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Presquevoix...

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23 avril 2019

Mado et moi

Nouveau duo avec Mado, à partir d'une figure poétique de Gaspar lieb prise en photo par moi-même près du conservatoire de Rouen.

Nous pouvions aussi nous servir d'une citation, si besoin était :  "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est." Max jacob.

 

Aujourd'hui, voici mon texte :

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L’inconnu

 

Le jour où elle l’avait regardé pour la première fois, son large corps nu était penché vers la mer ; lui ne l’avait pas vue, ses yeux étaient tournés vers l’horizon.

Ce voyageur lui faisait oublier son quotidien au commissariat de police de la rue Flaubert. Dans cette ville où elle était arrivée il y a un an, tout flottait dans un ciel gris que l’ennui enlisait.

Six mois plus tôt, au numéro 33 de la rue des bons-enfants, elle avait lu une phrase intrigante : "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est."*. Elle s’était demandée s’il était long le chemin de l’humanité, et elle avait recopié la phrase mot pour mot sur son carnet noir.

Son adjoint au commissariat – Hug’ comme elle l’appelait, alors qu’il s’appelait Hugo – lui proposait souvent de prendre un verre après le travail. Elle acceptait, mais elle savait que Hug’ n’était pas un voyageur, juste un homme comme les autres, au corps indéfinissable et aux cheveux si blonds qu’ils en semblaient transparents.

 Ce soir-là, en sortant du café Bovary, Hug’ lui avait demandé en souriant.

-  Qu’est-ce que tu cherches ?

- Pourquoi tu dis ça Hug’ ?

- Je sais pas, la façon dont tu regardes les autres et cette voix qui est là et ne l’est pas.

Elle le quitta sans rien dire et marcha vers le fleuve pour rencontrer le voyageur au corps nu. Il l’attendait dans la même position que les autres soirs.

- Tu es prête ? lui a-t-il dit alors qu’ils ne s’étaient jamais parlés auparavant.

- Prête à quoi ?

- A faire l’amour, maintenant, ensuite je partirai.  

Les mains du voyageur dessinèrent chaque partie de son corps et, sur le mât de son sexe, elle sentit sa peau gonfler sous le vent du large. Quand elle a ouvert les yeux, le voyageur lui a dit.

-          Souvent on ne fait pas l’amour avec l’homme avec qui l’on est. Je ne m’appelle pas Hug’, tu sais.

-          Comment tu t’appelles alors ?

-          L’inconnu, je suis l’inconnu.

Maintenant, quand elle longe le fleuve main dans la main avec Hug’, ils écoutent ensemble le vent de la mer raconter l’histoire de ces hommes et femmes qui auraient pu ne jamais se rencontrer si, un jour, ils n’avaient pas ouvert les yeux.

21 avril 2019

Mado et moi

Nouveau duo avec Mado, à partir d'une d'une figure poétique de Gaspar lieb prise en photo par moi-même près du conservatoire de Rouen.

Nous pouvions aussi nous servir d'une citation, si besoin était :  "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est." Max jacob

   

 

20190227_143015

 

Voici le texte de Mado, le mien sera publié mardi.

 

Incompatibilité

 

Il lui avait promis une surprise pour leur première soirée. Quand de l’étage, elle l’avait surpris  à son insu, ficelé nu dans son Bow-Short demi-tour noir, qui manœuvrait  le  tranchant  d’un couteau   acéré,  elle jugea,  perspective modifiée, la situation  rédhibitoire. Médusée, elle continua pourtant à l’observer…

IL les saisissait l’une après l’autre  dans leur rondeur, avec une fébrilité effrayante, le regard  irradié d’éclats pervers. Il  visait juste où planter la lame, coupait, raclait … Il  maintenait …tirait pour détacher  le corps délicat…sectionnait…. Enfin,  le délivrer  de toute impureté… faire ruisseler subtilement  l’eau claire sur la  chair blanche…

En percevant sa présence, il avait jubilé: « Elles étaient bien vivantes ! »

 

Elle ne sut pas dire lequel des motifs avait été déterminant. D’abord  cette allure si grotesque au milieu de la cuisine… Et puis, lui avait-il seulement  demandé son avis? Elle était végétarienne! Enfin, qu’avait-il  de  plus humain que ces infortunées St Jacques occises à plaisir ? D’ailleurs, plus personne ne l’est, prit- elle à témoin l’agent qui nota sa déposition après l’avoir arrêtée près du corps de l’ex- amant potentiel. Elle avait dû péter les plombs, et évidemment qu’elle regrettait !

