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Presquevoix...

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24 septembre 2008

Ca marche pour toi?

Elle avait accepté de prendre un café, rien de plus. Il l’attendait en se rongeant les ongles. C’était une sale habitude mais quand il était un peu nerveux, il ne pouvait s’en empêcher, certains fument, lui c’était les ongles. Pour la 4ème fois, il se regardait dans le miroir qui faisait face à sa table, miroir qui vantait une marque de bière avec une belle rousse plantureuse au sourire enjôleur. Pamela n’avait pas le sourire enjôleur en fait, il se demandait s’il l’avait vu sourire durant ces deux ans pendant lesquelles ils avaient vécu ensemble. Les disputes étaient leur lot quotidien et ils s’en contentaient. Le jour où elle avait levé la main sur lui, il n’avait plus supporté et s’était tiré. Cela faisait presque dix ans maintenant, dix années au cours desquelles il avait bourlingué de ci de là sans jamais donner de nouvelles. Quand il lui avait téléphoné, elle avait pleuré, pleuré de le savoir encore en vie, pleuré de toutes ces années d’angoisse à ne pas savoir ce qu’il était devenu.

Il sort un peigne de sa poche et lisse à nouveau ses cheveux, puis content de son look, rajuste son blouson et regarde une fois de plus sa montre. Elle est en retard, elle ne va pas tarder. Elle va être surprise de le trouver si chic, il est sûr qu’elle pense qu’il est SDF ou chômeur, elle lui disait qu’il finirait ainsi. Eh, bien non ! Ca été dur mais la rage de ne pas lui donner raison a été le moteur de sa réussite et la chance a fait le reste.

Une main se pose sur son épaule, il sursaute.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur.

Il lève le visage et ce qu’il voit le surprend. Sa mère est belle, cheveux courts bruns aux mèches cuivrées, silhouette fine mise en valeur par une jupe étroite moulante, un pull a col roulé et une veste en daim, bottes à mi-mollets. La bouche esquisse un sourire timide et il remarque qu’elle est maquillée. « Tiens, se dit-il, elle ne se maquillait pas avant. »

Elle s’assied en face de lui, le serveur s’approche et elle commande un café serré. Ils restent à s’observer, attendant que l’autre parle.

- Tu as changé.

- Toi aussi, cela fait si longtemps.

- Dix ans.

- Tu as l’air en pleine forme.

- Toi aussi.

- Merci.

Après ces banalités, un silence s’installe. Elle tourne sa cuillère dans le café, le coude sur la table, la main soutenant son visage. Il note les ongles peints et soignés. Cette femme n’est pas sa mère, il ne la reconnait pas.

- Tu fais toujours le même job ?

Elle sourit, un sourire tendre et espiègle. Il ne l’a jamais vu sourire ainsi.

- Non, heureusement, je n’en pouvais plus. Quand tu es parti, j’ai décidé de reprendre une formation, je suis esthéticienne, j’ai mon propre salon et j’ai une bonne clientèle. Ça marche bien, je suis contente.

- Ah, je comprends !

- Tu comprends quoi ?

- Ben, ton look, tout quoi !

- Je te plais ?

Il est surpris par la question mais répond que oui, il la trouve super. Elle rit de cette affirmation. Elle demande-

- Et toi, que fais-tu ? Tu as l’air bien, chic et tout.

Elle a remarqué, il en est fier.

- Je dirige une agence d’Escort boy et girls.

Elle ouvre de grands yeux.

- Tu veux dire ces hommes et ces femmes qui accompagnent des riches à des dîners ou soirées ?

Il hoche la tête.

- Tu l’as fait toi aussi avant de diriger l’agence, tu as aussi été un…escort boy ?

Il hoche à nouveau la tête.

- Et…

La question lui brûle les lèvres mais elle n’ose pas la poser.

- Et tu aimerais savoir si j’ai couché avec toutes ces femmes.

C’est à son tour de hocher la tête.

- Pas tout le temps, ce n’était pas prévu dans le contrat et je pouvais choisir. Quand la femme me plaisait, je me laissais tenter, cela dépendait des circonstances.

- En fait, je ne suis pas étonnée, tu es beau, tu dois avoir du succès et tu t’es épanouis durant toutes ces années… comme moi…Notre vie ensemble n’avais rien de réjouissant, nous vivons mieux séparés, c’est le constat qui s’impose non ?

