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Presquevoix...

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9 décembre 2015

Le retour

Il sonne au portail. Personne ne répond, alors il passe par-dessus le mur de pierre. Un chien l’ accueille d’aboiements joyeux. « Viens là Titoune, viens ! ». Le verger regorge de fruits et au loin, des balles de foin donnent du relief aux champs nus. La maison dresse ses murs épais aux pierres inégales. Il avance jusqu’au perron. Le chien l’accompagne de ses jappements amicaux. Il croit voir une ombre derrière les rideaux du premier étage, mais n’a-t-il pas rêvé ?

Il monte les marches et frappe à la porte. Personne ne répond. Il fait claquer le heurtoir qui rompt le silence matinal.  La porte s’ouvre - retenue par un entrebâilleur à la chaîne dorée - pour se refermer aussitôt.

-          Ouvre ! Hurle-t-il.

-          Trop tard, répond une voix de femme.

-          Il faut qu’on se parle !

-          On s’est déjà tout dit. Et puis ton père est mort.

Lui dit-elle la vérité ? Sûrement. Sa mère ne s’est  jamais embarrassée de mensonges. Elle préfére la vérité crue, celle qui fait mal et que jamais on n’oublie.

-          Ouvre ! Répéte-t-il.

-          Jamais. Si tu veux le voir, il est au cimentière.

Il descend les marches, repart vers le portail et l’abandonne à ses fantômes, comme il l’a fait deux ans plus tôt.  Son père l'attend. Lui,  il pourra tout lui dire. Les morts peuvent tout entendre.

 

7 décembre 2015

spectacle

 

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Quel meilleur spectacle pour l'homme

 

                          que celui 

                                   

                                      qu'il s'offre à lui-même...

5 décembre 2015

Toi

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Tu souris mais je ne sais plus pourquoi. C’était il y a longtemps. Trente ans peut-être ? Tu souriais souvent mais tu étais inacessible, tel un coffre dont on aurait perdu la clef. Ce qu’il contenait,  tu l’ignorais. Peut-on être soi quand la conscience cache ce qu'elle devrait offrir ?

Certains écrivent sur les pages d’un carnet, toi non, tu n’écrivais jamais ;  inutile de tracer des mots qui n'auraient pas d'échos. Ta langue maternelle ne t'inspirait pas, tu as préféré adopter une langue étrangère ; il est si agréable de revêtir les  mots des autres pour oublier d’être soi.  

Puis un jour, fatiguée de te draper d’étoffes qui ne te couvraient plus, tu as décidé d’habiter ta propre langue,  comme on habite une maison longtemps abandonnée…

 

 

3 décembre 2015

L'ombre

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-          Tu as vu la longueur de ton ombre ?

-          Oui et alors ?

-          Alors rien, ça fait peur.

Elle aurait voulu lui dire que  ce qui lui faisait peur, à elle, c’était lui, avec sa tête d’enterrement, sa voix sans timbre et sa propension à voir des problèmes partout.

Mais elle s’est abstenue en lui adressant un vague sourire qu’il a tout de suite interprété.

-          Tu te moques de moi ?

-          Moi ? Non.

Elle aurait aussi voulu lui dire que ça commençait à bien faire. Mais elle s’est abstenue et, comme si de rien n’était, elle s’est allongée dans l’herbe fraîche. Il n’allait tout de même pas lui gâcher cette belle  journée d’automne. Il s’est assis à ses côtés et, sans conviction – comme tout ce qu’il faisait -   il a essayé de l’embrasser.

-          Ah non, s’est-elle écriée en se levant, pas toi ! Je n’ai pas envie que tu me files le virus de la déprime !

Et elle est partie immédiatement en le laissant sur place.

 

PS : photo prise dans le parc du lycée cet automne.

1 décembre 2015

Le père Noel

20151123_092222Il s’est arrêté devant la petite cabane du cerf dans le centre commercial. Il s’en serait bien passé mais Martin, le fils de la femme avec qui il sortait, voulait absolument s’approcher de cette cabane ridicule. Et les questions ont commencé à fuser, comme d’habitude. Pourquoi ce gamin parlait-il toujours pour ne rien dire ? Il a répondu de mauvaise grâce aux premières questions et quand l'enfant lui a demandé.

-  Et le Père Noël, il est où ?

Il n’a pu se retenir de lui dire.

-  Le Père Noël ? Eh bien  il a été mangé par le méchant cerf qui a appelé ses copains pour faire un bon repas de Noël.

L’enfant a fondu en larmes, inconsolable, et tout ce qu’il a pu faire c’est le tirer par la main pour  retrouver sa mère au plus vite...

PS : photo prise par mes bons soins dans le but d'écrire un texte.