 

Depuis son jugement, elle s’efforce de réunir les fragments  de  souvenirs de ce corps sacrifié à peine entrevu, et d’une main qui tremble, sur le mur de sa cellule, comme sur un palimpseste, elle tente  de le  ressusciter; chaque jour elle le réinvente  plus désirable : là est sa rédemption.

19 avril 2019

Solveig

 

 

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Il savait qu’elle le regardait derrière la fenêtre, mais elle avait décidé de ne pas sortir. Pourquoi attendait-elle dans le clair-obscur de la maison ?

Lui aussi attendait, mais dehors. Il suivait un visage, des couleurs et la forme des choses.

Et elle, que faisait-elle ? A vrai dire il ne la connaissait pas. Juste un visage aperçu derrière cette fenêtre décorée par des branches d’arbres que le ciel bleu de l’hiver éclairait. Il avait donné à ce visage une forme inattendue, séduisante presque, et il avait appelé cette femme Solveig.

Peut-être que Solveig* sortirait un jour, mais ressemblerait-elle au visage qu’il lui avait donné ?

 

PS : Photo prise à Rouen, et voici la chanson de Solveig de Grieg

 

 

13 avril 2019

En finir

Chaque jour elle déposait un mot – ou deux - dans sa poubelle ; les mots des lettres qu’il lui avait envoyées et qu’elle dépiautait consciencieusement. En désossant ses phrases, elle le désossait. Comme il ne lui avait écrit que 4 lettres, elle en aurait assez vite fini avec lui.

Le précédent, par contre, il lui avait fallu douze longs mois pour le faire mourir. C’était un amoureux des mots, mais pas d’elle.

Quant à l’avant avant dernier - un imbécile - la seule missive qu’il lui avait écrite, c’était ces trois phrases griffonnées à la hâte sur une enveloppe : « Je pars. Oublie-moi. Je ferai de même. » Elle, elle l’avait achevé en une semaine.

 

PS : prochain texte le vendredi 19 avril.

11 avril 2019

La boutique aux soutiens-gorges

Tous les jours il restait en arrêt devant la boutique aux soutiens-gorges. Il ne faisait de mal à personne, et surtout pas à elles, puisqu’il leur épargnait sa présence en chair et en os.

Elle aussi restait en arrêt devant la boutique aux soutiens-gorges. Elle le faisait pour se choisir l’objet qu’un jour elle aurait le courage d’acheter. Elle se trouvait grosse et moche, et ces "joyaux" n’étaient pas pour elle.

Ils se regardèrent l’un l’autre un mardi en début d’après-midi, et ils se sourirent, allez savoir pourquoi. Sans doute parce qu’ils cherchaient tous deux la perle rare. Il n’osa rien lui dire, comme il se doit, mais elle fit un pas vers lui. C’était le premier homme qui la regardait vraiment.

Elle lui demanda spontanément – et elle en fut elle-même surprise - s’il voulait de l’aide. Il rougit. Elle aussi.

-          Je m'occupe de ce qui ne me regarde pas, excusez-moi, dit-elle.

-          Mais non, au contraire, c’est gentil de votre part. Je me demandais ce qui pouvait lui plaire.

Elle n’hésita pas un instant et répondit.

-          Je ne la connais pas, mais je pense que cette couleur crème et ces dentelles lui iraient comme un gant.

Il l’observa un instant et ajouta.

-          Vous avez raison, mais j’attendrai un peu car j’ai toujours besoin de réfléchir deux fois lorsque j’achète quelque chose.

-          Vous n’êtes pas le seul. Voyez, moi, c’est la dixième fois que je passe devant cette boutique et je n’ai toujours rien acheté par peur de mal choisir.

-          Le soutien-gorge que vous me conseilliez d’acheter pour elle vous irait très bien, ajouta-t-il le visage cramoisi. Bonne journée et merci de vos conseils.

Elle le regarda partir les épaules voutées, sans doute troublé de ce qu’il avait osé lui dire. Une minute plus tard elle le suivit. Arrivée non loin de lui, elle cria.

-          Attendez, attendez !

Et il l’attendit.

9 avril 2019

Ecrire

Il l’avait reçue rapidement, suite au livre qu’elle lui avait envoyé. Elle ne le connaissait pas, ou peu, c’était l’ami d’un ami qu’elle avait rencontré lors d’un dîner. On l’avait assise – elle,  l’âme seule -  à côté de lui et ils avaient parlé littérature. Il était éditeur, elle souhaitait publier afin de fuir un travail qui l’épuisait.

