La remise à nouveau
Voici un texte créé par Mado et gballand.
Notre démarche : se lire, écrire, se relire, puis travailler à deux pour aboutir au texte final.
Il me reste à ajouter que Sénèque nous a influencées à travers la citation suivante : « Quand je repense à tout ce que j'ai dit, j'envie les muets."
La remise à nouveau
Je l’avoue, je me suis sentie libérée en claquant la porte. En prenant les autres à témoin au début, toute tremblante, j’ai bien lu la surprise et la consternation autour de moi : « Quoi, la transparente, celle qu’on n’entend jamais ! Elle a pété les plombs ? ». Alors, je me suis enfermée dans ma bulle et ça s’est acharné crescendo contre lui, comme dans une transe joyeuse, au son soudain fier de ma voix. Ça s’est déversé en déluge de… Je ne sais pas d’où m’est venu ce répertoire ! La plupart des mots, je ne les avais jamais prononcés ; ils ont fusé, comme entraînés depuis longtemps, fin prêts à l’assaut. Et c’est vrai, ils se sont déchaînés sans pitié… Mais c’est pas ma faute !
Avant je me disais toujours que c’était ma faute. C’est bizarre de se voir changer de rythme. Il faut dire que j’ai longtemps vécu à l’intérieur de moi… et jamais je n’aurais voulu que les autres sachent comme se passait la vie à l’intérieur de moi. Lui non plus n’a jamais su. D’où l’erreur. Il n’a rien compris à mon nouvel opéra en un acte et maintenant, il me fuit, comme les autres. On n’aime pas les gens qui changent d’opéra, ça perturbe, ça contamine… enfin, c’est ce qu’ils doivent penser. Mais, comme le disait ma grand-mère, une femme de tête : « Ma fille, il vaut mieux être seule que mal accompagnée. ». Et, de fait, je l’ai toujours connue seule ma grand-mère.
Je dois dire qu’elle n’avait pas la langue dans sa poche. Ma mère non plus. C’est peut-être ce qui a fait décamper leurs hommes… Et si c’était génétique, ce qui m’arrive ? Il aurait dû réfléchir plutôt que de réagir aussi bêtement ; mais quand même… quand je pense à tout ce que j’ai dit, j’envie les muets. Moi, je ne veux pas finir comme elles. Cent ans de solitude, c’est trop lourd à penser. Et je ne me sens pas l’âme à sublimer dans la méditation, le lindy hop, ou le katajjaq ! Voilà pourquoi je suis là. Je voudrais me soigner. Des mots qui écorchent et souillent le palais en infusant un relent fétide. On pourrait conclure un pacte…
J’espère que ce que je vous dis, ça ne vous fait pas peur. Vous, dans votre métier, vous avez l’habitude des pactes. Moi non, parce j’ai un métier où je ne vois que du bois : je suis ébéniste. J’assemble, je ponce, je vernis, plus facile à faire avec le bois qu’avec les gens. Ma mère aussi était ébéniste, c’est peut-être pour ça que mon père est parti. Elle ne voyait plus que le bois… et mon père ne pouvait plus la voir en peinture. Moi, je ne vis pas le bois comme ma mère, ce que j’aime dans le bois, c’est l’essence… d’ailleurs l’essence du bois me fait plus d’effet que les sens de mon ami. Je sais que je vous dis des horreurs, mais j’en profite, je ne vous connais pas.
Vous, qui osez prétendre me connaître, vous devez savoir qu'il y a pire bougresse. Mais enfin, regardez ce que vous avez fait de moi ! Une adaptée, une intégrée, une pensée presque dominée dont la seule respiration est la violence des mots qui se cognent au silence ; et étouffant sous l’uniforme, une inadaptée au peu de sens ambiant, dont corps et âme ne trouvent repos qu'au contact des arbres.
Alors, maintenant, on ne joue plus, écoutez-moi bien : je suis revenue pour exiger mon dû, avec obligation de résultat cette fois. Faîtes-moi renaître! Qu'on oublie tout, moi, mon engeance, lui ; jusqu’à vous-même, définitivement. Et arrêtez de bouger ! Vous ne serez pas libre avant de m’avoir reprise à zéro. Ce que je veux, c'est mon intégrité, ma dignité. Pour enfin m'éclater en tous sens avec mon prochain. Vous le savez qu’au fond, j’aime les gens. Signez ! En échange, devinez- quoi ? Vous aurez l’honneur d’être mon cobaye !