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Presquevoix...
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30 décembre 2018

Dans quel bateau voguez-vous ?

"Nous sommes tous des bateaux solitaires voguant sur une mer sombre. Nous voyons les lumières des autres bateaux que nous ne pouvons pas atteindre mais dont la présence et la similitude nous apportent beaucoup de réconfort."

Extrait de l'excellent livre d'Irvin Yalom, Thérapies existentielles

Je vous souhaite, avec une petite avance, une agréable fête de fin d'année.

28 décembre 2018

Le dernier plan suicide

J’ai au moins douze plans pour me suicider*. Vous ne me croyez pas ? Vous avez tort. Pour l’instant je n’en ai parlé à personne. Pour une simple raison : il suffit que vous parliez de votre envie de vous suicider pour que tout le monde vous dise que la vie vaut la peine d’être vécue. Foutaise ! La vie ne vaut la peine de rien du tout et ils le savent bien, c’est pour ça qu’ils clament le contraire.

 Le jour où j’ai trouvé mon douxième plan-suicide, je n’en croyais pas mes yeux, j’étais arrivé à la perfection. Je préfère ne pas vous énoncer mon plan, par précaution. Les pilleurs courent la toile, vous le savez comme moi.

 Je peux juste vous dire une chose :  je passerai bientôt à l’acte, non pas le 31 décembre, mais peut-être le premier janvier. Il me reste simplement  à parfaire ma mise en scène, c'est important pour moi.

 Je ne sais pas qui me trouvera. Ce ne seront pas mes enfants, je n’en ai pas ; ni ma femme, je vis seul ; ni ma mère, elle est morte ; ni mon père, il ne m’a jamais reconnu ; ni mes amis, je ne m’en connais aucun ; ni mes collègues de travail, je suis au chômage. Peu importe, mais celui ou celle qui me trouvera ne m’oubliera jamais, j’en suis sûr ; et c’est pour moi une bénédiction.

 

* phrase de Benjamin Vautier

26 décembre 2018

La mâchoire

On était en période d’examens blancs et elle avait surveillé trois épreuves. Elle s’était tellement ennuyée dans cette salle où trente élèves suaient sur leur épreuve de philosophie, qu’elle avait baillé à plusieurs reprises. Résultat : elle s’était décroché la mâchoire.

Comme elle vivait seule, elle s’était résignée à la remettre elle-même en place mais, la mâchoire inférieure s’était mal emboîtée et il lui avait fallu aller aux urgences.

Là-bas, le médecin - un vieil homme au seuil de la retraite – n’avait pas voulu y toucher : « Je suis trop vieux. Allez voir un spécialiste : tenez, voici son numéro de téléphone. »

Elle aurait voulu le mordre, l’imbécile, mais ses mâchoires n’étaient plus en état.

Elle prit un rendez-vous – heureusement rapide - chez le fameux spécialiste.

A 8.30, elle entra dans la salle d’attente. Le médecin arriva en même temps qu’elle. Jeune, mais vu son presque grand âge, tout le monde lui paraissait jeune. Elle ne resta que cinq minutes assise, il vint la chercher immédiatement.

Elle expliqua son cas. Il sourit à plusieurs reprises. Elle ne voyait pas ce qu’il y avait de drôle à s’être décroché une mâchoire, mais elle préféra ne rien dire afin de ne pas se le mettre à dos.

Après lui avoir remis la mâchoire en place il lui dit.

-          Vous ne me reconnaissez pas ?

-          A vrai dire, je ne suis jamais venue dans votre cabinet.

-          Et si je vous dis Hugo.

-          Hugo ? Hugo quoi ?

-          Vous êtes professeur de français au lycée des Tourelles, n’est-ce pas ?

-          Exact.

-          Je vous ai eu comme professeur il y a quinze ans et vous me reprochiez toujours mes bâillements. Vous disiez même qu’avec des bâillements comme ça je finirais par me décrocher la mâchoire. Et vous ajoutiez, en plus, que j’aurais difficilement mon baccalauréat.

Elle essaya de sourire, mais impossible. Elle finit par répondre.

-          Chacun son tour.

-          Oh, mais je ne me suis jamais décroché la mâchoire, moi.

-          Je voulais dire, chacun son tour de se moquer de l’autre.