Il ne répond rien.

- Au fait, tu as revu ton père ? Quand tu es venu vivre avec moi, il repartait en Amérique du Sud avec l’idée de te faire venir plus tard. Sa mère ne voulait pas te laisser à moi, elle avait sans doute raison mais cela devait être provisoire. Quand tu as claqué la porte, j’ai essayé de le joindre mais sans succès, puis après j’ai laissé tomber, je ne sais même pas s’il vit toujours. C’est une manie chez les hommes de cette famille, partir sans donner de nouvelles.

A suivre...

24 septembre 2008

Les excuses (texte de gballand)

Encore un jour passé à chercher des excuses* ! Je me demande s'il y a un jour, un seul jour de ma vie, où je ne me suis pas cherché d’excuses. Je crois qu'il y a 40 ans, si j'avais pu me trouver une excuse valable, je ne serai jamais sorti du ventre de ma mère. Enfant, j’avais toujours l’excuse à la bouche, comme d’autres ont le sourire aux lèvres. J’inventais des excuses pour ne pas rentrer à l'heure, ne pas faire mes devoirs, ne pas faire les courses, ne pas aller au piano, ne pas me coucher... Je me souviens qu' un jour où j'avais séché les cours, j'avais dit que j’étais allé à l’enterrement de ma grand-mère qui, bien sûr, n’était pas morte  !  J’ai passé 40 ans de ma vie à me chercher des excuses, et aujourd'hui, mon problème, c'est que je cherche une excuse que je ne trouve pas !

Vous me direz : ce n'est pas possible, avec l’expérience qui est la tienne, tu ne peux pas ne pas te trouver une excuse ! Hélas si, aujourd'hui, je cale. Panne sèche. Il faut dire que le problème est un peu plus délicat. Je vous explique en deux mots ce dont il s’agit : un suicide... Je veux me suicider et je me demande ce que je vais bien pouvoir écrire à ma femme...

* phrase lue sur le blog Blues

23 septembre 2008

Un problème?

- Salut, ça va ?

- Non.

- Un problème ?

- Un problème ? non…deux, trois, quatre, j’ai plein de problèmes, d’ailleurs je ne les compte plus.

- Je peux aider ?

- Si tu as envie de passer l’aspirateur, pourquoi pas !

- l’aspirateur…attends, je ne te suis plus…ton problème, c’est ton ménage ?

Moment de silence puis éclats de rire.

- Non, non, le ménage c’est le cadet de mes soucis, simplement quand j’ai trop de problèmes et que ça ne tourne plus rond dans ma tête, il faut que je fasse quelque chose de manuel, donc je fais mon ménage. D’une pierre deux coups : je réfléchis et je fais ce que je déteste faire avec entrain car plus je nettoie, plus mes neurones fonctionnent.

Soupir de soulagement à l’autre bout du fil.

- C’est pas mal ton truc mais dis-moi, en général, chez toi, c’est plutôt propre en ordre, donc dois-je en déduire que tu as beaucoup de problèmes à résoudre ?

- Bonne déduction…je ne m’en étais pas rendue compte ! Si je fais le compte des inducteurs de problèmes : le boulot, les collègues, mon homme, mes enfants, mes parents, ma belle-mère, mes copines, le chat, le lapin, les voisins…les problèmes de tuyauterie, la voiture, le scooter qui ne démarre pas, les menus des repas (je ne sais jamais quoi cuisiner), les courses au supermarché, la paperasse qui s’accumule, les factures qu’il faut contester…

- Effectivement, cela fait beaucoup mais d’après moi, tu n’es pas la seule à avoir ce genre d’inducteurs comme tu dis, je me demande comment font les autres ?

- Chacun son truc, j’ai une copine, c’est le chocolat, une autre, le jogging, une autre, la tête dans le sable comme les autruches…au fait, et toi ?

- Quoi moi ?

- Tu réagis comment quand tu as des problèmes ?

- Je ne réagis pas, je les résous.

Silence.

- Pas de petites manies, de petits trucs, de façon de faire ?

- Non

- Ah ! bon. Au fait tu m’appelais pourquoi ?

- Pourquoi ? Oui…juste, je voulais te demander un conseil.

- Un conseil ?

