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Presquevoix...

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17 juin 2015

Le fantasme

20150613_191121Chaque jour, à 18 heures tapantes,  il montait sur la petite échelle. C’était devenu une addiction. Mais que regardait-il ? vous demanderez-vous. Elle : la femme idéale, l’impossible incarnée.

Se savait-elle observée ? Bien sûr, et pour rien au monde elle ne se serait privée du rituel de 18 heures. Elle passait une demi-heure à se préparer. Ceci pourra vous étonner, mais un fantasme ne peut se contenter de médiocrité.

L’un comme l’autre savaient  que jamais ils ne pourraient s’étreindre. Et quand, par un hasard extrême, ils se croisaient dans l’escalier, ils s’évitaient consciencieusement, de peur de faire disparaître pour l'un, l'objet de son désir, pour l'autre l'objet de son plaisir.

 

 

PS : photo prise par GB.

15 juin 2015

Pédagogie

Elle avait décidé de consacrer ses vacances à la fabrication d'un objet pédagogique qui, elle n’en doutait pas, ferait rapidement partie de la boîte à outils secrète de chaque professeur : La machine à claques. Composée d’un long bras articulé armé d’une main, cette machine se mettra en marche à partir d’une simple pression sur un bouton vert. D’une portée de 10 mètres et d’un rayon d’action élargi, son efficacité et sa facilité d’utilisation révolutionneront l’acte pédagogique. Par ailleurs, le fait de  placer l'objet sur le bureau du pédagogue, bien en évidence, évitera peut-être tout passage à l'acte ; nous ne doutons pas un seul instant que  les " apprenants " seront sensibles aux vertus dissuasives de l'outil.

 

PS : En tapant " machine à claques " dans youtube, je suis tombée sur cet extrait de film qui m'a fait rire ; peut-être provoquera-t-il le même effet chez vous.

 

 

 

 

11 juin 2015

L’Oeil du géant

20150528_145227Depuis une semaine, son plafond de visites avait explosé. Elle qui, en temps normal,  atteignait un maximum de soixante visites par jour sur ses deux blogs, était passée à un pic de 110 sur chacun de ses blogs,  et l’essentiel de ses " visiteurs " venait des Etats-Unis, de Mountain View, en Californie. Etait-elle espionnée par la NSA ?

Minée par ses tendances paranoïaques, il ne lui en fallut pas plus pour se répandre en lamentations  auprès d’oreilles complaisantes qui cherchèrent à la rassurer : mais non, entre elle et Edward Snowden*, il n’y avait rien de commun ; franchement, qui pourrait bien s’intéresser à ses blogs dont l’audience confinait à l’infinitésimal ?  Mais non, personne ne lui en voulait, qui pourrait bien se venger de quoi que ce soit ?

Pourtant rien ne la rassura. Elle ferma ses blogs, éteignit son portable, se confina chez elle et ne répondit plus à aucun coup de téléphone. Elle n’était pas loin de penser qu’un drone en provenance directe des USA ferait exploser sa maison…

 

 

 

 

 

 

*Interview d'Edward Snowden, l'auteur des révélations sur les systèmes de surveillance des Etats-Unis

 

PS : photo prise par gballand.

Le prochain texte paraîtra  lundi 15 juin, je préfère vous prévenir au cas où vous penseriez que j’ai été enlevée par la NSA ou tuée par un drone…

9 juin 2015

L’ annonce

Avocat, 40 ans, grand, plutôt bel homme, sportif, doux, prévenant, cultivé, cherche femme pour partager… ça, c’était le texte de l’annonce parue dans le Nouvel Observateur.
Quand elle était entrée dans le café, il l’avait reconnue tout de suite. Elle n’aurait jamais dû donner sa photo.
- Déçue ? Lui dit-il.
Elle resta sans voix.
 Il avait la quarantaine enrobée, devait mesurer 1 m 65 et il était laid, même très laid.
- Je suis bien avocat, ajouta-t-il.
- Au moins ça… s’entendit-elle répondre.
- Et je cherche une femme.
Elle répondit agacée.
- Et ça justifie tous ces mensonges ?
- Trois mensonges pour six vérités, répliqua-t-il, je n’ai pas droit à une chance ?
Elle ne put que sourire…

7 juin 2015

L’ange déçu

20150524_183012Il s’était décapité par déception. Vous me direz : est-ce possible ? Un ange n’a-t-il pas la formation divine suffisante pour tout supporter ?

