- Je me suis regardé dans la glace ce matin et je me suis trouvé très vieux ! Lui dit-il d’une voix lasse.
Elle ne put s’empêcher de lui répondre.
- Ça faisait combien de temps que tu ne t’étais pas regardé ?
Il ne répondit rien et s’assit devant son ordinateur, l’air sombre. Elle jugea qu’une nouvelle remarque malheureuse suffirait pour qu’il explose ! Elle préféra se taire.
L’heure passe, ils doivent se
quitter, ils se lèvent après avoir réglé leurs consommations. A ce moment, un
homme se dirige vers eux et s’adresse à Paul.
- Bonjour monsieur, comment
allez-vous, permettez que je vous présente quelqu’un, vous êtes toujours dans
la communication ?
Paul acquiesce en reconnaissant
son interlocuteur et, un peu surpris par la soudaineté de la demande, se laisse
entrainer par l’homme qui prend du temps pour se rendre compte que la politesse
consisterait également à dire bonjour à la femme qui accompagne Paul. Celle-ci
fait un peu la gueule, pas très contente d’être balayée de côté par ce goujat
de service qui demande quand même à Paul, après s’être aperçu de sa présence,
de la lui présenter.
- Marjolaine, une collègue.
- Enchanté, vous êtes aussi dans
la communication ?
Et après quelques secondes
d’observation, il ajoute.
- Mais vous devez être plus dure,
cela se voit sur votre visage !
Etonnée d’abord puis estimant le
jugement stupide, elle éclate de rire.
- Ah, mais cela change tout, vous
avez un beau sourire. Et de conduire Paul et Marjolaine vers une femme qu’il
interpelle.
- Baronne, laissez-moi vous
présenter un ami qui pourrait vous aider.
La Baronne se lève, est présentée
à Paul et alors que Marjolaine se présente à son tour, la Baronne est déjà en
train de parler avec ces deux messieurs. « Bon, la politesse n’est plus de
mode dans l’aristocratie », constate Marjolaine.
Les cartes de visites
distribuées, nouvelles poignées de mains échangées et Marjolaine trouve la
sienne emprisonnée dans celle du goujat de service qui la garde, plongeant son
regard dans le sien en susurrant qu’il faut absolument se revoir bientôt.
« Compte dessus, pauvre
con », pense Marjolaine, qui à son tour ne se prive pas de jugement !
Ils roulaient dans la campagne que le soleil de cette fin d’après-midi éclairait d’une douce lumière ; elle avait toujours préféré la mélancolie qui enveloppait le monde lorsqu’on entendait au loin les chevaux de la nuit. Lui conduisait les deux mains sur le volant, et écoutait presque religieusement l’andante du concerto italien de Bach dont les notes semblaient arracher au paysage ses derniers voiles de lumières.
- Pour quoi tu mets toujours l’andante ? - Pour me souvenir.
Une ombre passa sur son visage.
- C’est pour être avec elle ?
Il regardait la route fixement comme s’il avait peur d’écraser un animal qui aurait pu s’égarer sur le bitume.
- C’est bien à elle que tu penses, non ?
L’andante lui avait toujours fait penser à Lise ; ce n’est pas lui qui le lui avait dit, mais elle. La dernière fois qu’elle était allée lui rendre visite dans sa chambre d’hôpital, Lise s’était accrochée à son bras, le visage tourmenté, et elle avait prononcé ces mots étranges.
- L’andante, c’est mon âme, tu comprends ? C’est mon âme qui veut s’échapper du purgatoire !
Elle n’était plus jamais retournée la voir, lui non plus. Ils roulaient dans la campagne, la nuit tombait et le silence s’était installé. Il avait posé une main sur son genou gauche et elle avait renoncé à lui poser une autre question ; de toutes façons il ne lui aurait pas répondu. Il ne parlait jamais lorsque la nuit tombait.
Au moment où le paysage fut entièrement drapé de noir, elle comprit que quelque chose en lui était perdue ; ils se séparèrent un mois plus tard.
