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Presquevoix...
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30 octobre 2016

Trop vieille

Elle cherchait du travail depuis six mois et à chaque entretien on lui faisait comprendre, à mots couverts, qu'elle était trop vieille et à mettre au rebut.

Ce jour-là, avant d’aller à Pôle Emploi, elle fit une halte dans un petit restaurant qui donnait sur une rue calme bordée d’arbres. Quand elle demanda au patron si elle pouvait  s’asseoir à côté de la baie vitrée, elle comprit qu' il ne souhaitait pas qu'une personne de son âge se mette "en vitrine", ce n'était pas une bonne pub pour son établissement.

Il ajouta ensuite, comme pour se faire pardonner : «  Mais j’ai une petite table sympathique près des toilettes… ». Elle sortit du restaurant la tête haute. Ce qu'elle n'avait pas accepté de son mari - il avait voulu la reléguer dans les seconds rôles pour placer, dans le premier, sa maîtresse d'à peine 35 ans - elle n'allait pas l'accepter d'un restaurateur !

Devenait-elle  "parano" ou la société rejetait-elle insidieusement  les femmes de plus de 55 ans  ?

28 octobre 2016

Le lion

20160912_102134Un jour, il sortirait de son tombeau de pierre. Il avait bien essayé de savoir quand, mais le Destin n’avait pas daigné lui donner de date. Il s’était contenté de répéter de sa voix caverneuse : « Un jour, un jour peut-être. »

Et il s’était résigné, comme d' habitude.

La délivrance arriva le jour où des enfants, telle une bande de moineaux étourdis de liberté, le montrèrent du doigt en criant. Croyant qu'ils se moquaient de lui, sa rage fut telle qu’un rugissement  sortit de l’enfer de ses entrailles. La statue se fendit de part en part et les barreaux de la prison plièrent. Les enfants, eux, furent aussitôt pétrifiés.

Une fois dégagé de son carcan, le lion descendit l’allée que délimitaient les statues des enfants et, à chacun d’entre eux, il adressa un mot ; peut-être le secret de leur délivrance, un jour, un jour peut-être..

 

PS : photo prise à Lyon en septembre 2016

21 octobre 2016

rouge

 Deux amies parlent, confortablement installées dans le salon d’une  maison bourgeoise.

 

-          Je me suis souvent demandée pourquoi tu mettais toujours du rouge.

-          Parce que j’aime le rouge.

-          Non, ça c’est trop facile.

-          Comme ça trop facile ?

-          Le genre de réponse que tu fais pour te débarrasser de la question.

-          Pourquoi tu dis ça ?

-          Je te connais, et c’est pour ça que j’insiste.

-          Bon, eh bien je mets du rouge parce que je suis une révolutionnaire dans l’âme !

-          Toi ? Une révolutionnaire ?

-          Eh oui, ça t’étonne hein ? Tu vois, toi qui croyais me connaître !

-          Enfin Marie, les révolutionnaires dans l’âme ne font pas le jeu de la bourgeoisie !

-          Moi ? Bourgeoise ?

-          Oui, parfaitement.

-          Tu es de mauvaise foi.

-           Enfin, franchement, tu vis dans un quartier cossu, tu as un mari cadre dans une grande entreprise, deux enfants qui vont dans une école privée que tu paies la peau des fesses et tu me dis que tu n’es pas bourgeoise ? Tu te prends pour une prolétaire peut-être ?

-          Je n’ai pas dit ça. Je dis juste que je comprends leur lutte et que je m’y associe de tout cœur.

-          C’est généreux de ta part !

-          Tu te fous de moi ?

-          Tu parles de cœur pour un truc où le cœur n’a rien à voir. Il s’agit de luttes sociales Marie.

-          Bon, changeons de sujet parce qu’on va se fâcher.

-          Attends, c’est trop facile,  tu ne m’as toujours pas dit pourquoi tu mettais du rouge.

-          Je te l’ai dit mais tu ne me crois pas, tu penses que je suis de mauvaise foi. Pourquoi tu n’écoutes jamais les autres ?

-          Tu me traites d’égocentrique, c’est ça ?

-          Non, je dis juste que les arguments qu’on te donne, pour toi, c’est toujours de la merde.

-          Ah bon, je suis comme ça ?

-          Oui, et je te connais bien, ça fait 20 ans que je te pratique.

-          Et tu crois que ça suffit pour me connaître ?

-          Pour avoir une petite idée, oui.

-          Et quelle idée tu as de moi ?

-          Tu veux que je sois franche ou que je te fasse plaisir ?

-          Eh bien, sois franche.

-          Alors allons-y : tu as un sacré sentiment de supériorité !

-          Moi ?

-          Oui, toi !

-          Comment tu peux dire une chose pareille ?

-          J’observe.

-          Le problème avec toi, Marie, c’est que tu n’es pas lucide.