 

29 novembre 2015

Le parfum

Quand il est sorti de la salle de bain, laissant derrière lui une odeur bizarre, elle n’a pu s’empêcher de lui dire.

-          Qu’est-ce qu’il pue ton nouveau parfum. Mais qui t'a offert  ça ?

-          Ma mère.

La réponse n’a pas tardé.

-          Ça ne m'étonne pas ! Non seulement ta mère n’a pas de goût, mais en plus elle n’a pas d’odorat !

27 novembre 2015

Duo de Novembre

Sur cette même photo de Lola Alvarez Bravo, voici mon texte :

 

Lola-Álvarez-Bravo (2)

Impuissance

 

" Assise dans son fauteuil roulant, Madame Delaitre les regardait passer. Des journées à épier ces hommes qui montaient et descendaient les escaliers aux heures les plus lumineuses comme aux heures les plus sombres. Elle imaginait leur histoire. Des histoires d’amour, de haine  ou d’indifférence qu’elle consignait dans un « livre ».

Elle avait parlé de ce « livre » à sa voisine qui elle-même  rapporta son existence aux enquêteurs.

-          Et qu’est-ce qu’elle racontait exactement dans ce livre, elle vous l’a dit ?

-          Elle parlait des hommes.

-          Quels hommes ?

-          Ceux qu’elle pensait voir dans les escaliers. Vous connaissez les vieux, ils parlent pour se rendre intéressants.

-          Vous croyez qu’elle mentait ?

-          Je ne sais pas.

Le policier hocha la tête, c’était son rôle dans le couple qu’il formait avec son subordonné. Tous deux se parlaient le moins possible, non qu’ils se détestassent, mais ils se connaissaient assez pour ne plus s’embarrasser de mots. Ils continuèrent leur enquête par le dernier étage.

L’un derrière l’autre ils montèrent les marches et constatèrent que le ciel bleu n’y pourrait rien, leur journée serait irrémédiablement gâchée. C’était comme ça, ils ne s’habitueraient jamais à la mort et à son cortège de chairs puantes.

Au dernier étage, il n’y avait qu’un appartement et pas de nom. Ils frappèrent. Une voix de femme, plutôt grave, répondit « J’arrive ».

Quand la porte s’ouvrit, l’un comme l’autre restèrent sans voix.

-          Vous désirez ?

-          Vous interroger,  dit le premier policier qui ne pouvait quitter des yeux le visage encadré de longs cheveux bruns. C’est au sujet du meurtre de Madame Delaitre.

-          Elle est morte ?

-          Oui, quatre coups de couteau, du travail de professionnel.

Le policier hésita un instant.

-          On m’a dit qu’elle écrivait un livre sur des allées et venues d’hommes. Vous les  avez vus, vous, ces hommes ?

-         Vous savez, les hommes, personne ne peut les retenir. Quant à cette veille folle, elle croyait voir des choses, des fantômes… il faut dire que quand on est clouée dans un fauteuil roulant, reste plus qu’à imaginer. "

 

C’était toujours là que sa nouvelle bloquait. Elle devait bien avouer son impuissance à la terminer. Pourquoi ?  La voisine du dernier étage n’y était pas étrangère. Une croqueuse d’hommes ? Une mante religieuse ? Une déesse sanguinaire ? Elle se demandait où la classer. Qu’est-ce que ces hommes venaient donc chercher chez elle ?

Cette grande femme brune aux lèvres éternellement rouges représentait tout ce qu’elle détestait, et si elle avait pu la tuer, elle n’aurait pas hésité un seul instant.  Quatre coups de couteau bien placés et hop, la déesse se retrouverait dans son mausolée ad vitam aeternam.

Mais pour elle qui était clouée dans son fauteuil roulant depuis l’accident, les meurtres ne se traçaient qu’à la pointe d’un stylo. Et elle en avait à son actif des meurtres, surtout de femmes, comme si ce sexe lui était insupportable…

 

 

 

25 novembre 2015

Duo de Novembre

Voici notre duo de novembre avec Caro. Nous devions nous inspirer de cette photo de Lola Alvarez Bravo.

Aujourd'hui, vous pouvez lire le texte de Caro. Le mien paraîtra vendredi.

 

 

Lola-Álvarez-Bravo (2)Medianoche

« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant » *

Je dévisage l’homme qui a prononcé ces paroles. Son esprit s’est envolé. Où ? Femme, regrets, espoir ? Un lieu étranger ? Une sonnerie, fin du cours. « N’oubliez pas ! Une page et demie minimum, quatre au maximum. Ayez pitié de moi : évite de m’endormir. » Sa voix claque alors que les 157 étudiants quittent l’amphi en un troupeau indocile et mouvant. « Pour jeudi en 8 ! »

Dans la pénombre de la bibliothèque Ciro Alegría*, je tâche de délayer sur ces deux pages ennuyeuses un rêve par mes soins inventé. Non que je ne rêve pas, l’époque pouvant expliquer cela. Non, je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. Baroque, fascinant, éprouvant. Un songe épais revenant sans cesse. Des hommes en noir et blanc montent et descendent des escaliers, ceux de l’immeuble où nous habitons ma mère et moi.

