Comme à notre habitude, avec Caro du blog " les heures de coton ", nous continuons le chemin des duos. Cette fois-ci, une photo que j'ai prise dans la gare de Saint Pancras, à Londres, en mai 2018. Les sculptures sont de Paul Day.
Cette photo, bien sûr, est entrée de façon différente dans nos imaginaires. Après le texte de Caro, voici le mien.
La bibliothèque
Paul épiait les gens puis créait des vies imaginaires. Dans les verres de ses lunettes, des hommes et des femmes étaient emprisonnés des minutes, des heures, des jours…
Taedium vitae, lassitude de moi, disait-il à son ami, le seul qui lui restait du désert de son enfance. Un ami aussi bancal que lui, certes, mais différent parce que vivant.
La vie de Paul était aussi terne que la grisaille de ses yeux. Je préfère épier plutôt qu’aimer, avait-il coutume de dire à son ami. Puis il ajoutait souvent, dans cette boucle qui était son seul chemin : dans ma courte vie, jamais personne ne m’a aimé, et jamais je n’ai aimé personne.
Son ami hochait la tête sans rien ajouter ; forcément, il était sourd.
Toujours de noir vêtu, caché derrière ses lunettes sombres, Paul s’autorisait à suivre un humain par jour. Parfois il sortait en fin de journée, au moment où le dernier oiseau se taisait. Et c’est exactement à ce moment-là qu’il a croisé l’homme au livre ; un être aussi silencieux que les oiseaux de la nuit et qui semblait trouver dans les livres un étrange horizon.
Maintenant, l’homme au livre était presque devenu son compagnon muet. Il l’épiait jour après jour, et les livres que cet homme lisait faisaient partie de son paysage imaginaire.
Voyant son obsession, son ami d’enfance lui avait écrit sur un papier blanc : Tu veux sortir de ta boucle de confinement ?
Et Paul avait répondu, sur la même feuille blanche : Je veux construire la bibliothèque de ma vie et ouvrir mes yeux…