Il sourit à nouveau et ajouta.

-          Je ne vous en veux pas, sinon je n’aurais pas remis votre mâchoire en place

-          Vous me rassurez. D’ailleurs, si je m’en souviens bien, vous aviez un autre talent à par bâiller.

-          Ah oui, lequel ?

-          Vous passiez votre temps à bavarder avec votre voisin.

Il répliqua.

-          Lui est devenu kiné, au cas où vous auriez des problèmes de dos.

Elle lui serra la main et sortit du cabinet l’œil terne. Dorénavant, où qu’elle allait, lui faudrait-il toujours trouver d’anciens élèves ?

24 décembre 2018

La météo

Quand il téléphonait à sa mère, sa femme avait toujours l’impression qu’il lui faisait la météo en ligne, mais lui, s’en rendait-il compte ?

Maintenant, sa mère est morte, et la météo, c’est avec elle qu’il la fait...

 

PS : Joyeux Noël à vous, avec ou sans météo ;)

22 décembre 2018

Le tiroir des imbéciles

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Ce tiroir, je  ne l’avais jamais encore ouvert. Sans doute par peur.

Mais une fois, pour échapper à l’ennui hivernal,  je lui ai rendu visite et ce que j’ai découvert m’a profondément troublée. Au détour de quelques photos, j'ai vu la mienne : j’étais jeune et triste. Je savais que j’avais été jeune, mais triste ?

Sous cette photo, il y en avait d’autres, mais pas de moi. Des photos de mes parents, de tantes et oncles, de cousins et de cousines. Je les ai toutes alignées avec la mienne. Hélas, j’étais vraiment la plus triste, et sans doute la plus laide.

J’ai continué mon voyage d’hiver  le ventre noué.

Sous les photos, j’ai découvert des lettres, mais adressées à qui ? Les adresses n’étaient pas données, et les noms avaient été effacés ; pourquoi ? Etaient-ce des lettres qui m’avaient été envoyées ? Ou des lettres que moi-même je n’avais pas souhaité envoyer ? Il me fallait les lire, peut-être pas toutes, mais certaines. Sans doute reconnaîtrais-je mon écriture, mais elle avait tellement changé depuis ma jeunesse.

La première lettre que je choisis était brève :

« Je me languis de toi. Le problème c’est que je ne t’aime que quand tu n’es pas là. Pourquoi continuer ? »

 La deuxième un peu plus longue – celle d’une femme -  disait :

« Il n’y a pas d’amour heureux, hélas, nul ne me l’avait dit. Naïve, je suis née naïve et je le suis restée. Tu as été le troisième, le plus obtus je pense. Oublions-nous ou recommençons ou tuons-nous. Mieux vaut agir, et vite. »

Qui était ce mystérieux troisième ? Mon cerveau transi ne me donnait aucune réponse.

La troisième lettre, elle, avait été écrite par un homme, et c’est lors de sa lecture que je me suis arrêtée, atterrée. Son contenu était si douloureux que des rivières de larmes ont coulé sur mon visage.

« Tu juges, tu juges,  mais te regardes-tu ? Je ne suis ni artiste, ni musicien, ni écrivain, je suis moi et ce moi me brûle quand tu me regardes avec autant de dureté. Qui es-tu toi qui observes les autres les yeux fermés ? Dans quel palais as-tu existé pour être si lointaine ? Moi ma maison est simple, mais depuis que je te connais, je ne peux plus y vivre. »

 J’ai aussitôt retiré les lettres du tiroir. Ne devrais-je pas les mettre à la poubelle ?

Sous les lettres - et ce fut ma dernière découverte avant ma décision finale - j’ai vu une drôle de bague. On aurait dû une alliance. J’ai regardé si je pouvais la mettre à mon doigt. Oui, elle se glissait facilement le long de mon annulaire. Elle était aussi triste que je l’étais sur la photo. Une fois que sa place a été trouvée, une voix d’homme a entamé un voyage musical*, d’une voix si triste et grave que j’ai failli mourir. De quoi étais-je donc coupable ? Que me reprochait- on ?