-          Mais toi, tu l’es, bien sûr.

-          On n’a pas été élevées dans le même milieu, et ça, ça fait une différence.

-          Ah, parce qu’il faut avoir été élevé dans une famille ouvrière pour se proclamer « révolutionnaire » ?

-          Décidément, tu ne comprends rien. Mais tu ne vois pas que ta bonne conscience sirupeuse fait des ravages. Franchement, si tous les révolutionnaires te ressemblaient, on en serait encore au temps où les enfants allaient travailler à la mine.

-          Ça, c’est bas Louise, très bas.

-          Peut-être, mais c’est la vérité. Tu imagines tes deux poussins de 10 ans et 11 ans à la mine ?

-          Tu sais que tu dépasses les bornes, là. Tu m’en veux, c’est ça ? Tu m’en veux parce que j’ai des enfants et que toi tu n’en as pas ? Mais il fallait t’y prendre plus tôt et tu en aurais !

-          Allez, un partout, mais vraiment, on est dans la fange.

-          Ce n’est pas moi qui ai commencé, je te le rappelle.

-          Bon, il vaut mieux qu’on s’arrête là  sinon tu vas me dire que je t’envie  parce que ton mari est cadre très supérieur  et que le mien est chef de chantier ou parce que tu es agrégée et que je suis certifiée…

-          Je ne sais pas pourquoi avec toi, ça se termine toujours comme ça.

-          Moi non plus.

-          Et si on faisait la paix ?

-          D'accord.

-          Au fait, avec ton mari, ça va mieux ?

-          Toujours pareil : reproches et incompréhensions mutuelles.

-          Et toi ?

-          Idem

-          Bon, tu vois, on a au moins un point commun…

 

PS :  Le prochain texte paraîtra le vendredi 28 octobre.

 

19 octobre 2016

L’air de rien

20160816_115612-1Il avait l’air de rien, le genre passe-partout sur lequel personne ne s’arrête, même pas lui.

Le jour où sa voisine, une fervente de rock aux tenues extravagantes, lui a demandé  " C’est vous mon voisin ? ", il aurait mieux valu dire non, parce qu’elle a enchaîné aussitôt : « Vous êtes presque invisible, je dirais même inexistant ! »

Elle avait raison. Il n’avait aucune consistance, aucune épaisseur, il était aussi lisse qu’une feuille de papier prête à  imprimer mais qu’on n’imprimerait jamais.

Comment en était-il arrivé là ? Avait-il toujours été ainsi ? Etait-ce la nature qui ne l’avait pas bien dotée ? La nature ou ceux que l’on appelle « les parents » ? Il n’en savait rien et sans doute était-il encore loin  du chemin qui le conduirait vers une quelconque connaissance de lui-même.

Par contre, la deuxième fois qu’il a vu sa voisine dans les escaliers, quelque chose l’a poussé à lui dire, l’air de rien : « Bonjour, je ne sais pas si je suis inexistant, mais vous,  vous savez vous faire entendre ! »

 

PS : photo prise à Eu ou au Tréport - ma mémoire flanche -  en aout 2016

17 octobre 2016

Précis de conversation

Il est 10 heures et ils sont appuyés au comptoir, déjà épuisés par la journée qu’ils vont devoir affronter.

-          Il fait chaud, dit l’un.

-          Non, il va faire chaud, rectifie l’autre.

Cinq minutes ont passé et l’un comme l’autre ont avalé leur blanc.

-          Le soleil tape quand même, dit l’un.

-          C’est pas faux, répond l’autre avant de s’essuyer le front avec un mouchoir taché.

A 10.30, l’un se lève, suivi de peu par le second. Le patron leur dit « A plus », et il reprend sa conversation avec deux clients qui continuent la permanence au comptoir.

 

 

15 octobre 2016

La pause

20160912_130529Il n’en a rien à faire de rien depuis qu’il a emballé obligations familiales et salariales dans un paquet qu’il a jeté dans la Saône.

En ce mois de septembre, profitant du doux soleil de cette fin d’été, il erre dans le quartier de la Croix Rousse entre manches et pauses sur des places tranquilles.

Souvent, on le voit lire un journal déniché dans une poubelle. Certains disent qu’il ne regarde que les images, mais moi je sais qu’il y a  quatre ans, il lisait encore Shakespeare dans le texte. Oui, ce clochard aux pieds nus est un ancien collègue d’anglais.

En le regardant de loin profiter de sa pause lecture, je repense à sa vie d'avant, une vie banale, comme la mienne ou celle de nombreux  collègues de notre lycée.

Certains fatalistes disent que chaque existence a ses revers et que le destin nous condamne parfois à perpétuité. J'essaie de me souvenir - dans le brouillard qu'est devenue ma mémoire - pourquoi il a "décroché", mais a-t-on jamais su ?

Lui seul pourrait me répondre,  mais j'évite soigneusement  de le croiser ; sans doute par lâcheté...

