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Presquevoix...

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9 juin 2013

Le petit chaperon rouge

Pour le duo suivant, le collage de Patrick a inspiré mon  texte. Ces duos sont tous sur le blog jedouble.

 

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patrickIl lui avait demandé.

-  Tu connais l’histoire du petit chaperon rouge qui se promenait dans la forêt argentée que Dieu a brûlée ?

C’était la deuxième fois qu’elle le rencontrait et elle le trouvait étrange, toujours traînant ses sacs en plastique accrochés au guidon d’un vélo rouillé. Elle aurait voulu ne pas s’arrêter, ne pas lui parler, mais la curiosité était plus forte. Il lui fit signe de s’asseoir sur le banc, posa son vélo contre le mur et prit place à côté d’elle.

-  Tu n’as pas peur de moi, hein ?

Elle ne répondit rien et attendit.

-  Tu n’es pas bavarde toi, se contenta-t-il de dire.

Et il commença l’histoire de la forêt argentée, une histoire où il fit intervenir le chaperon rouge et même le Petit Poucet. Elle n’en demandait pas tant, elle qui n’avait jamais connu les histoires que l’on raconte  à l’heure où la nuit dépose ses voiles de soie sur les yeux des enfants. Depuis qu’elle était née, elle avait seulement entendu des voix impatientes qui lui disaient  « Au lit, dépêche-toi ! » ou « Allez, on éteint ! » Mais pouvait-elle  en vouloir à ses parents ?

Cette forêt que l’homme lui racontait, n’était-ce pas la sienne, celle dans laquelle elle se promenait quand elle accompagnait le troupeau de ses rêves au cœur des vallées nocturnes ? Et le long flot des phrases qui racontaient l’incendie n’était-ce pas la brûlure de sa famille ?
Elle ne lui posa qu’une question.

      -   Et Dieu, est-ce qu’il la fera réapparaître la forêt argentée ?
      -   Tout dépend du petit chaperon rouge.

Elle le regarda surprise ; son visage émacié, mangé par une barbe grise, lui parut soudain très sévère et ses yeux  avaient pris la couleur froide des lacs de montagne.

      -  Je ne comprends pas, articula-t-elle.

Il continuait à la fixer comme un dieu exigeant. Soudain il s’empara de l’un de ses sacs en plastique, y plongea la main et en ressortit quelque chose qu’il dissimula immédiatement derrière son dos.

     -  Je vais te montrer quelque chose mais tu n’en parleras à personne, tu me le promets
     -  Promis.

Il lui tendit  l’objet qu’il tenait caché : c’était une perruque dont les cheveux brillaient au soleil.

     -  Voilà ce que doit mettre le petit chaperon rouge pour que la forêt ne disparaisse pas.
     -  C’est pour moi ?
     -  Oui. Mets-là.

Elle hésita un instant, puis enfonça la perruque sur ses cheveux bruns. Elle sentit que toute force l’abandonnait et elle devint comme ces algues marines que la mer ballotte dans ses eaux troubles.

On ne  revit jamais l’enfant, mais les parents firent-ils état de sa disparition ? L’homme, lui, est toujours là. Hier encore je l’ai vu devant le cinéma. Il avait déposé son vélo contre les grilles et il tenait fermement ses sacs en plastique à la main. Je me suis demandée ce qu’ils contenaient…

8 juin 2013

Délation

Dans ce petit pays, depuis que le ministère de la justice avait mis en ligne un site internet permettant, anonymement, de dénoncer des comportements délictueux, les signalements succédaient aux signalements. On était passé de dix appels le premier jour à 150   quinze jours plus tard. Si le succès ne se démentait pas, dans quelques années, la moitié de la population aurait été signalée par l’autre, un succès inespéré…

7 juin 2013

L’enfant

Quand l’enfant disait qu’il ne se trouvait pas beau, elle lui répondait invariablement qu’il ressemblait à son père et qu’il avait ses gènes. L’enfant finit par le haïr, aussi fort qu’il se haïssait.

6 juin 2013

Les copies

A chaque fois qu’il corrigeait des copies, il lisait un miroir déformé de ses cours, voire, un miroir brisé. Il arrivait encore à se consoler en se disant qu’il était payé le même prix,  mais jusqu’à quand ?

 

5 juin 2013

Le lieu

pastelle3Ils l’appelaient « le lieu » et c’était là qu’ils se réunissaient pour refaire le monde ou plutôt, pour l’anéantir. Ils apportaient dans ce « no man’s land » leurs haines ordinaires, leur soif de vengeance et leur désir de tuer.


Personne – en voyant leurs physiques d’anges blonds ou bruns – n’aurait pu imaginer que ces êtres-là étaient des machines à tuer. Pour l’instant,  leurs meurtres n’étaient que virtuels, couchés sur une feuille de papier qu'ils enterraient dans une tanière secrète près de la machine à rêver, comme ils appelaient l’énorme usine au centre.  Mais bientôt, ils passeraient à la phase numéro 2, la plus dangereuse, quand la vie émerge de la feuille blanche à 300 à l’heure et se termine par une explosion.


