Vous ne me connaissez pas, j’étais chez vous il y a 15 jours. Nous étions si nombreux que je ne pense pas que vous vous souveniez de moi. Vous étiez toujours entouré ; des hommes et des femmes courtisaient vos regards et moi, je vous observais. A un moment, nous avons été présentés par un ami commun et nous avons échangé quelques mots ; de banales réflexions sur le temps qui passe et nous tue, vous m’avez souri comme vous avez souri à tous ceux qui vous approchaient puis vous êtes parti à l’autre bout de la pièce. J’ai essayé de vous retenir – j’ai même dû faire une plaisanterie, parfois l’humour…- mais en vain ! Je vous ai regardé, au loin, comme on regarde un paysage par la fenêtre du train, des couleurs se superposent des formes se dessinent, flous, inaccessibles… Vous vous demanderez pourquoi je vous envoie cette lettre ? Eh bien voilà, j’ai un aveu à vous faire : j’ai volé, je vous ai volé. J’ai pris chez vous une petite boîte sombre, rectangulaire, recouverte d’étoiles dorées. C’est au moment où vous avez quitté la pièce. Je me suis retrouvée seule un instant, j’ai erré dans votre salon et mes yeux ont découvert cette boîte simplement posée sur une étagère, seule. Elle avait l’air d’attendre que je la touche. Au début je ne voulais pas la prendre, mais je me suis enhardie et je l’ai ouverte : trois compartiments et dans l’un d’entre eux un fruit d’eucalyptus. J’ai été obligée de la cacher quand quelqu’un est entré dans le salon. Je l’ai glissé dans mon sac et le courage m’a manqué pour la reposer à l’endroit où elle était placée. J’ai volé quelque chose qui vous appartient, à vous que je ne connais pas. Je me suis demandée à quoi auraient pu servir les trois compartiments de cette boîte : un pour l’amour, un pour les chagrins et un pour l’espoir ? Plus tard, dans votre jardin, cachée derrière votre rosier du japon, j’ai ouvert la boite et j’ai placé le fruit de l’eucalyptus dans le compartiment du haut, celui que j’ai intitulé « espoir ». J’espère que vous ne m’en voudrez pas de ce vol. Ce geste me ressemble si peu ! Je n’avais rien volé jusqu’alors, une impulsion, j’espère que vous me comprendrez. Sachez en tous cas que je suis prête à vous rendre votre boite, mais pas chez vous, surtout pas, je n’en aurai pas le courage ! Par contre, dimanche, je vous attendrai sur le quai, rive droite, à 9 heures. Je serai au bout du quai, à l’extrémité Ouest, près du muret où les pêcheurs sont assis. Si vous ne venez pas, eh bien je garderai votre boîte, en souvenir d’un homme que je n’ai pas connu.