Mado et moi
Nouveau duo avec Mado, à partir d'une figure poétique de Gaspar lieb prise en photo par moi-même près du conservatoire de Rouen.
Nous pouvions aussi nous servir d'une citation, si besoin était : "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est." Max jacob.
Aujourd'hui, voici mon texte :
L’inconnu
Le jour où elle l’avait regardé pour la première fois, son large corps nu était penché vers la mer ; lui ne l’avait pas vue, ses yeux étaient tournés vers l’horizon.
Ce voyageur lui faisait oublier son quotidien au commissariat de police de la rue Flaubert. Dans cette ville où elle était arrivée il y a un an, tout flottait dans un ciel gris que l’ennui enlisait.
Six mois plus tôt, au numéro 33 de la rue des bons-enfants, elle avait lu une phrase intrigante : "Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est."*. Elle s’était demandée s’il était long le chemin de l’humanité, et elle avait recopié la phrase mot pour mot sur son carnet noir.
Son adjoint au commissariat – Hug’ comme elle l’appelait, alors qu’il s’appelait Hugo – lui proposait souvent de prendre un verre après le travail. Elle acceptait, mais elle savait que Hug’ n’était pas un voyageur, juste un homme comme les autres, au corps indéfinissable et aux cheveux si blonds qu’ils en semblaient transparents.
Ce soir-là, en sortant du café Bovary, Hug’ lui avait demandé en souriant.
- Qu’est-ce que tu cherches ?
- Pourquoi tu dis ça Hug’ ?
- Je sais pas, la façon dont tu regardes les autres et cette voix qui est là et ne l’est pas.
Elle le quitta sans rien dire et marcha vers le fleuve pour rencontrer le voyageur au corps nu. Il l’attendait dans la même position que les autres soirs.
- Tu es prête ? lui a-t-il dit alors qu’ils ne s’étaient jamais parlés auparavant.
- Prête à quoi ?
- A faire l’amour, maintenant, ensuite je partirai.
Les mains du voyageur dessinèrent chaque partie de son corps et, sur le mât de son sexe, elle sentit sa peau gonfler sous le vent du large. Quand elle a ouvert les yeux, le voyageur lui a dit.
- Souvent on ne fait pas l’amour avec l’homme avec qui l’on est. Je ne m’appelle pas Hug’, tu sais.
- Comment tu t’appelles alors ?
- L’inconnu, je suis l’inconnu.
Maintenant, quand elle longe le fleuve main dans la main avec Hug’, ils écoutent ensemble le vent de la mer raconter l’histoire de ces hommes et femmes qui auraient pu ne jamais se rencontrer si, un jour, ils n’avaient pas ouvert les yeux.