Le plus jeune et le plus blond d’entre eux disait qu’il n’était pas encore prêt, qu’il avait peur, que sa mère lui manquerait, mais les autres lui enjoignaient de  fermer sa gueule. Alors il restait silencieux, mûrissant ses peurs afin qu’elles se transforment en haines…

PS : texte écrit à partir de cette photo gentiment prêtée par Pastelle

4 juin 2013

Duo

Aujourd’hui, avec caro-carito, nos textes se croisent pour un nouveau duo : son texte est sur Presquevoix, quant à mon texte, il  est sur son blog.
La consigne était la suivante : écrire  à partir de cette citation de Cioran tirée de « pensées étranglées » : « Qui êtes-vous ? – Je suis un étranger pour la police, pour Dieu, pour moi-même. » et de ce prélude de la 1ère suite pour violoncelle solo de  Bach

 

 

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Le RV de 8 h 25

C’est parce que le RV était à 8 h 25 que j’ai accompagné mon grand-oncle Charles à son RV. À cette heure, les bus sont pleins et les passagers peu enclins à exercer leur civisme ; de fait, les deux dernières tentatives matinales de l’aimable octogénaire pour grimper à l’intérieur du 128 s’étaient soldées par un échec.

La semaine passée, en désespoir de cause, le médecin avait posé un ultimatum : demain ou changer de patricien. Le vieil homme avait appelé ses enfants, petits-enfants et ses vieux amis. Les premiers, ou, ne voulaient pas se lever, ou n’avaient plus de points sur leurs permis. Les seconds étaient soit morts, soit hors d’état de conduire. Il s’était rabattu sur moi ; je ne sais pas dire non, surtout à ceux qui ne me demandent jamais rien.

8 h 20. Quartier des Carambins, une place assez facile à trouver, zone franche aux parkings spacieux, où les bénéfices des professions libérales s’évadent fiscalement sans passer par les Caraïbes et leurs eaux turquoise. Mon oncle attend depuis à peine deux minutes quand un homme en blouse blanche lui demande de le suivre. Je me retrouve devant une pile de magazines d’automoto et trente variantes de régimes, du printanier au crétois.

8 h 25. Une femme traverse la pièce, la très discrète secrétaire médicale du lieu, je suppose. Elle appuie sur un bouton dissimulé derrière une plante verte et le prélude pour violoncelle de Bach  s'enclenche. Ce n’est pas que j’étale ma science ; simplement, un Noël m’avait apporté un disque avec quelques-unes des mélodies que l’on se doit de connaître, Vivaldi, la lettre à Elise…

Il m’avait fallu cinq mois pour arriver à identifier ces douze pièces pour mélomanes. Cinq mois de « Tu pourras aller jouer quand tu sauras deviner l’instrument du morceau. » ou « N’imagine pas que tu puisses retrouver tes camarades dehors alors que pour toi Vivaldi a tout du nom d’un joueur de foot. » Mon père me qualifia même de mécréant lors d’un repas de famille. Depuis, tous ont oublié l’incident. Toutefois, le surnom, lui, m’est resté.

Et puis, un jour, miraculeusement, je réussis à les reconnaître toutes. On oublia aussitôt le CD que le chien détruisit quelques mois plus tard et je profitais de l’adolescence pour explorer la vague punk.

9 h. J’ai bien fait de prendre ma matinée. Sachant que l’oncle, bien que sourd d’oreille et bégayant, demeure le bavard impénitent que j’ai toujours connu, je me décide à piocher dans la masse de magazines à la date de péremption largement dépassée. Une lecture rapide et je rencontre cette phrase...

9 h 13. J’écoute depuis tout à l’heure la même suite de Bach, Peut-être est-ce le seul morceau que la discrète secrétaire connaît comme moi et, ainsi, si un jour quelqu’un lui en demandait le titre, elle saurait répondre. Je m’étonne aussi de ne voir aucun autre patient. Je m’inquièterais presque, si je n’avais pas abandonné depuis longtemps la littérature d’épouvante, en même temps que le punk. Et puis cette citation, terrible, vous connaissez vous aussi le poids de certaines phrases rencontrées par hasard. Et bien celle-là, je ne la sens pas mais alors pas du tout. C’est le genre à vous coller aux basques pendant toute une vie.

9 h 24. Je hais Bach

9 h 25. Je hais Cioran.

9 h 26. Je hais les deux

9 h 34. J’en suis à mon troisième magazine du tuning et je sens que j’oublie enfin cette connerie émise par le gars Cioran ; c’est fou comme ces définitions de vie à la con peuvent vous angoisser. On finirait par y croire, un peu comme les surnoms.