 

PS : photo prise à Lyon en septembre 2016 dans le quartier de la Croix Rousse.

13 octobre 2016

L’élève

Elle lui prend son portable ; depuis le temps qu’elle le voit envoyer des SMS alors qu'il devrait remplir sa fiche. Sans doute n’aurait-elle pas dû. Il se rebiffe immédiatement :  Vous avez pas le droit, ça va pas se passer comme ça ! 

Plutôt que de garder son calme, elle renchérit : ah bon, je n’ai pas le droit ? C’est ce qu’on va voir ! Elle s'est encore laissée prendre au jeu de la provocation, quand apprendra-t-elle à rester "zen" - c'est le mot qu'utilise en permanence son adolescente de  fille -  comme la situation l'exigerait ?

Il la fixe d’un œil noir et ne fournit aucun travail. Elle l'ignore. A la fin du cours, il  s'attarde dans la salle – ce qu’il ne fait jamais d’habitude - et alors qu'elle pensait qu'il allait sortir, il fait volte face et pousse brutalement la porte. Ils sont seuls. Il lui  intime de lui rendre son portable en barrant la porte de son  mètre quatre-vingt-dix. Que faire ?

-          Mon portable, répète-t-il menaçant, vous sortirez pas si j’ai pas mon portable !

Et s’il devenait violent ? Elle a peur mais reste ferme.

-          Vous connaissez le règlement. Le portable doit être éteint en cours.

Il attend en la regardant avec colère puis finit par lâcher méchamment en s'approchant d'elle.

-          Je le nique ton réglement putain de ta mère !

Il part et claque la porte derrière lui. Toute la tension qu’elle avait accumulée se relâche et elle s’effondre sur sa chaise en tremblant.

Quelques minutes plus tard, elle fouille dans son cartable et en sort un « rapport d’incident » qu'elle remplit, lasse. Elle pense à son quotidien, au bruit,  à l’absence de respect, à ce rapport de force constant qui la mine de l’intérieur et elle se demande combien de temps elle pourra tenir, combien de temps…

11 octobre 2016

Le vin

20160630_114510Il avait tellement bon cœur qu’il voulait les sauver, tous ! Sorti de chez lui à 9 heures tapantes, il passait d’abord au café de la gare, ensuite au café de la marine et il terminait sa tournée chez Jacqueline, au café du port. Après ces trois stations épuisantes, et quand le temps le permettait, il dormait dans une barque, la tête calée sur des filets de pêche.

Quand il pleuvait, Jacqueline lui aménageait un coin dans l’arrière-boutique où il éclusait tranquillement.  Il y eut un temps où tous deux avaient été mariés ; pour le pire. Certaines mauvaises langues disaient qu’elle l’avait fait cocu avec tous les pêcheurs du Tréport ; c’est peut-être pour ça qu’il voulait sauver les vignerons de la France entière, et même du monde, disait-il lorsqu’il était atteint de sa folie des grandeurs…

 

PS1 : photo prise à Nancy en juin 2016

 

9 octobre 2016

Révélation

Quand Nathalie lui avait dit qu’elle avait dépendu deux fois son compagnon, Marie avait eu du mal à la croire sachant que son métier – Nathalie était psychiatre -  déteignait fortement sur sa vie personnelle qu’elle « pimentait » d’histoires aussi sordides les unes que les autres.

Marie lui a tout de même répondu.

-          Dépendre, ça doit être dur.

-          Ça dépend, avait dit Nathalie en souriant.

Comment pouvait-elle faire de l’humour sur le dos du futur cadavre de son compagnon ?  Elle avait bien connu celui qui l’avait précédé, un ex-alcoolique qui ressemblait à Gainsbourg - sans son talent créatif - mais le « double pendu », non, elle ne l'avait jamais rencontré. Sans doute Nathalie avait-elle eu ses raisons pour le cacher…

7 octobre 2016

L’ange gardien

20160819_132400Il la suivait partout et parfois, pour conjurer son impuissance, il la regardait d’un œil narquois.

Leur relation datait du 13 mars 2015, le jour de ses quarante ans.

Qui avait jugé bon de lui offrir une protection rapprochée ? Elle ne l’avait jamais su, mais depuis cette date, l’ange était de toutes les fêtes et défaites.

Il parlait peu mais ses regards valaient de longs discours. Ses conseils, pourtant, était rarement suivis. Le pauvre ange finissait par  perdre patience.

La dernière fois qu’elle l’avait photographié, elle avait remarqué que la rouille rongeait son corps dodu. Un  sentiment de culpabilité avait alors commencé à la miner ;  cette rouille n’était-elle pas le témoignage de son désarroi ? Ne signifiait-elle pas qu’il risquait un jour de l’abandonner si elle continuait à ignorer ses messages ?

 

PS : photo prise à Mers en aout 2016

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