- Oui, un conseil car j’ai un problème…

23 septembre 2008

Les cheveux

aba- Bon, alors ces cheveux, quand est-ce que tu vas te les faire couper ?
- ...
- Tu  réponds rien ?
- ...
- Tu  veux pas répondre ? Mais on dirait que  tu t'enlaidis à plaisir !
- ...
- Tu serais tellement plus mignonne avec tes cheveux comme avant !
- ...
- Tu  veux rien dire ?
- ...
- Franchement, tu veux que je te dise, avec tes cheveux comme ça, tu es moche… Enfin si  tu veux être moche, c'est réussi !!!
- Merde !
- Quoi, Merde ? Tu me dis rien pendant un quart d'heure et quand tu me parles c'est pour me dire merde ? Si je te  donne des conseils, c'est pour ton bien tu sais, mais les conseils à ton âge, on veut pas les entendre, c’est bien dommage...
- Ben tu voulais que je te dise quelque chose, alors voilà, je te dis « Merde ! » ;  et puis si je veux être moche, ça  me regarde  ! C'est quand même pas toi qui  porte mes cheveux, non ? Est-ce que je te donne des conseils, moi ? Pourtant…

PS : Je précise que je ne suis pas "la mère" qui s'exprime.

* Photo de R. B.

21 septembre 2008

La Voix

Jamais je n'oublierai celle qui pour moi restera toujours l'inconnue*. Elle n'avait ni visage, ni silhouette. Tout a commencé par ce coup de téléphone, un dimanche soir, je me souviens précisément de l'heure, il était 21 heures.


- Je voudrais parler à Jean Paul
- Je pense que vous faites erreur, il n'y a pas de Jean Paul ici.
- C'est bien le 01 45 28 77 49 ?
- Oui.
- Arrête de te moquer de moi Jean Paul, c'est Lise, ce que j'ai à te dire est très important. Si tu ne m'écoutes pas, je suis capable de me suicider, tu le sais !
- Mais je vous assure, je ne m'appelle pas Jean Paul mais Pierre ! Vous faites erreur.

Et à ce moment-là, elle a éclaté en sanglots. Comment ne pas être troublé ? N'importe quel homme aurait réagi de la même façon. J'ai essayé de lui parler, de la rassurer, rien ne la calmait. Voilà comment sa voix est entrée dans ma vie. A partir de ce jour là, elle m'a téléphoné tous les soirs. J'aurais certainement dû me méfier, prendre de la distance, mais je n'ai pas su ou pas voulu. Elle appelait tous les soirs à 21 heures. Sa voix s’insinuait en moi, légèrement rauque et douce à la fois, sauf lorsque des larmes l'empêchaient de parler.

Je ne saurai dire, même aujourd'hui, si ce Jean Paul dont elle a parlé le premier soir existait vraiment. Ses appels ont duré quatre mois et, soir après soir, elle tournait les pages de sa vie. Peut-être a-t-elle menti, je ne sais pas. Il me suffisait de rester silencieux, de murmurer un « je vois » ou un « hum hum » et  elle parlait, comme si à la fin de chacune de ses journées, elle n'avait rencontré que le silence des murs d'un appartement qu'elle décrivait comme sombre et encombré d'absence.

A partir du troisième mois, elle  a changé. Sans doute parce que j'ai commencé à lui poser des questions. Je crois que je m'attachais à elle. Je n'aurais pas dû. Un beau jour, je lui ai dit : « Et Jean  Paul ? Il existe vraiment ? » Elle a eu l'air bouleversée que je remette en cause l'existence même de Jean Paul. D'ailleurs, elle a raccroché immédiatement, pour rappeler cinq minutes plus tard, en s'excusant.

Ce qui me paraît curieux, encore aujourd'hui, c'est que ni elle, ni moi, n'avons voulu nous rencontrer. Nous nous contentions du fil de nos voix.

A partir de ce soir là, je ne lui ai plus parlé de Jean Paul, je sentais que si je voulais continuer à l'entendre jour après jour, je ne pouvais plus lui poser de questions sur lui. J'étais déjà amoureux. Cet amour peut vous sembler étrange, mais quelque chose dans sa voix, dans le lien qui nous unissait, me paraissait plus important que tout ce que  possédais jusqu'alors.

