je pourrais la remercier un jour de tout ce qu’elle a fait pour mes enfants : je lui dois tout !

Pour ne pas être en reste, Géraldine avait enchaîné sur le même ton : moi aussi, je lui dois tout à ma mère, le nombre de fois où elle a gardé mes enfants. 

Elle n’avait rien dit, elle détestait ce genre de remerciements, surtout venant de mères qui, elles-mêmes, passaient leur temps à évoquer la somme de choses qu’elles faisaient pour leurs propres enfants. Attendaient-elles le même genre de remerciements de la part de leurs enfants plus tard ?

Maintenent, à l'âge de 48 ans, elle comprenait pourquoi elle n’avait pas voulu avoir d’enfants. Non, cela n'avait rien à voir avec les problèmes environnementaux ou les problèmes de surpopulation, comme elle l'avait souvent laissé entendre. Sa décision était simple : sa mère ne lui avait rien transmis, dans ces conditions, comme aurait-elle pu transmettre quelque chose à de potentiels enfants ?

 

11 avril 2020

Jogging

Puisqu’on ne pouvait plus faire de jogging à Paris pendant cette quatrième semaine de confinement, il avait proposé à sa femme la solution suivante.

-          Je me mets à quatre pattes, tu me tiens en laisse, et on descend le boulevard St Germain en petites foulées.

Elle avait protesté.

-          Tu es fou ? Et les voisins, tu y penses ?

-          On se fout des voisins avait-il conclu. Le plus important, c’est le corps. Et le tien a besoin de bouger. Tu trouves pas que tu as grossi ?

Elle ne regretta pas ces petites foulées matinales qui lui apportèrent une stimulation extraordinaire que tout d’abord elle ne comprit pas. Mais en fin de journée, alors qu’elle écoutait  la chanson « insensatez », allongée sur son lit, elle se rendit compte qu’en dix ans de vie commune, elle avait été réduite au rang d’esclave -  avec son propre consentement, imbécile qu’elle était - et, en tenant Olivier en laisse, elle avait enfin pu "jouir".

Oui, se dit-elle en gloussant au moment exact où Mariza s’était tue, oui, au pied, couchez, c’est fini mon coco, maintenant, on va passer à autre chose !

PS : voici la traduction en français de la chanson Insensatez, ici interprétée par Mariza, chanteuse portugaise.

 

9 avril 2020

Les masques

On était le mardi deux juin 2020 et, depuis cette rentrée post-coronavirus, dans les salles de  classes, c’était masque obligatoire pour tout le monde. Sans parler du plexiglass qui faisait aussi son entrée au lycée. Elle avait l’impression d’être au tribunal, en prison ou dans une chambre funéraire, mais pas dans sa salle de classe.

Faire cours avec un masque sur la bouche la mettait à rude épreuve, d’autant plus qu’elle enseignait une langue étrangère. Quant aux élèves, non seulement ils ne comprenaient plus rien, mais ils évitaient de parler. Même les 5 % qui, d’ordinaire, donnaient un petit élan de vie au cours n’ouvraient plus la bouche. « Pas pratique », avaient-ils dit, « on préfère se taire ». Un monde de fous, pensa-t-elle, mais jusqu’à quand cette mascarade allait-elle durer ? Elle attendait les vacances avec impatience, mais des vacances pour aller où ?

24 mars 2020

L’inspecteur

-          Cette histoire est invraisemblable !

-          C’est justement là le problème.

Elle regardait l’inspecteur, attendant qu’il manifeste un désir, une volonté, un ordre, mais non, rien.

Le livre laissé ouvert à la page 199, sur la table du salon où le meurtre avait eu lieu, laissait à penser que l’assassin avait suivi la voix du narrateur à la virgule près. La fiction rejoignait la réalité et l’inspecteur était troublé.

-          Un fou ? Suggéra-t-elle pour le faire sortir de son silence.

-          Non, un malade de l’écriture, un type qui n’a jamais pu publier, répondit l’inspecteur dans un souffle.

Puis son regard erra tristement sur le corps lacéré qui avait servi de page d’écriture…

 

13 mars 2020

une étrange nouvelle

Hier soir, dès 20 heures,  un étranger qui dit s'appeler Emmanuel M est venu nous donner une bien étrange nouvelle  : les établissements scolaires fermeront dès lundi 16 mars. Ah bon ? Comme en Italie, mais bien après l'Italie ?

Il est aussi prévu - comme nous le signalent nos supérieurs hiérarchiques - d'établir un plan de continuité de l’activité pédagogique. Oui, nous vivons dans le meilleur des mondes.

Cela m'a rappelé ce que disait un élève de terminale hier matin quand il a appris que les élèves dont on fermait les collèges et les lycées devaient travailler à la maison : " Et ils croient qu'on va travailler chez nous ? Ils rêvent ! On n'écoute déjà pas en cours !"

J'avoue qu'il m' a fait rire ; pourtant, en période de pandémie, le rire n'est plus à l'ordre du jour  !

 

PS : prochain texte lundi

 

28 janvier 2020

Tu l’as dit

Elles étaient toutes les deux assises dans le salon. Une douce fin d’après-midi où le soleil terminait élégamment sa course dans le ciel. Soudain l’une dit à l’autre.

- Tu te souviens quand tu as dit à la femme de Michel qu’elle était mieux en photo qu’au naturel ? Tu as même ajouté que si elle ne t’avait pas dit que c’était elle sur la photo, tu l’aurais même pas reconnue !

Son amie, outrée, répondit.

- Moi ? J’ai dit ça ? Franchement, ça m'étonnerait, parce que les photos des autres, je ne les regarde jamais, ça ne m’intéresse pas.