9 h 40. L’oncle sort enfin. L’homme en blouse se dirige vers moi, poignée de mains professionnelle avant de s’enquérir. « Monsieur. Pardon. Qui êtes-vous ? »

9 h 41. J’hésite avant de répondre. Une minute de silence et de gêne avant ce qui sera pour moi désormais la fin et la désolation

9 h 42. « Mécréant, je suis un mécréant. »

9 h 55. L’oncle monte dans la voiture et semble vraiment être aussi sourd qu’il le prétend car il ne fait aucun commentaire. Et moi je porte sur mon âme un violoncelle qui ne sait jouer que quelques mouvements d’un prélude de Bach et une phrase dont je sais maintenant que je ne me dépêtrerai jamais. « Qui êtes-vous ? – je suis un étranger pour la police, pour Dieu, pour moi-même »

9 h 56. Je ne vois qu’une solution. Relire Stephen King, retrouver mes vieux albums des Sex Pistols et peut-être les Clash, ne plus être aussi gentil.

 

3 juin 2013

Avant- après

Quand elle était petite, elle regardait toujours sous son lit pour voir si personne ne s’y était caché pendant son absence. Aujourd’hui, si elle regarde encore sous son lit, c’est pour traquer les moutons. Sa vie a pris une autre dimension…

2 juin 2013

Les chaussures ne mentent jamais

A partir d'aujourd'hui, et tous les dimanches, je ressuciterai des textes et photos "enterrés" sur le blog "jedouble" où Patrick Cassagnes et moi-même exercions notre créativité : soit Patrick illustrait mes textes, soit "j'illustrais" ses photos.

Pour le duo suivant, le collage de Patrick a été fait après lecture de mon  texte.

 

 

Les chaussures ne mentent jamais

Elle passait son temps à observer les pieds des gens, au café, dans la rue, au travail, partout ! Elle s’était même dit, à un moment où son travail de bibliothécaire lui était devenu une torture, qu’elle pourrait écrire un livre humoristique dont le titre serait « Si les chaussures nous étaient contées ». Elle y parlerait de toutes les chaussures rencontrées ici et là. Les pieds qu’elle préférait observer, c’était ceux qui se croisaient sous les tables ; elle les trouvait doublement éloquents.


Quand elle s’était assise, en cette fin d’après midi maussade, dans ce café parisien hors des sentiers battus, elle attendait encore la perle rare, des chaussures qui la troubleraient, qui lui diraient que la vie valait encore la peine d’être observée.


Elle commanda un café et se plaça devant la porte, une place de choix pour raconter les  allées et venues des chaussures. Elle tournait machinalement sa petite cuillère dans sa tasse de café  quand elles arrivèrent : deux chaussures semblables à deux péniches qui auraient transporté avec elles toute la boue de l’univers. On y distinguait à peine l’amarre des lacets. Elles s’avancèrent vers la table où elle était installée et s’arrêtèrent à un mètre d’elle.


- C’est ma table, dit grossièrement la voix des chaussures.


Elle leva  les yeux, mais les rabaissa aussitôt. Impossible de regarder un visage pareil.  Elle articula mécaniquement.


- Je n’ai pas fini.


Les péniches ne bougeaient pas.


- C’est ma table, répéta l’homme.
- Oui, mais je n’ai pas fini. Il y a des tables partout !


Le patron et les deux clients du café ne semblaient pas prêter attention à la scène. Elle continua à remuer le café dans sa tasse comme si de rien n’était, et soudain, sans qu’elle n’ait pu comprendre ce qui lui arrivait, elle se sentit soulevée  et transportée à une autre table, près de la vitre. Elle ne put que balbutier.


- Mais ça va pas !
- C’est votre table maintenant. Je vous apporte votre café.


Personne ne dit rien. L’homme aux péniches était maintenant assis face à la porte. Son grand tronc et sa face hirsute s’étaient immobilisés et son regard paraissait fixer le morceau de rue compris entre les deux battants. Elle but son café rapidement et alla payer au comptoir, décidée à dire son fait au patron.


- On appelle ça de la non assistance à personne en danger !


Le patron arrêta d’essuyer son verre et  répondit.


- Qu’est-ce que vous vouliez que je fasse ? Que je lui casse la gueule ?


Elle le regarda interloquée.


- Vous auriez pu au moins lui dire quelque chose !
- Vous vous êtes assise à cette table avant que j’aie pu vous prévenir !
- Prévenir ? Mais de quoi ?
- Qu’il allait arriver. Il aime pas qu’on lui prenne sa table.
- Mais c’est vous le patron ou quoi ?
- C’est sa table.
- Alors il peut tout se permettre ?
- Ecoutez, c’est pas ma faute si son gosse s’est fait écraser devant cette porte il y a un an,  hein ?


Elle pâlit, paya ses deux euros et sortit.

 

patrick

1 juin 2013

La peinture

Quand elle voyait de la peinture abstraite, elle se faisait toujours la même réflexion : « Ah, ça ne vaut pas une bonne crucifixion ! »

31 mai 2013

La caissière

A chaque fois qu’elle payait par chèque, la caissière d’Intermarché lui demandait sa carte d’identité. En regardant son lieu de naissance, elle disait toujours : Niamey, c’est où ? Et elle, lui  répondait imperturbablement : En Afrique, au Niger.

La mémoire de la  caissière ressemblait à s’y méprendre à celle de ses élèves : une étendue de sable où la mer effaçait systématiquement toutes  traces qui menaçaient de s’installer.

Mais elle y pensait : et si la caissière était une ancienne élève ?



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