Je finissais par ne plus sortir, déclinais toutes les invitations - même celles de femmes qui pourtant m'auraient plu - je perdais l'appétit,  je ne lisais plus et j'attendais sa voix.

Tout au long du troisième mois, j'ai senti sa nervosité, son manque de patience. Le moindre bruit dans mon appartement, le moindre manque d'attention de ma part, tout lui était insupportable. Au début, elle me menaçait, presque gentiment « Si tu ne m'écoutes pas, je raccroche ! », mais à la fin du troisième mois, elle pleurait de plus en plus. C'est alors que je lui ai posé une nouvelle question, il fallait que je sache ce qu'elle cachait. « Dis-moi ce qui s'est réellement passé avec Jean Paul ! Est-ce qu'il s'est passé quelque chose dans mon appartement ? » Ces paroles n'avaient pas été préméditées, je venais de me souvenir que lorsque j'avais décidé de louer l'appartement,  le type de l'agence m'avait dit, mi-figue, mi-raisin, - «  j'espère que vous ne croyez pas aux fantômes ! », mais je suis assez peu curieux et je ne lui avais pas demandé d'explications. Il y eut un silence, puis elle m'a dit d'une traite qu'elle avait tué Jean Paul, dans la salle à manger de mon appartement, et que le corps avait été transporté ailleurs. « Je ne peux pas m'habituer à cette mort ! Ça ne peut pas être moi », ajouta-t-elle.

Je sais, on peut trouver bizarre que je n'aie rien fait, que je n'aie pas prévenu la police, que je n'en aie jamais  parlé ni  à mes amis, ni à mes parents !  J'ai gardé ce secret pour moi, pour nous, presque comme si cette mort était un enfant que nous aurions eu ensemble, elle et moi. J'étais amoureux fou d'elle, aussi stupide que cela puisse paraître, amoureux d'une voix.

Je ne lui ai pas demandé de détails sur la mort de Jean Paul, mais elle m'en a donné quelques-uns, sans doute pour savoir si nous pouvions sceller un pacte. La mort de Jean Paul était devenu notre mort. Je peux même affirmer que j'étais heureux qu'il ait disparu, c'était un peu comme si je l'avais tué moi-même.

A partir du quatrième mois, notre relation a beaucoup changé, elle est devenue très intime, plus charnelle. N'importe quel homme se demandera comment on peut avoir une relation charnelle  avec une voix... c'est pourtant ce qui s'est passé.
Chaque matin, je partais au travail avec sa voix, j'entendais ses chuchotements graves, ses frissons rauques, ses intonations me chatouillaient les lobes de l'oreille aux moments les plus insolites, et je sentais sa caresse lorsque je rédigeais mes dossiers de subventions au bureau ; je crois même… mais j'en parlerai peut-être plus tard.  Mon travail me pesait, mes collègues de bureau me déprimaient, je n'avais plus d'amis, il n'y avait plus qu'elle, elle et elle : j'étais éperdument amoureux, amoureux d'une voix qui avait dit s'appeler Lise. Je pense même pouvoir dire aujourd'hui que pour rien au monde je n'aurais voulu la rencontrer ; sa présence aurait instantanément rompu le lien qui nous unissait.
A 21 heures précises, toujours, elle me téléphonait et l'heure qui suivait  était d'une sensualité délicieuse. Jamais, avec aucune autre femme, je n'ai ressenti ce que j'ai ressenti avec sa voix. Chaque sensation était explorée jusqu'à ce que l'un comme l'autre nous découvrions les limites de notre jouissance. Elle savait exactement ce que je désirais au moment où je le désirais et nos voix exploraient nos corps dans leur intimité la plus absolue, aussi étonnant ou absurde que cela puisse vous paraître. Oui, je peux dire que je faisais l'amour avec une voix !