- Pourtant tu lui as dit, vraiment, je m’en souviens parfaitement. Je crois même que tu lui as dit parce que tu la détestes.

- Moi ? Je déteste la femme de Michel ? Enfin, drôle d’idée, j’aime tout le monde.

Le silence s’installa jusqu’à ce l’une dit à l’autre, avec un sourire mutin.

-          De toute façon, moi aussi je la déteste la femme de Michel ; alors, où elle est le problème ?

Elles se sourirent et leur dialogue continua dans une presque harmonie…

 

 

 

 

16 novembre 2019

Le tapage

Il lui a téléphoné pour lui demander si elle pouvait passer chez lui tout de suite.

-           Tout de suite, mais pour quoi ?

-           A cause du bruit.

Il faut dire que depuis des mois, il se plaignait de ses voisins. Elle arriva presque instantanément, sa maison était au bout de la rue.

Quand il lui a ouvert la porte, son visage était triomphant.

-   Cette fois-ci, avec ton témoignage, ils va l’avoir dans l’os le connard. Viens dans la salle à manger !

 Elle l’a suivi.

-   Ecoute !

Et elle a écouté. De vagues bruits de guitare lui parvenaient, mais rien qu’elle n’aurait pu appeler du tapage.

-   Alors ? Lui a-t-il dit le visage radieux, c’est quand même dingue, hein, le sans-gêne de ce mec  ?

Elle a acquiescé prudemment et a loué le ciel de ne pas l’avoir comme voisin. Mais comment allait-elle faire pour témoigner alors qu’elle n’avait quasiment rien entendu ?

6 novembre 2019

L’échelle

 

 

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Difficile de grimper à l’échelle après tant de mois d’arrêt de travail.

Les barreaux succèdent aux barreaux et la lumière est si loin.

Toujours cette petite obsession : et si les mots me manquaient, qui viendrait me sauver ?

A vrai dire, peu importent les oublis puisque j’ai mis en place des dictionnaires vivants prêts à intervenir, si problème il y a.

Ce retour dans le monde du travail exige un autre rythme et une faculté de concentration différente. Finis les siestes, les lectures, l’écriture, la musique, la méditation et les silences. Quatre matinées sur sept, les mots et les voix entrent en scène - à tort ou à raison -  et, leur chemin  se glisse - avec peine ou aisance - dans  ce lieu où citations, cartes et paysages incitent au voyage.

 

PS : photo prise dans la Creuse en mai 2018.

 

14 octobre 2019

Le père

A chaque fois qu’il rendait visite à son père, il ne manquait pas de dire.

-          Saint Pilulier, priez pour nous.

Oui, à 89 ans, son père était un fervent adepte des pilules.  Il y avait les pilules qui ouvraient la nuit et celles qui ouvraient le jour. Au total une douzaine. Un jour, agacé par ces pilules que son père dévorait, il lui dit.

-          Toi, non seulement tu es hypocondriaque, mais tu veux creuser  le déficit de la sécu.

-          Non, je lutte juste pour la vie.

-          Il y a des façons plus efficaces de lutter, non ?

-          Je crois que toi tu attends l’héritage. Tu voudrais que je passe l’arme à gauche pour rejoindre ta mère au cimetière.

-          Franchement, papa ! Moi l’héritage, je m’en fous. Et puis d’abord je suis fils unique, alors… Ce que je voudrais c’est que tu n’enrichisses pas les laboratoires pharmaceutiques avec ces conneries.

Son père sourit et conclut.

-          Ah, ça tu as raison, les conneries, je connais ! Et la première c’est d’avoir épouser ta mère.

-          Tu ne vas pas recommencer. Tu voudrais que je te prenne pour un saint ? Impossible. De toutes façons, maman non plus n’étais pas à une sainte, je le sais bien, même si le curé n’a pas hésité à la canoniser dans son discours.

-          Quel imbécile ce curé, ne m’en parle pas où je vais faire une crise cardiaque !

Son fils sourit. Oui, son père avait de l’humour, parfois. Il n’y avait qu’une chose qui le gênait chez lui : son ressentiment envers sa mère. Pourquoi continuait-il à lui en vouloir après tant d'années ?

 

 

10 octobre 2019

le café du coin

Au café du coin, Michel discutait au comptoir avec un type assez jeune que personne ne connaissait à part lui ; c’était le fils d’un ami d’un ami  dont il ignorait même le prénom.

- Moi, disait Michel, fier de lui, je suis  anti-immigration et anti-Europe, et je peux te dire que je me gênerai pas pour voter RN s’il le faut !

L’autre lui répondit l'air moqueur.

- Et anti-connerie, non ? Tu devrais essayer, ça ferait du bien à ton cerveau anti-social.

Michel ne répondit pas et but d'un coup le reste de sa bière. L'autre ajouta.

- Et les inégalités, t'en penses quoi ?

- Quoi j'en pense quoi ?

- Et bien les retraites  par exemple ?

- Bon, allez, ta gueule, répondit Michel, tu me fatigues et en plus tu comprends rien à rien.

Le jeune homme se dit que si  ce vieux voulait foncer droit dans le mur, qu’il y aille, lui avait assez à faire avec les mecs anesthésiés au boulot.

-  Allez, je te pais ta bière et je te laisse même le journal l’humanité, un cadeau. C’est beau l’humanité, non ? Et puis ça informe mieux que le Rassemblement National !

Il sortit du café sous le regard des habitués du matin. La journée commençait sous un soleil pâle et il se demandait comment elle se finirait…

 

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