PS : texte écrit à partir d’une consigne des “impromptus littéraires”. Il s’agissait d’écrire sur l’andante du concerto italien BWV 971 de Johann Sebastian Bach. Pour l’écouter, au piano, c’est ici.
- C'est pas parce que mon ordre n'est pas ton ordre que c'est du désordre ! Hurla-t-elle avant de claquer la porte de sa chambre. De quoi se mêlait-elle, celle-là, à lui imposer son ordre, et le reste ! Elle aurait voulu la voir disparaître, emportée par une vague de haine, mais son père venait de se marier et il n'allait pas divorcer de si tôt. Elle s'allongea sur le lit, enfouit sa tête sous son oreiller et sanglota à corps perdu. Petit à petit, elle sentit que les battements de son cœur commençaient à s'apaiser et elle put respirer presque normalement. N'y avait-il pas un pays où les belles-mères étaient interdites de séjour ?
Il était dans le train et se laissait bercer par la douceur du compartiment de première quand soudain il se rendit compte qu’il l'avait oubliée ! Le drame ! Sans elle, il ne pourrait pas la supporter 7 heures, impossible ! Comment faire ? Trop tard pour lui téléphoner et se décommander, trop tard pour inventer une excuse que, de toutes façons, elle ne croirait pas car elle avait toujours deviné quand il mentait ! Trop tard ! Il devrait boire ces 420 minutes, non-stop, en tête-à-tête avec elle, jusqu’à la lie !
Il était 10 h 30 et le train arrivait à 10 h 50, elle l’attendrait sûrement à la gare, comme d’habitude ; il avait donc vingt minutes pour se « préparer », vingt minutes pour se raisonner, vingt minutes pour se répéter que tout allait bien se passer avec sa mère, vingt minutes pour se remémorer tous les pièges qu'elle allait lui tendre et dans lesquels il ne devrait pas tomber. Mais merde, comment avait-il pu oublier cette fichue gélule sur la table du salon ! Depuis que son médecin lui avait conseillé ces gélules et qu'il en prenait une, une demi-heure avant chacune de ses rencontres avec sa mère, il avait pu augmenter la fréquence de ses visites : il était passé d’une visite semestrielle à une visite trimestrielle ! Cette gélule était littéralement ex-tra-or-di-naire ; elle lui permettait d'effacer tous les souvenirs qui le liaient à sa mère, et ce, pour une durée de 24 heures !
D'ailleurs, quand il la prenait, c'est tout juste s'il se rappelait que sa mère était sa mère ! Que pouvait-il rêver de mieux ?
Allongée sur le lit à moitié défait d’une chambre d’hôtel tristement banale, elle restait silencieuse alors qu’il attendait une réponse de sa part. Pourquoi persistait-il à la vouvoyer ? Elle en ressentait une certaine irritation. Sans doute souhaitait-il qu’elle le rassure, qu’elle lui dise que ce n’était pas grave, que tout vient à point à qui sait attendre, que demain serait un nouveau jour, qu’il n’y avait quand même pas que « ça » dans la vie… mais elle n’y arriva pas et articula d’une voix agacée.
- Bien sûr que ça me déçoit, je ne suis ni Mère Térésa, ni Sœur Emmanuelle !
« Parmi les enseignements de
Bahà’u’llàh, il y a l’égalité de l’homme et de la femme. L’humanité a deux
ailes, la masculine et la féminine. Un oiseau ne peut voler que si ses deux
ailes sont également développées. Si une aile reste affaiblie, le vol serait
impossible. La réussite et la prospérité ne seront atteintes que lorsque
l’univers de la femme égalera celui de l’homme ».
Extrait des écrits de la religion
baha’ie, dont les enseignements ont été promulgués dans la Perse du XIXème
siècle, extrait transmis par un ami.
