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Presquevoix...

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2 février 2014

La conférencière

Quand elle l’avait vue arriver, maigre, les omoplates saillantes, la jupe droite et neutre, le visage mangé par de larges lunettes, elle s’était dit : pourvu que son discours ne lui ressemble pas.

Dix minutes plus tard, épuisée par la mélodie soporifique de ses mots, elle s’était impoliment vautrée sur une table  recouverte de verre poli,  et elle s’était presque endormie…

31 janvier 2014

La librairie

Porto

Chaque jour, après son travail, elle allait à la librairie Lello. Pedro s’en plaignait, il lui disait qu’elle le trompait avec une femme, parce que pour lui la librairie était le ventre – le sexe ? - d’une femme dont les livres tapissaient toutes les largeurs. Ils  riaient ensemble de cette plaisanterie.

C’est en haut de l’escalier rouge de la librairie Lello que son étourdissement l’avait prise. Avant de descendre, comme à son habitude, elle avait regardé les marches qui défilaient dans leur drapé rouge et le vertige l’avait happée dans le ventre de l’escalier. Son livre « o vale da paixão » lui était d’ailleurs tombé des mains  et avait dévalé les marches. Elle avait sans doute essayé de se rattraper à la rampe, mais elle ne souvenait de rien à part des deux mains  qui l’avaient aidée, silencieusement,  à s’asseoir  sur une chaise du premier étage.

Elle essaya de retenir ces mains, mais l’homme devait être pressé, il lui sourit amicalement, rajusta ses lunettes, remit son chapeau sur la tête, puis  elle vit son pardessus disparaître dans l’escalier. Lorsque sa silhouette ne fut plus qu’un souvenir, elle se replia un peu sur elle et remarqua, à ses pieds, une feuille pliée en quatre. Elle hésita à la prendre, mais la curiosité fut plus forte. Ella la déplia et lut les vers suivants :

 

Não basta abrir a janela
Para ver os campos e o rio.
Não é bastante não ser cego
Para ver as árvores e as flores.

Il ne suffit pas d’ouvrir la fenêtre
Pour voir les champs et le fleuve
Il ne suffit pas de ne pas être aveugle
Pour voir les arbres et les fleurs. 

Fernando Pessoa,

Avait-elle vraiment rencontré le poète Fernando Pessoa mort en 1935 ?

 

PS : photo prise par C.V  dans la librairie Lello à Porto.

Voyez ici le site de la librairie pour rêver à 360 degrés.

 

29 janvier 2014

Les deux gélules

Depuis six mois, à chaque fois qu’elle allait chez sa belle-mère, elle prenait deux gélules – aux effets anti-stress -  recommandées par une amie qui prenaient exactement les mêmes avant d’aller chez sa sœur. Cette même amie lui avait d’ailleurs confié avoir été conseillée par une autre amie qui les prenait systématiquement avant d’aller chez sa mère…

 

27 janvier 2014

Ça va ?

A chaque fois qu’il me demandait  de mes nouvelles, il n’attendait jamais ma réponse et  me donnait des siennes. Souvent elles étaient mauvaises, forcément.  Un jour, je n’ai pu m’empêcher de le lui faire remarquer. Il m’a regardée,  étonné.

-   Tu veux dire que depuis deux ans que je te connais je ne sais toujours pas comment tu vas ?

-   Eh oui, ai-je soupiré fataliste.

Il m’a observé longuement, a hoché la tête et m’a dit tristement.

-   Ma foi, tu as l’air d’aller plutôt bien, alors que moi, si tu savais...

 

 

 

25 janvier 2014

La bulle

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La bulle

Ses parents lui avaient dit de rentrer dans la bulle, juste le temps d’une course, et la petite fille avait sauté de joie ; il y avait si longtemps qu’elle leur demandait de jouer dans la bulle. Cependant, leur course avait duré plus  que de coutume et la petite fille  avait voulu sortir, mais comment ?

La nuit tomba. Elle finit par s’endormir dans la bulle, comme si celle-ci était devenue sa maison.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, la petite fille remarqua qu’autour de la piscine, tout avait disparu : plus d’immeubles, plus de caravanes, juste des terrains vagues à l’infini. Elle voulut crier, mais aucun son ne sortit ; elle voulut pleurer, mais ses yeux étaient secs ; elle voulut se souvenir, mais une brume recouvrait son passé.

Elle comprit que désormais, seule la bulle l’accompagnerait. Pour le meilleur, mais sûrement pour le pire…

 

PS : photo prise par C. V. à Dieppe, en aout 2013

 

23 janvier 2014

Le maillot de bain

-  Putain, t’as vu à quoi tu ressembles ?

J’étais nue dans la cabine d’essayage quand j’ai entendu la voix. On aurait dit ma mère sauf qu’elle n’aurait pas dit « putain ». Je me suis rhabillée illico, j’ai laissé le maillot de bain noir à l’intérieur et je suis sortie en pleurs du magasin. Après, je suis entrée dans la première boulangerie venue. J’ai acheté un pain au chocolat, un pain aux raisins, un chausson aux pommes, et j’ai tout avalé.

Maintenant, je fais du naturisme.

21 janvier 2014

Le traducteur automatique

Il y avait dix ans qu’il exerçait le métier d’interprète de conférence et, depuis quelques semaines, un phénomène étrange se produisait : une quasi-pulsion l’obligeait, en dehors du travail  - mais cela ne se produisait qu’avec sa femme et sa mère -  à traduire systématiquement tout ce qu’il leur disait en anglais et en portugais…

 

 

19 janvier 2014

La question

La veille, son fils de 6 ans lui avait demandé.

-          Dis maman, combien de temps tu vas durer ?

-          Le temps qu’il faudra ! avait-elle répondu en déglutissant difficilement.

Une fois dans sa chambre, cette question lui était revenue  à l’esprit dans toute la nudité de sa vérité : oui, combien de temps allait-elle encore durer ? Mais surtout, avait-elle vraiment envie de durer ?

17 janvier 2014

Le cadeau

Pour Noël, sa mère lui avait demandé de lui acheter le journal de Valéry Larbaud. Elle le lui avait donc acheté. Seulement, le jour J, quand elle l’avait sorti de son emballage cadeau, elle lui avait dit.

-          Ouh là là, il est beaucoup trop gros, je ne pourrai jamais le lire au lit !

Sa fille l’avait regardée, étonnée, mais avant qu’elle n’ait pu répondre quoi que ce soit, sa mère  avait conclu.

-          Tu m’excuseras, hein, mais je préfère que tu le gardes, parce que moi, dans ce format, je sais que ne le lirai pas !

Et voilà qu’elle se retrouvait avec un livre qu’elle ne lirait peut–être jamais - un de plus - mais celui-ci faisait 1547 pages…

 

 

 

15 janvier 2014

L’ami

Quand son ami Jean, après les salutations d’usage, lui avait dit.

-          Tiens, jeudi dernier  j’ai vu ta femme au " café des cerises ", mais je n’ai pas osé aller lui dire bonjour.

Intrigué il rétorqua.

-          Ah bon ? Et pourquoi ?

-          En fait elle était avec un type et… ils avaient l’air tellement pris par leur conversation que j’ai eu peur de les déranger.

Il ne répondit rien. Qu’aurait-il pu  dire à Jean ? Qu’il le  remerciait, au nom de leur amitié, de lui signaler que sa femme avait des conversations « passionnées » avec un autre homme ?

C'était sans doute absurde mais, depuis ce jour-là, un soupçon empoisonnait sa vie…

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