Elle l’a suivi discrètement. Il faut dire que voyager avec une valise rouge à roulettes quand on est noir n’est pas banal. Cette volonté ostensible d’attirer le regard sur l’objet cachait quelque chose. Dans le train, elle s’est assise à côté de lui, heureusement la place n’était réservée qu’à l’arrêt suivant. Juste après le départ, elle a engagé la conversation sous un prétexte futile, le temps peut-être, ou autre chose. Et, de fil en aiguille, elle en est arrivée à la valise rouge. Elle lui a livré son interprétation.
- Moi, quand je vois quelqu’un avec une valise rouge, je me dis qu’il y a anguille sous roche.
Le propriétaire de la valise l’a regardée en souriant.
- Et vous n’avez pas tort.
- Ah bon ? a-t-elle fait surprise de le voir mordre à l’hameçon immédiatement.
- Je ne sais pas si je peux vous faire confiance, a-t-il ajouté.
- Vous savez, je suis une tombe. Mon seul défaut – enfin aux dires de mon mari – c’est que j’interprète tout.
Il est subitement devenu silencieux et son regard est resté fixe. Puis il a repris ses esprits.
- Dans ma valise, il y a ma femme.
- Votre femme ?
- Oui, en morceaux.
Elle n’en revenait pas, ce type se fichait d’elle, c’était certain. Comment aurait-il pu lui confier un truc pareil ? Soudain, elle a vu qu’une goutte rouge venait de tomber sur l’accoudoir, et cette goutte venait forcément de la valise rouge placée au-dessus de leur tête. Malgré son inquiétude, elle a bredouillé.
- Eh bien dites-moi, vous n’y êtes pas allée de main morte avec elle.
- Oh, vous savez, quand on a le matériel à disposition : je suis équarisseur.
Elle s’est réjouie intérieurement d’être tombée sur un cinglé pareil, mais elle a eu une petite pensée émue pour sa femme. Puis une deuxième goutte est tombée sur la manche de son pullover.
- Vous avez vu que ça coule ? lui a-t-elle dit un peu pâle.
- Oh, vous allez vous habituer, il le faut bien.
Pour se redonner du courage elle a pensé à ce début d’histoire qu’elle allait écrire le soir même. Elle a conclu.
- Bon, je vois qu’on arrive à Châteauroux et je dois descendre. Mais dites-moi, pourquoi vous l’avez tuée ?
Il hésita un instant puis il lui a chuchoté à l’oreille.
- Elle était trop curieuse, un peu comme vous.
Elle s’est levée prestement et, le visage livide, elle lui a souhaité une bonne fin de voyage.