C’est à ce moment-là que la fenêtre s’est ouverte. Aussitôt toutes les photos et les lettres se sont envolées pour leur voyage d’hiver. Seule m’est restée cette bague qui maintenant repose à la cave, dans un minuscule cercueil que je lui ai construit. Sans doute ai-je voulu oublier qu’un jour – mais je ne sais pas quand – j’ai moi aussi fait un voyage que j’aurais préféré ne pas faire…

 

*Franz Schubert, voyage d’hiver

PS : Titre de livre créé aux éditions irrégulières

 

20 décembre 2018

Consultation

Elle avait payé sa première consultation 45 euros pour 45 minutes, et la seule chose pseudo-intelligente que le "coach" lui avait dite – et ce, juste à la fin - était : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. »*

Certes, elle en était au début de son parcours du combattant  mais tout de même, comment un dit-coach pouvait-il énoncé de telles mièvreries à une "cliente" à la fin du premier rendez-vous ?

Elle avait terriblement eu envie de lui demander s’il pensait à lui, mais elle avait préféré se taire.

Si au deuxième rendez-vous, les choses s’avéraient aussi « plates », elle en profiterait  pour lui mettre en mémoire une citation de Lacan qu'elle ferait passer de la psychanalyse au "coaching" : « Le coaching est un remède contre l’ignorance, il est sans effet sur la connerie. ». Ensuite, elle partirait sans payer.

 

* Oscar Wilde

 

 

18 décembre 2018

L’émission

Le lendemain de l’émission, il avait presque honte d’avoir exprimé ses problèmes à la France entière. Pourquoi avoir participé à ce programme de TF1 ? La situation avait empiré quand  son boucher préféré, deux jours plus tard, lui avaient demandé de sa voix de stentor - entre la découpe de deux côtelettes de porc et d’une tranche de foie de veau : « Et alors, ça va mieux ces problèmes d'éjaculation précoce ? Vous y arrivez avec vot’p’tite dame ou c’est toujours pareil  ? »

16 décembre 2018

Se soumettre ou agir

Dans la famille on était subalterne de père en fils. Personne n’avait jamais failli à la règle, sauf lui.

-          Subalterne, jamais ! avait-il dit à son père.

-          Mais tu te prends pour qui ?

-          Un homme.

Son père était sorti de table en vociférant. Pas de dessert pour moi, avait-il dit, je ne mange pas avec des anarchistes. Et lui avait fini de manger avec sa mère qui était restée silencieuse.

Alors qu’elle débarrassait la table il lui avait demandé.

-          Toi aussi tu penses comme lui ?

-          Non. A vrai dire je déteste deux choses : mon patron et mon salaire, mais que faire ?

-          Résister. En tout cas, moi, je ne serai jamais un larbin.

Sa mère sourit tristement et conclut.

-          C’est vrai que l’on vit dans un monde inhumain. Tu as raison de ne pas accepter ça.

Il observa sa mère. Pouvait-elle, un seul instant, penser différemment de son mari ? Il ajouta.

-          Tu sais, les gilets jaunes, c’est notre force !

-          Je suis d’accord avec toi. Se soumettre de père en fils, cela mène à la catastrophe.

-          Pourquoi tu ne manifestes pas ?

Elle aurait voulu lui dire que oui, elle manifesterait bien sûr, mais elle ne pouvait pas encore agir, peut-être qu’un jour…

 

14 décembre 2018

Le malheur

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Il avait fait son malheur à 4 heures 37, exactement, et il en avait ressenti un plaisir indicible.

A 47 ans, faire le malheur qui lui tenait à cœur depuis longtemps ; un vrai  bonheur.

Evidemment, un malheur n’arrive jamais seul, surtout lorsqu’il a cette opiniâtreté, cette fièvre, cette force.

Maintenant, où qu’il allât, personne ne le reconnaissait, pourtant il avait la même voix, le même corps. Enfin, personne sauf une femme, Sybille, sa première et unique épouse dont il s’était séparé cinq ans plus tôt.

Elle seule savait que ce visage lacéré était le sien, et qu’il le conduisait sur le chemin de l’exil…

12 décembre 2018

La remise à nouveau

Voici  un texte créé par Mado et gballand.

Notre démarche : se lire, écrire, se relire, puis travailler à deux pour aboutir au texte final.

Il me reste à ajouter  que Sénèque nous a influencées à travers la citation suivante : « Quand je repense à tout ce que j'ai dit, j'envie les muets." 