En général oui, mais L’homme qu’il protégeait l’avait poussé à bout. Combien de fois, sur le fil de l’écoute, avait-il  hoché la tête, fatigué, entre compassion et pitié. Mais un jour, la corde avait cassé, et lui -  l’ange-funambule - s’était retrouvé au sol, déçu et désespéré.

C’était « un cas difficile », on l’avait prévenu au départ. L’homme ignorait son coeur et son corps. Il croyait tout connaître mais ne connaissait rien. Il se disait doué de raison, mais ses raisonnements n’étaient qu’un prêt à penser, un stock donné à la naissance qu’il n’avait jamais interrogé ni regardé à la lumière du jour.

Une fois l’ange décapité, l’homme avait tenté de continuer son chemin, mais plus personne n’avait voulu le suivre et il était mort, loin de tous et de lui-même.

 

PS : photo prise par gballand

5 juin 2015

Le septet

Sammy Price Septet

 

Tu me préviendras par SMS, lui avait-elle dit avant de partir au travail. Mais à 14 h il ne l’avait toujours pas prévenue. Se doutant du désastre, elle avait donc envoyé un SMS synthétique : « Alors ? ». Comme elle avait insisté, il avait décliné la triste vérité : 7 UV à repasser sur 7. L’intégrale donc.

Il lui restait jusqu’au 16 juin exactement pour revoir l’ensemble du programme :  12 jours pour couvrir deux semestres. Mais comment avait-il pu en arriver là ? Elle en était anéantie.

Sept UV comme sept instruments à faire jouer sans dissonance aucune, la partition allait être difficile. En espérant qu’il accorderait bien ses neurones…

 

 

3 juin 2015

Duo de Juin

Aujourd'hui, voici mon texte, toujours sur  le rondeau de l’opéra-ballet les indes galantes de Rameau. Ce rondeau fait partie de la quatrième entrée : les sauvages.

 

 

 

 L’homme sauvage

 A 40 ans, il avait décidé de renouer  avec l’homme sauvage, vomissant cette courtoisie qui avait fait de lui un homme civilisé aux émotions ternies par le temps. Pour que le sauvage entre en lui, il s’était fabriqué un mantra  qu'il répétait dans le métro, au travail, en marchant, en déjeunant, en dormant même : « Je laisse libre cours à mes  pulsions pour que  le sauvage s’installe en moi ».

Lorsqu’il avait rencontré Laura – les hasards d’un repas entre amis - son mantra s’était imposé immédiatement, mais Laura était à l’opposé de la femme attendue : aussi blonde qu’il l’avait espérée brune et aussi discrète qu’il l’aurait voulue sauvage.

Leur promenade dans le parc des Elfes avait débuté sous de sombres auspices.

-         Pourquoi ce prénom ? avait-il commencé un rien agressif.

-         Je ne sais pas, mes parents, avait-elle cru bon de s’excuser.

Il avait continué sur le même ton.

-         Et vos émotions ?

-         Mes émotions ?

-         Oui, pourquoi vous les contrôlez toutes ?

Elle rougit. Il pensa soudain que sa « sauvagerie » n’était peut-être que cruauté.

-         Je vous déçois ?

-         Non,  je ne m’attendais à rien, avait-il menti.

 Exalté par le poison du mantra, il l’embrassa furieusement. Elle se dégagea avec peine.

-         Vous êtes fou ?

-         Oui, complètement ! Pas vous ? Et il l’attira à nouveau d’un geste brusque.