La vision surgit à medianoche*. Je dors ou je rêve dans mon lit étroit et grinçant que je connais depuis mes 7 ans, depuis notre arrivée dans ce quartier del rio arriba*. Il est tard, ma mère n’est pas là, jamais. Elle danse ou tangue sur les quais, chante parfois, séduit souvent. Elle revient, exténuée d’avoir vécu.

Moi, alors qu’elle est au loin, je les ai vus, les hommes. Ils montent et descendent, nombreux ou deux à deux. Leurs visages se fondent en un seul, clair et absent comme celui de mon père sur l’unique photo où l’on discerne ses traits. D’autres nuits, leurs semelles sont de plomb. J’entends des bruits d’armes, des chiens, des portes qui claquent. Et d’autres choses que je ne veux pas deviner. Leurs pas peuvent être doux, velours et satin. Des parfums montent accompagnés d’éclats de voix, de fou rire. Leurs mains peuvent frapper aux portes, placarder des décrets, traîner hommes et argent que l’on ne dissimule jamais assez bien, dans les recoins et dans les soupentes. J’emporte avec moi leur présence invisible et même le jour ne chasse pas leurs silhouettes grises. Je lis sur chaque visage que je rencontre les traces de leurs ombres, et la crainte.

Une nuit de lune ternie et incertaine, j’étais debout, d’un bond. Un homme se tenait là et il souriait. J’ai failli crier, je n’ai pas osé. Il tenait une arme à feu. Il a dit : « Ta mère va mourir ! » et il a disparu. Au matin, je trouvais son révolver à côté de mon oreiller. C’était l’été, j’avais froid.

Le lendemain, on murmurait qu’un homme était mort après avoir dévalé la falaise abrupte qui surplombe notre barrio* et roulé dans la rivière. Depuis cette nuit, le fardeau de savoir que ma mère me quitterait une nuit — une évidence puisque mon père avait disparu — ne pesait plus. Le rêve surgissait toujours à medianoche mais — est-ce la présence de ce revolver gravé à mes initiales CD, Cecilia Delgado ? — il avait pâli.

CD, Cecilia Delgado. Ou Camillo Delgado. Les initiales de mon père.

 

 

* Mon rêve familier – Paul Verlaine

* écrivain Péruvien

*medianoche — minuit

* del rio arriba – de la rivière d’en haut

*barrio — quartier

 

23 novembre 2015

L’attente

20151107_084129-1Il fait le pied de grue depuis une heure et sa patience a des limites. Ne tardera pas le moment où il s’envolera à tire d’ailes.

La dernière fois qu’elle lui a fait subir le mêmes sort, c’était dans le square de l’église de la Trinité. Cherche-t-elle à mettre son amour à l’épreuve ? Veut-elle lui signifier que l'aimer c'est se soumettre ?

Les humains n'ont-ils pas l’habitude de dire « jamais deux sans trois » ? Mais chez les pigeons, le dicton n’existe pas, tout au moins pas encore.

Une chose est sûre, se dit-il agacé alors que les secondes jouent leur sarabande endiablée,  si elle se permet un nouveau retard, je ne me priverai pas de convoler avec une autre. Les occasions ne manquent pas dans le ciel de Paris

 

PS : photo prise par mes bons soins gare St Lazare, le 7 novembre 2015

21 novembre 2015

Les ossements

Mardi dernier, dans l’église  Notre Dame du St sacrement, elle a volé des ossements de saints dans deux reliquaires du XVIIIème. Pourquoi ? C’est la question que lui pose et repose le commissaire qui l’interroge depuis maintenant une heure.

-          Je ne sais pas, répond-elle invariablement.

-          Cherchez ! Répond le commissaire impitoyable.

Soudain, elle a une révélation.

-          Parce que je voulais me réparer et devenir sainte moi-même.

Le commissaire la regarde l’oeil amusé.

-          Eh bien vous voyez, c’était quand même pas sorcier ! Maintenant, si j’ai un conseil à vous donner, plutôt que de voler des ossements dans des reliquaires, ce qui peut vous couter très  cher, achetez-vous « La sainteté  pour les nuls », ils ont tout dans cette collection !

Et, d’un geste magnanime, il lui  montre la sortie.

 

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