Depuis qu'elle n'est plus, je suis le passager  de ma propre  vie.  Je me suis perdu à moi-même.
Le premier jour du cinquième mois, le téléphone a sonné, mais à 19 heures. J'ai décroché, c'était un homme, il appelait du commissariat du 12ème arrondissement pour me dire que Lise était morte. Mon numéro était à côté de son téléphone, c'est la raison pour laquelle j'ai été appelé tout de suite. « Vous connaissez Lise Dedieu ? » m'a-t-il dit, j’ai tout de suite su qu’il s’agissait d’elle, « Elle est tombé du quatrième étage, un suicide », a-t-il précisé. « Elle a laissé un mot à côté du téléphone, je vous le lis, je ne sais pas ce qu'il faut en penser, voilà :   Jean Paul n'a jamais existé, je l'ai oublié. Sache que de  toute ma vie, je n'ai vécu que quatre mois. Maintenant je dois partir. Je n'oublie rien. Ta voix. »


Voilà comment sa voix a disparu de ma vie et m'a fait disparaître à moi-même. Je sais que vous ne croirez pas à mon histoire, pourtant je me sens obligé de laisser cette lettre dans l'appartement, pour qu'on sache... Celui qui la trouvera la lira puis la donnera à qui il pensera utile de la donner. Je peux juste dire que je pars pour me retrouver.

* Phrase lue dans une nouvelle de Jacques Sternberg,  « l’inconnue »

20 septembre 2008

Peut-on vraiment s’assurer contre tout ?

Aujourd’hui, on peut s’assurer contre  : le décès, la maladie, les attentats, les prises d’otages, les accidents,  les impayés, la perte de la carte bancaire,  la perte des clefs ou du chéquier, les annulations de voyages, les spectacles annulés …
Tout imprévu peut avoir l’assurance d’être assuré. Ça rassure, les assurances, ça donne de l’assurance pour parer le pire, c’est comme un bouclier – non fiscal -  dont on se ceint pour oublier que notre vie mène… tout droit à la mort ! Mais avant de nous assurer, n’oublions donc pas de nous assurer que l’assurance que l’on choisit n’est pas entrain de faire la « culbute » - crise des subprimes oblige – ou alors, trouvons-nous une assurance qui nous assure contre notre assurance !

Mais au fait, est-ce qu’on peut s’assurer contre un gouvernement qui nous mène  à notre perte ?

19 septembre 2008

Je t’aime

penduleTic tac, tic tac, la pendule égrène les minutes. Quelle sera sa tactique avec Hélène ? Elle est là, devant lui, délicieuse, un bonbon sucré dans sa robe rouge, si frêle, si absente. Ne peut-il être aimé à première vue ? Il pense toujours à elle en écoutant Rêverie de Schumann. Fraîche, délicate, elle s'installe dans le fauteuil blanc, ses jambes se croisent et se décroisent, pendant que ses yeux interrogateurs se posent sur lui. Que va-t-il lui dire ? Le moins possible ? Enfant, déjà, il ne parlait pas, il assistait aux conversations, muet, enfermé dans son bégaiement. Il se souvient de cette litanie de petites vexations remâchées depuis 20 ans. Mais il y a Hélène et sa robe rouge, si lisse, si tendre qu’il voudrait l’effeuiller pour découvrir le cœur de son corps. Rêverie de Schumann… Hélène n'est-elle qu'un rêve ?

Il revoit sa mère sagement assise au piano, sur le tabouret vernis. La seule qui ne lui reprochait rien. Elle lui souriait toujours avant de jouer, puis elle posait son regard doux sur le clavier qu'elle semblait caresser. Quand elle ne jouait plus, son sourire disparaissait et ses yeux reflétaient  déserts et solitudes. Son bégaiement est-il une fatalité ? Sa vie elle-même est-elle une fatalité ? Hélène regarde moi, devine-moi Hélène, je suis à toi Hélène, j’ai besoin de toi Hélène. Il doit le lui dire, maintenant. Il le faut, trois mots simples « Je t’aime » que ses lèvres n’ont jamais su former.

* photo vue sur le blog : http://www.pendulantic.com

18 septembre 2008

Le boudin noir

boudinpommesSa mère préparait le repas dans la cuisine pendant qu’il regardait l’album de photos qu’elle avait sorti à sa demande. Il tournait les pages, pensif. Toute son enfance était rangée  chronologiquement dans cet album format A4. La photo qu’il préférait, c’était celle qu’on avait prise de lui, à la maternité ; celle où sa mère le regardait avec des yeux tendres, sans doute la première et la dernière fois où elle l’avait regardé ainsi.