Lorsqu’il l’avait reçue dans son bureau, un mois plus tard, il lui avait dit.

-          Pour faire rire, il me semble qu’il faut être capable de rire de soi, ne croyez-vous pas ? C’est ainsi qu’on voit si ce qu’on écrit est à hauteur humaine.

Elle n’avait rien répondu et il avait continué.

-          Il me semble, je me trompe peut-être car je ne vous ai vue qu’une fois et lue qu’une fois, qu’il vous manque encore ce petit élan qui permet de sortir de ce qui nous tourmente et nous enferme.

-          Si je comprends bien, vous trouvez que ce que j’écris est ennuyeux ?

-          Non, mais votre roman est à travailler et retravailler afin qu'il respire mieux.

Sa dernière remarque faisait couler en elle une rivière de larmes et elle savait que rapidement, cette rivière inonderait son bureau. Elle se leva et répliqua, avant de fermer la porte.

-          Merci de vos conseils. Par ailleurs, n'y aura-t-il qu'un humour, le vôtre ?

Il préféra se taire. Il aurait certes pu être cruel et ajouter que son roman l'avait  ennuyé à mourir.

Ecrire, certes, mais quoi et comment ? pensa-t-il intérieurement.

7 avril 2019

Le professeur

A la fin du spectacle, le professeur avait constaté.
-  A chaque fois que vous disiez une réplique, je me demandais qui était ce putain de prof qui obtenait un résultat aussi nul avec ses élèves.
Et, à l’intention de Josiane il ajouta.
-  Quant à toi, je pense qu’un rôle muet te conviendra mieux pour l'année prochaine, parce que là, putain, j'avais l'impression que tu souffrais d'aphasie ! 

5 avril 2019

La traversée

Il vivait dans un monde englouti, naufragé volontaire d’un bateau qui avait perdu son équipage. Devait-il survivre ? Et s’il survivait, quel morceau jouerait-il en solo ? Il l’ignorait.

I WISH YOU WERE HERE *, n’arrêtait il pas de fredonner, mais l’entendait-elle, celle qui l’avait épuisé ? Cette femme dont l’esprit  hésitait entre je, je et moi-même. L’autre chez elle n’existait pas car elle n’avait jamais vu qu’elle, dans ce miroir où elle se regardait jour et nuit.

Quant à lui, être au jeune corps usé,  il poursuivait son chemin sur la mer, un chemin que nul ne comprenait, pas même lui. Peut-être qu’un jour – par peur d’être dévoré -  il  accepterait la solitude, celle qui vous fait découvrir le côté obscur de la lune, vous étreint, puis rit de vous voir pleurer, ému de cette rencontre…

 

*J’aimerais que tu sois là

 

 

3 avril 2019

Pierre

Il voulait toujours que tout soit vrai, pas de mensonges, pas de problèmes, pas de colère ; alors un jour je lui ai dit que ça suffisait. Il a très mal réagi et ses cris ont envahi la maison.

Bien sûr, je ne me suis pas énervée. On m’avait dit que les hommes dans son genre n’aimaient pas être contrariés et que je devais attendre. J’ai attendu, dix minutes, après je l’ai tué, ça suffisait.

Certains penseront que je suis folle et qu’on devrait m’interner. Peut-être, mais personne n’a jamais su qu’il était mort.

Même moi, maintenant, je me demande encore si je l’ai tué.  D’ailleurs, j’ai oublié où était son corps - si beau, si doux, si tranquille - et ma vie continue. Je travaille, je ris, j’invite des amis. Et quand on me demande où est Pierre, je dis qu’il m’a quitté un beau matin en prenant sa valise…

1 avril 2019

Méditer

Sonia l’exaspérait quand elle  lui parlait – et avec le sourire bien-sûr -  de l'importance de la  méditation. Quand une pensée arrive, disait-elle, une émotion s'exprime et c’est dans le corps qu’elle s’exprime. 

Mais pour qui se prenait-elle, Sonia,  installée sur son nuage  qui semblait voguer sur un ciel bleu. Elle avait inévitablement envie de lui répondre.

-          Mes émotions m’emmerdent, quant à mes pensées je préfère ne pas en parler.

Bien sûr elle n’en faisait rien car son amie lui aurait répliqué en souriant.

-          Mais sois compatissante et bienveillante avec toi-même, Marie ! Médite, et tu en verras les bienfaits.

Seulement la question était là : voulait-elle  être bienveillante avec elle-même ?

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