Ils étaient chez Alain Aflelou, « Deux lunettes de plus pour un euro de plus. » ! Son mari devait se choisir une nouvelle monture. Elle, elle était venue parce qu’il avait eu un argument convaincant.
- C’est quand même toi qui me verras le plus avec mes lunettes !
Son mari choisit trois montures. La vendeuse le félicita du choix, mais n’était-elle pas prête à lui dire que tout lui irait même ce qui ne lui irait pas juste pour accélérer la vente ? Soudain, faisant preuve d’initiative alors qu’on ne lui demandait rien, elle lui tendit des lunettes à la monture marron, classique, hideuse, qu’il chaussa sans hésiter.
- Ah non, pas celles-là, s’écria sa femme, j’ai l’impression de voir mon grand-père, il avait les mêmes !
- Bonjour Madame, nous sommes
mandatés par une radio pour une enquête sur les goûts musicaux des personnes,
nous recherchons des femmes entre 17 et 29 ans.
« Ouf, se dit-elle, ce n’est
pas pour moi » et soulagée de ne pas être obligée de trouver plein
d’arguments pour refuser, elle répond toute contente.
- Dommage pour vous car j’ai 50
ans.
Le jeune homme à l’autre bout du
fil insiste et demande s’il n’y a pas dans la famille une jeune femme répondant
à ce critère. Elle ne se sent pas de mentir alors elle avoue que ses deux
filles sont dans cette tranche d’âge. Il insiste gentiment pour leur parler
mais elle rétorque qu’elles ne sont pas là. Quand peut-il rappeler alors ?
Ils conviennent d’un rendez-vous pour un autre jour. Curieuse comme à son
habitude, elle demande d’où il appelle et alors qu’elle se trouve à Lausanne,
le téléphoniste se trouve en Allemagne. Elle pense alors à la globalisation et
se demande le pourquoi d’avoir un téléphoniste allemand maitrisant le français
pour un sondage en suisse romande ? Alors qu’elle surfe sur cette
question, le jeune homme allemand pose la question qui tue.
- Et vous, vous êtes la
grand-mère ?
- Ahhhhh !
Elle préfère éclater de rire et
rétorque qu’elle est la mère. Il reste imperturbable, il la remercie et lui dit
au revoir. En reposant le combiné elle se dit qu’elle vient d’attraper un sacré
« coup de vieux ».
Depuis 15 jours ses idées étaient aspirées par un vide vertigineux et son fichier attendait toujours les brassées de mots qui auraient dû peupler l’écran vierge. Face à l’ampleur du désastre, il se résolut à « emprunter », comme il le disait pudiquement. Il n’en était pas à ses premiers « emprunts », mais il préférait oublier ses larcins passés ; il aimait à se penser fécond alors que sa plume était sèche.
En chasseur de mots éprouvé - plus de trois ans d’expérience et déjà un livre publié – il investit son champ d’action : la toile mondiale. Les mots des autres le fascinaient et il savait choisir les meilleurs, ceux qui habillent les textes de soies légères.
Il n’avait jamais eu aucun remords à prendre les mots des autres ; les textes publiés par d’anonymes écrivants n’étaient-ils pas la propriété de tous ? Et puis, qui aurait pu savoir à quels cambriolages il se livrait devant l’écran de son ordinateur ?
Il ingérait tout ce qu’il pensait pouvoir digérer. Quand un texte l’inspirait au point de le vouloir voler, il opérait sur lui une opération chirurgicale décisive. Depuis qu’il était passé maître en l’art de la transformation, sa conscience s’allégeait. Ne faisait-il pas que s’inspirer ? N’était-ce pas ce que les écrivains avaient fait de tout temps ? Tout texte n’était-il pas que réminiscences digérées d’autres textes ?
Parfois un doute l’étreignait - ne serait-il pas devenu faussaire ? – mais il le dissipait très vite. Son deuxième manuscrit allait bientôt prendre forme…
PS : pour comprendre ce qu’est plagier, consulter ce site en langue anglaise : http://www.plagiarism.org/