De la cuisine, sa mère lui cria que c’était prêt et il referma l’album d’un coup sec. Quand il ouvrit la porte,  une odeur de friture le saisit à la gorge. En voyant son assiette sur la table il comprit : sa mère y avait disposé un morceau de boudin noir qu’une compote de pommes recouvrait légèrement. Il ne put s’empêcher de dire catastrophé.

- Oh non, pas du boudin noir ! C’est le cauchemar du végétarien ! Tu veux ma mort ou quoi ?
- Comment ? Tu es devenu végétarien ?
- Mais je te l’ai dit  au téléphone !

Elle secoua la tête énergiquement, soutint qu’il ne lui avait jamais rien dit de la sorte et conclut.

- De toutes façons, toi et moi, on s’est jamais compris !

Soudain, il eut un haut le cœur et  sortit de la cuisine précipitamment. Sa mère regarda son assiette, l’air désolée.

- Quel gâchis, articula-t-elle, du boudin que j’avais acheté spécialement pour lui !

* photo vue sur le site http://www.cuisine-lyonnaise.com

17 septembre 2008

Le cadeau d’anniversaire

J’ai acheté un cadeau d’anniversaire à mon mari, une vareuse. Il y a longtemps qu’il en voulait une, ça lui faisait plaisir. J’aime bien lui faire plaisir, parfois.
- Prends-moi une grande taille, du XL ! C’est ce qu’il m’a dit.
Alors moi, j’ai fait comme il m’a dit, j’ai pris du XL, je n’aurais pas dû.
Quand il l’a essayée, à la maison, les manches étaient tellement longues qu’on aurait dit qu’il avait rétréci au lavage, ça m’a fait un choc. En le voyant si petit, perdu dans sa grande vareuse de marin des villes, j’ai eu une révélation, je ne sais pas encore très bien laquelle, mais  quelque chose a changé…
Comment peut-on à ce point se tromper sur sa propre taille ?

16 septembre 2008

Le petit déjeuner est servi

- Le petit déjeuner est servi !

Elle ne se levait que lorsqu’elle entendait  crier cette phrase dans le jardin de la maison familiale où ils avaient coutume de passer leurs vacances d’été. Le petit déjeuner était toujours servi dehors, quand il faisait beau, mais jamais par elle. Elle préférait paresser dans son lit à se remémorer les hommes qu’elle avait « eus », humant l’odeur de pain grillé qui arrivait jusqu’à ses narines. Elle se levait au dernier moment. Quand elle s’asseyait à table, son frère la regardait toujours d’un air mauvais, mais elle s’en contrefichait ; elle savait qu’il était jaloux de ses conquêtes qu’elles alignaient comme autant de papillons épinglés dans sa collection estivale.
Ce matin-là, elle arriva la dernière, comme d’habitude, et elle fut accueillie par une remarque acerbe de son frère.

- Il y a les « Tout Pour Ma Gueule » et puis il y a les autres ! 

Elle ne releva pas, dit bonjour, s’assit et saisit une tartine qu’elle beurra lentement, d’un air détachée. Elle entendait le murmure des voix mais ne participait pas à la conversation. Elle voulait encore savourer son aventure de la veille, un homme qu’elle avait rencontré au « Bar du port ». Il l’avait raccompagnée chez elle, tard dans la nuit, et leurs bouches ne s’étaient quittées qu’à trois heures du matin. 
Est-ce qu’elle le reverrait celui-là ?

- Putain, mais fais attention ! Cria son frère à son adresse.

Elle regarda sa tartine et se rendit compte qu’elle était entrain de beurrer sa main gauche. Elle  posa le pain sur la table, sourit bêtement et s’essuya la main.

- Tu as l’air fatiguée ma petite fille, remarqua sa mère.
- Forcément, hurla son frère, elle passe ses soirées à baiser ! Putain, mais vous êtes tous aveugles ou quoi ?

Elle pâlit. On entendait juste le bruit des cuillères dans les bols et le soleil matinal s’amusait à glisser au travers des branchages. Rien ne fut prémédité, mais au moment où elle vit son frère se lever de table, elle se décida à  lui porter l’estocade.

- Et alors, qu’est-ce que ça peut te foutre ? Baiser c’est quand même mieux que se branler tout seul dans sa chambre !

A partir de ce jour-là, il ne lui adressa plus la parole. C’était il y a 20 ans.

* nouvelle écrite à partir d'une consigne des "impromptus littéraires"

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