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Presquevoix...
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1 juin 2015

Duo de juin

Voici notre Duo de juin avec Caro. Nous avons laissé libre court à notre imagination en écoutant  le rondeau de l’opéra-ballet les indes galantes de Rameau. Ce rondeau fait partie de la quatrième entrée : les sauvages.

Aujourd’hui, vous pouvez lire le texte de Caro. Le mien paraîtra mercredi.

 

 

Trac

Je me réveille ce matin au moment où le chœur entre dans mon rêve. Non pas vêtu de noir et de blanc mais avec les vêtements de ville de la répétition de 17 h.

Une goutte de sueur glisse le long de ma tempe, trace surgi de mon inconscient.

Etre le seul habillé du costume de rigueur Tiré à quatre épingles Pingouin égaré dans une jungle sonore Le tambourin pend désespérément muet au bout de mon bras Mon corps me soutient à peine flasque comme ma mémoire La danse des sauvages C’est à moi Là le signe du chef  Soudain la question assassine… Est-ce la manière orthodoxe de tenir l’instrument ?

Les derniers remous de mon rêve me laissent enfin tranquille et déguerpissent, effrayés par l’aurore. Sur la table du salon, les partitions alignées. Les baguettes attendent dans la chambre voisine. Le tambourin. En fait, LE tambourin choisi pour l’Œuvre. La peur est là, qui m’a tenu éveillé une partie de la nuit avant que je m’écroule au milieu des coussins du sofa. Quelques pas et je suis sur ma microscopique terrasse, perdu au milieu des toits de zinc qui chapeautent la ville, à côté des rosiers que Léa a laissés en me quittant.

Je sais bien que je vais trembler avant l’entrée en scène. Trois rythmes, ceux du début, que je me remémore en boucle. Ce cœur qui bondit, se cabre et ne veut pas s’apaiser. Je respire avec lenteur, mon souffle n’est que saccades et angoisse. Je tremblerai en prenant mes partitions même si je connais chaque note par cœur, je ferai vaciller mon pupitre et je resterai à l’affût de chaque incident qui pourrait survenir. Le monde peut s’écrouler à tout instant. Je repenserai en boucle à cette danse des sauvages dont l’affiche, placardée sur les murs et les revues, fait déjà bruisser le Tout-Paris. Une grand-messe pour un public tout en soies, en colliers et nœuds papillons, en murmures. Murmure de l’attente, de la surprise, du regret, et au final, murmure d’enthousiasme ou de déception.

Je serai là dans la fosse et je débusquerai la rage pour affronter ce public ardu. Je me dirai « Léa » et,  aux côtés de mes camarades, j’affronterai l’armée de violons, l’orchestre en entier, le chœur, les spectateurs à l’affût de l’écharde qui entaillera le déroulé des notes. Je réduirai à rien le trac et plus encore la solitude, la douleur et l’incertitude qui m’alpaguent depuis que, toi Léa, tu n’es plus là.

Je sens sous mes doigts la peau tendu et l’imperceptible cliquetis de l’instrument. Je souris à Guy qui part en retraite, à Cyril le petit jeune, aux autres avec qui je vais me mesurer. Un signe venu du pupitre, une mesure. Je sens le plancher craquer imperceptiblement alors que je cherche mon appui. Il est temps que moi, nous, percussionnistes, nous affrontions l’assaut des archers et des voix, je ne vacillerai pas, je gagnerai, ce soir, et tous les autres. Léa, tu peux m’avoir trompé, avoir cru pouvoir me traîner dans la boue. Chaque soir où j’effleurerai peaux et claviers, que le bois de chacun de mes jeux de baguettes pèsera dans mes mains, que les rythmes me redonneront vie, je gagnerai. Je te pardonnerai.

Et je t’oublierai.

Commentaires
P
Il finira par pardonner et oublier... Le principal étant le pardon.<br /> <br /> Beau texte.
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D
Envie de revoir, en lisant ce solo intérieur, le fim sur la batterie, incroyablement fort : "Whiplash"...
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K
Que cela résonne afin de se raisonner.
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A
surmonter le trac, se mesurer à l'orchestre et pardonner à Léa, ça fait beaucoup pour un seul homme ;-) il n'est pas obligé de pardonner trop vite, ses déboires semblent le galvaniser ;-)<br /> <br /> beau texte!
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P
Le souvenir de Léa lui donne une fougue incroyable pour dérouler ses notes mais... aura-t-il le même talent quand enfin il l'oubliera ?
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