Prête à disparaître de la surface
de la terre mais surtout du restaurant où ils mangeaient, elle n’avait pas osé
lever les yeux de son assiette attendant le verdict. Comme son silence se
prolongeait, elle avait relevé la tête pour plonger son regard dans le sien et
ce qu’elle y lisait l’avait comblée : il partageait ses sentiments !
Il lui avait pris la main et avoué que lui aussi il l’aimait. Il avait appelé
le serveur, demandé l’addition, ils étaient partis du restaurant, elle l’avait
suivi et il l’avait entrainée dans une chambre d’hôtel. Elle s’était retrouvée
nue et dans ses bras comme dans un songe, comme si ce n’était pas elle, la
bourgeoise timorée qui était là. Elle avait découvert sous ses caresses des
sensations qu’elle pensait oubliées depuis longtemps, elle n’avait pas eu honte
de ce qu’elle faisait, au contraire, elle se découvrait une autre dans ses
bras. Bien sûr, cela n’avait pas été facile de vivre ainsi, d’avoir cette vie
cachée car leur situation était difficile et sans grand avenir immédiat. Sa
femme était malade et il avait tout de suite averti qu’il ne voulait pas
divorcer. Elle avait été d’accord, elle ne se voyait pas non plus tout balancer.
Paradoxalement, elle tenait à sa famille, elle tenait à son mari et voulait les
préserver de sa folie. Ils décidèrent donc de se retrouver dès qu’une occasion
se présentait, ils faisaient très attention, s’entouraient de mille précautions.
Parfois un week-end s’offrait à eux et ils découvraient le bonheur de s’endormir
ensemble et de se réveiller côte à côte. Dans ses moments de lucidité, elle se
demandait comment elle arrivait à vivre sa vie sans culpabilité ? Elle
faisait taire sa conscience en se disant qu’elle ne faisait de mal à personne,
qu’au contraire cet état amoureux la rendait plus belle, plus joyeuse et tout
le monde en profitait. Elle devait aussi avouer qu’elle aimait ses deux hommes,
qu’ils lui apportaient chacun ce qu’ils avaient de meilleur et cela la comblait.
Elle voulait à tout prix les garder les deux ! Folle, elle était devenue
folle, égoïste et amorale, la belle affaire !Leur liaison dura, années de
vie cachée et de mensonges mais aussi années de bonheur et de félicité. Point
de routine pour casser l’émotion !
Quand ils s’étaient retrouvés
veufs, ils auraient pu enfin vivre leur liaison au grand jour mais elle avait
peur de tomber dans cette fameuse routine qui pouvait tout gâcher. Olivier lui
disait de penser à eux, rien qu’à eux…comment arriver à lui faire comprendre
que c’est bien ce qu’elle faisait mais qu’elle tenait avant tout à conserver
cette liberté qui lui était vitale ? A 65 ans, peut-on s’accommoder des
habitudes, des manies de l’autre ? Ils étaient amants depuis si longtemps,
pouvaient-ils devenir mari et femme ? Elle en doutait, les rôles ne sont
pas distribués de la même manière et c’est pour cela qu’elle jouait sur
plusieurs tableaux. Comment expliquer à sa fille cet homme surgit de nulle
part, leur connivence apparente et leur passé qui ne manquerait pas de surgir à
tout instant ? En fait c’était ça le principal problème, ce passé commun
si intense.
- Oh ! et puis zut, je n’ai
de comptes à rendre à personne, je ne vais pas devenir vieille avant l’heure à
cause de ces histoires…demain je vois Sophie, je lui dit que j’ai un ami mais
je ne le lui présenterai pas tout de suite. C’est ma vie, pas la sienne !
Comme ça Olivier sera content et nous pourrons enfin faire ce voyage programmé ensemble.
Quant à la suite, ben…on verra plus tard, chaque chose en son temps !