 

La remise à nouveau

Je l’avoue, je me suis  sentie libérée  en claquant la porte. En prenant  les autres à témoin au début, toute tremblante, j’ai bien lu la surprise et la consternation autour de moi : « Quoi,  la transparente, celle  qu’on  n’entend jamais ! Elle a pété les plombs ? ».  Alors, je me suis enfermée dans ma bulle  et ça s’est acharné crescendo contre lui, comme dans une transe joyeuse, au son soudain fier de ma voix. Ça s’est déversé en déluge de… Je ne sais pas d’où m’est venu ce répertoire ! La plupart des mots, je ne les avais jamais  prononcés ;  ils ont fusé, comme entraînés depuis longtemps, fin prêts à l’assaut. Et c’est vrai,  ils se sont déchaînés sans pitié… Mais c’est pas ma faute !

 Avant  je me disais toujours que c’était ma faute. C’est bizarre de se voir changer de rythme. Il faut dire que j’ai longtemps vécu à l’intérieur de moi… et jamais je n’aurais voulu que les autres sachent comme se passait la vie à l’intérieur de moi. Lui non plus n’a jamais su. D’où l’erreur. Il n’a rien compris à mon nouvel opéra en un acte et maintenant, il me fuit, comme les autres. On n’aime pas les gens qui changent d’opéra, ça perturbe, ça contamine… enfin, c’est ce qu’ils doivent penser.  Mais, comme le disait ma grand-mère, une femme de tête : « Ma fille, il vaut mieux être seule que mal accompagnée. ». Et, de fait, je l’ai toujours connue seule ma grand-mère.

Je dois dire qu’elle n’avait  pas la langue dans sa poche. Ma mère non plus. C’est peut-être ce qui a fait décamper leurs hommes… Et  si c’était génétique, ce qui m’arrive ?  Il aurait dû réfléchir plutôt que de réagir aussi  bêtement ; mais quand même… quand je pense à tout ce que j’ai dit, j’envie les muets. Moi, je ne veux pas finir comme elles. Cent ans de solitude, c’est  trop lourd à penser. Et je ne me sens  pas l’âme à sublimer dans la méditation,  le lindy hop, ou le katajjaq ! Voilà pourquoi je suis là. Je voudrais me soigner.  Des mots qui écorchent et souillent le palais en infusant un relent fétide. On pourrait conclure un pacte…

J’espère que ce que je vous dis, ça ne vous fait pas peur. Vous, dans votre métier, vous avez l’habitude des pactes. Moi non, parce j’ai un métier où je ne vois que du bois : je suis ébéniste. J’assemble, je ponce, je vernis, plus facile  à faire avec le bois qu’avec les gens. Ma mère aussi était ébéniste, c’est peut-être pour ça que mon père est parti. Elle ne voyait plus que le bois… et mon père ne pouvait plus la voir en peinture. Moi, je ne vis pas le bois comme ma mère, ce que j’aime dans le bois, c’est l’essence… d’ailleurs l’essence du bois me fait plus d’effet que les sens de mon ami. Je sais que je vous dis des horreurs, mais j’en profite, je ne vous connais pas.

Vous, qui osez prétendre me connaître, vous devez savoir qu'il y a pire bougresse. Mais enfin,  regardez ce que vous avez fait de moi !  Une adaptée, une intégrée, une pensée presque  dominée  dont la seule respiration est la violence des mots  qui se cognent au silence ; et  étouffant sous  l’uniforme, une inadaptée  au  peu de sens ambiant, dont corps et âme ne trouvent repos qu'au contact des arbres.
Alors, maintenant, on ne joue plus,  écoutez-moi  bien : je suis revenue pour exiger mon dû, avec obligation de résultat cette fois. Faîtes-moi renaître! Qu'on oublie tout, moi, mon engeance, lui ;  jusqu’à vous-même, définitivement. Et arrêtez de bouger ! Vous ne serez pas libre avant de m’avoir reprise à zéro. Ce que je veux, c'est mon  intégrité, ma dignité. Pour enfin m'éclater en tous sens  avec mon prochain. Vous le savez qu’au fond, j’aime les  gens. Signez ! En échange, devinez- quoi ? Vous aurez l’honneur d’être mon cobaye !

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