Elle résista. Découragé, il renonça.  Dans le ciel, des nuages s’accumulaient ne laissant que de petites déchirures bleues çà et là.

-         Vous avez raison, je suis fou d’imaginer quoi que ce soit avec vous !

-         Pourquoi vous dites ça ?

Il éclata d’un rire cynique.

-         Vous avez plutôt l’air du genre coincé !

Elle  le gifla magistralement, mieux qu’elle n’aurait pu le faire sur aucune scène de théâtre.

-         Vous êtes folle ! articula-t-il la joue en feu.

-         Ce n’est pas ce que vous vouliez, que je sois folle ?

Sa réplique le fit sourire malgré sa joue endolorie. Elle en profita pour énoncer son premier vœu.

-         Laissons-nous une deuxième chance. Je crois que vous n’étiez pas dans votre état normal tout à l’heure.

Il accepta.

-         Vous ne seriez pas actrice par hasard ?

-         Comment avez- vous deviné ?

-         Oh, l’intuition masculine.

Elle rit franchement. Il aima aussitôt cette cascade de sons rauques si loin de son visage classique.

-         Votre intuition ne vous a pas trompé. Je débute dans la profession. En ce moment je joue dans une pièce de Guitry.

-         Je ne sais pas comment vous êtes dans Guitry, mais aujourd’hui vous avez été parfaite.

-         Il faut dire que vous m’avez magnifiquement donné la réplique, répondit-elle modeste.

Maintenant, le soleil inondait l’herbe tendre et la dentelle des nuages se reflétait dans le bassin aux nénuphars.

-         Que diriez-vous d’un bain de ciel ?

Elle acquiesça et ils passèrent l’après-midi allongés, les yeux tournés vers le ciel, à décrire  les nuages qui faisaient et défaisaient les images de leur vie.

 

 

 

 

 

 

1 juin 2015

Duo de juin

Voici notre Duo de juin avec Caro. Nous avons laissé libre court à notre imagination en écoutant  le rondeau de l’opéra-ballet les indes galantes de Rameau. Ce rondeau fait partie de la quatrième entrée : les sauvages.

Aujourd’hui, vous pouvez lire le texte de Caro. Le mien paraîtra mercredi.

 

 

Trac

Je me réveille ce matin au moment où le chœur entre dans mon rêve. Non pas vêtu de noir et de blanc mais avec les vêtements de ville de la répétition de 17 h.

Une goutte de sueur glisse le long de ma tempe, trace surgi de mon inconscient.

Etre le seul habillé du costume de rigueur Tiré à quatre épingles Pingouin égaré dans une jungle sonore Le tambourin pend désespérément muet au bout de mon bras Mon corps me soutient à peine flasque comme ma mémoire La danse des sauvages C’est à moi Là le signe du chef  Soudain la question assassine… Est-ce la manière orthodoxe de tenir l’instrument ?

Les derniers remous de mon rêve me laissent enfin tranquille et déguerpissent, effrayés par l’aurore. Sur la table du salon, les partitions alignées. Les baguettes attendent dans la chambre voisine. Le tambourin. En fait, LE tambourin choisi pour l’Œuvre. La peur est là, qui m’a tenu éveillé une partie de la nuit avant que je m’écroule au milieu des coussins du sofa. Quelques pas et je suis sur ma microscopique terrasse, perdu au milieu des toits de zinc qui chapeautent la ville, à côté des rosiers que Léa a laissés en me quittant.

Je sais bien que je vais trembler avant l’entrée en scène. Trois rythmes, ceux du début, que je me remémore en boucle. Ce cœur qui bondit, se cabre et ne veut pas s’apaiser. Je respire avec lenteur, mon souffle n’est que saccades et angoisse. Je tremblerai en prenant mes partitions même si je connais chaque note par cœur, je ferai vaciller mon pupitre et je resterai à l’affût de chaque incident qui pourrait survenir. Le monde peut s’écrouler à tout instant. Je repenserai en boucle à cette danse des sauvages dont l’affiche, placardée sur les murs et les revues, fait déjà bruisser le Tout-Paris. Une grand-messe pour un public tout en soies, en colliers et nœuds papillons, en murmures. Murmure de l’attente, de la surprise, du regret, et au final, murmure d’enthousiasme ou de déception.

Je serai là dans la fosse et je débusquerai la rage pour affronter ce public ardu. Je me dirai « Léa » et,  aux côtés de mes camarades, j’affronterai l’armée de violons, l’orchestre en entier, le chœur, les spectateurs à l’affût de l’écharde qui entaillera le déroulé des notes. Je réduirai à rien le trac et plus encore la solitude, la douleur et l’incertitude qui m’alpaguent depuis que, toi Léa, tu n’es plus là.

Je sens sous mes doigts la peau tendu et l’imperceptible cliquetis de l’instrument. Je souris à Guy qui part en retraite, à Cyril le petit jeune, aux autres avec qui je vais me mesurer. Un signe venu du pupitre, une mesure. Je sens le plancher craquer imperceptiblement alors que je cherche mon appui. Il est temps que moi, nous, percussionnistes, nous affrontions l’assaut des archers et des voix, je ne vacillerai pas, je gagnerai, ce soir, et tous les autres. Léa, tu peux m’avoir trompé, avoir cru pouvoir me traîner dans la boue. Chaque soir où j’effleurerai peaux et claviers, que le bois de chacun de mes jeux de baguettes pèsera dans mes mains, que les rythmes me redonneront vie, je gagnerai. Je te pardonnerai.

Et je t’oublierai.

30 mai 2015

Sweet little angel

 

Parfois il lui disait « Sweet little angel » ou « Rock me baby », mais souvent, il lui cognait dessus.  « Pour me soulager » s’excusait-il, mais ça ne durait jamais très longtemps.

Un jour elle est morte, plus de sweet little angel, plus personne pour le bercer, plus rien, juste lui et le déni dans l’enfer d’une cellule de trois mètres sur trois.

 

 

 

28 mai 2015

L’homme du 9 ter

20150524_183154Depuis quatre jours, quand elle passait devant le 9 ter, le chat attendait à la porte, inquiet, sans bouger. Elle connaissait mal l’homme du 9 ter. Elle l’avait souvent vu chez le boucher ou chez le boulanger, mais jamais elle ne lui avait parlé. Il faisait partie de ces hommes dont l’étrangeté était plus repoussante qu’attirante. Ne ferait-il pas un possible candidat au suicide ? C’est sans doute pour cette raison qu’elle sonna, on ne pourrait pas l’accuser de non-assistance à personne en danger.

L’homme ouvrit la porte et la tira brutalement dans l’entrée pendant que le chat s’éclipsait à l'étage. Il la ligota, la conduisit dans la salle à manger ou trônait un magnifique piano à queue et lui dit, en brandissant un monceau de feuilles où des notes étaient griffonnées sur des portées.

-  Voilà quatre jours que je travaille à ce morceau. Je ne sais pas quoi en penser. Il est long et un tantinet pompeux parfois. Vous serez mon oreille externe. Dites tout le mal que vous en pensez, je vous en prie.

Que lui répondre ? Elle bafouilla, s’empêtra dans les excuses, mais l’homme ne voulut rien entendre.

-  Non, non, je ne peux pas vous libérer, ça durera ce que ça durera. La prochaine fois, vous éviterez de sonner chez des inconnus pour de mauvaises raisons.

Quand il la libéra, la nuit était tombée. Il la remercia de sa patience et lui proposa un repas qu’elle déclina.

 - Une autre fois, peut-être, lui dit-elle en frottant ses membres douloureux.

Quel fou furieux, pensa-t-elle une fois dehors. Comment peut-il croire qu’un jour je reviendrai dîner chez lui ? Puis elle pensa à sa sonate, longue certes, mais quelle mélancolie, quelle splendeur…

PS : photo prise par gballand

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