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Presquevoix...

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23 juillet 2008

Vivre…

mu1- Je me demande où partent les rêves dont je ne me souviens pas* ? - lui avait-elle dit en traversant le pré. Est-ce qu’ils s’accrochent aux nuages ou est-ce qu’ils sont engloutis dans les vallées profondes où se cache l’ogre des enfers ?


Il n’aimait pas la voir ainsi, il savait qu’elle partirait dans un de ces longs monologues qui entretenaient sa mélancolie. Il essaya de détourner son attention en lui montrant la fleur rose dont la chevelure oscillait au vent.


- Elle est comme toi, lui dit-il.
- Comme moi ? Je ne comprends pas.
- Une résistante.

Elle le regarda incertaine. Une résistante ! Comment pouvait-il lui mentir ainsi, à elle ! Elle qui n’avait pas su dire non. Elle regarda le fil de l’eau. Des rides  se formaient à la surface parce que le vent se levait ; c’était comme si la rivière l’appelait. Des frissons couraient sur sa peau blanche et elle enfila le gilet qu’elle avait noué autour de sa taille. Oui, lui, elle aurait pu l’aimer s’il n’y avait pas eu son père. Elle ne pouvait rien effacer et personne ne pourrait rien effacer pour elle, ni lui, ni aucun autre. Ce qui était vécu, était vécu pour l’éternité.

- Et si on prenait une barque pour traverser la rivière ?

Il  avait dit cette phrase avec une telle douceur qu’elle lui prit la main et la glissa dans la sienne. Pour la première fois, elle  lui chuchota qu’elle l’aimait ; bien sûr, elle mentait un peu, mais était-ce si important ?  Après, il serait peut-être trop tard.

- Aujourd’hui, je veux  traverser la rivière toute seule, lui confia-t-elle au creux de l’oreille.

Il accepta. Que pouvait-il faire d’autre ? Lorsqu’il la vit s’éloigner dans l’embarcation,  il eut l’étrange sensation qu’il ne la reverrait pas, mais il se ressaisit ; il avait déjà eu cette impression tant de fois, et elle était toujours revenue. Alors pourquoi  en serait-il autrement cette fois-là ?

* Phrase lue dans le livre « Autoportrait » de Edouard Levé

* photo gentiment prêté par Mû du blogamû

22 juillet 2008

Le train couchette

Elle revenait de l’enterrement de sa grand-mère et devait prendre le train qui partait de Toulouse à 22 h 35. En entrant dans le wagon couchette numéro 50, des odeurs d’encens  lui brouillaient encore la tête. Elle chercha la couchette 82 tout en pensant que sa nuit dans le train allait l’achever. Le lendemain, si tout allait bien, elle serait à la gare d’Austerlitz à 7 h 00. En glissant sa valise sous la couchette du bas, elle revit le cercueil en bois brun devant lequel elle avait fait un signe de croix machinal. La cérémonie l’avait vidée de toute énergie et elle s’allongea sur la couchette, les mains croisées sur son ventre. Elle les décroisa aussitôt, cette position lui rappelait par trop celle de sa grand-mère au funérarium : visage de marbre blanc, lèvres serrées, et sa robe grise au col blanc d’écolière sage, celle qu’elle portait du temps où…

- Bonsoir, j’ai la couchette à côté de la vôtre.

La voix la fit sursauter, elle tourna les yeux et vit un homme d’âge moyen qui s’asseyait sur la couchette du bas, juste à côté de la sienne.

- Ah, dit-elle pour la forme.

L’homme la fixait, le regard vide, et elle en ressentit un vague malaise. Il articula comme avec difficulté.

- Je monte à Paris, des problèmes de couple,  c’est pour ça que…

Et il laissa sa phrase en suspens. Elle attendit. Il devait avoir 45 ans, sans signe particulier, si ce n’était un teint blafard et un visage mal rasé.

- Vous êtes mariée ?

Qu’est-ce que sa situation familiale pouvait bien lui faire ? Elle dit que oui, juste au cas où. Avec un homme seul, dis toujours que tu es mariée, lui avait enseigné sa mère. Sa réponse ne sembla pas l’intéresser et il continuait déjà.

- Moi oui. Je n’aurais jamais dû. Elle m’a quitté. A cause d’elle, je prends des antidépresseurs, ça fait un an.

Et il sortit une boîte à moitié vide sur laquelle elle lut « deroxat ».

- Sans ça je suis un homme foutu. Parfois j’ai des envies d’en finir. Je me dis que ça sera elle ou moi.

Elle laissa passer un instant, mais ne trouva rien à dire. La voix du contrôleur annonçait déjà  le départ du train dans le haut-parleur, il faisait nuit noire, la lumière papillotait de temps à autre, et personne d’autre ne venait s’installer dans leur compartiment. Elle se demanda si elle n’allait pas partir ailleurs, mais l’homme prit les devants, ferma la porte avec le loquet de sûreté et conclut.

- Il vaut mieux fermer, comme ça vous n’aurez pas froid.

Quand la porte claqua, elle eut le même sentiment que lorsque le couvercle du cercueil se referma sur le corps de sa grand-mère. L’homme ajouta.

- Les antidépresseurs, ça diminue les angoisses, c’est le docteur qui me les a conseillés. Il m’a dit que sinon, je risquais de faire des bêtises. Il a rajouté que j’avais encore la vie devant moi, mais je  suis pas dupe, à 45 ans, je sais bien que je peux plus espérer grand chose de la vie. Quelle femme s’intéresserait à un homme comme moi ?

Elle resta silencieuse, comme pétrifiée. Elle devait ressembler à l’une de ces statues qu’elle avait observées dans la petite église du village où la cérémonie d’enterrement avait eu lieu. L’homme avait une voix pâteuse ; quand elle l’écoutait, elle avait l’impression d’être engloutie dans ses phrases. N’était-il pas en train de l’hypnotiser ? Il fallait qu’elle se secoue.

- Vous allez vous installer à Paris alors ? Dit-elle sans trop y croire.

Il la fixa bizarrement et elle crut voir dans ses yeux autre chose qu’une profonde mélancolie. Il ne répondit pas à sa question et poursuivit.

- Et vous ? Vous vous intéresseriez à un type comme moi ?

Elle toussota pour se donner une contenance. Ce type lui faisait vraiment peur. Elle sentit comme une odeur d’encens, la même que dans l’église, comment pouvait-il dégager cette odeur-là ? L’homme eut soudain un mouvement dans sa direction et elle fit un tel bond qu’elle se cogna violemment la tête sur la couchette supérieure.

(...)

... Quand elle ouvrit un œil, elle vit un homme penché sur elle, il avait une casquette et lui disait

- Alors, ça va mieux ma petite dame ? Pas besoin de somnifères pour cette nuit, hein ? Un comprimé d’aspirine, peut-être ?

L’autre homme qui la regardait fit au contrôleur de sa voix pâteuse

- Je pense que maintenant elle va mieux, je vais la veiller. J’ai un sommeil très léger. Si jamais il y a un problème, je vous appelle, j’ai vu où était votre compartiment.

Le contrôleur disparut et elle resta seule avec l’homme qui essayait vainement de la rassurer de sa voix pâteuse. Elle préféra fermer les yeux et ne penser à rien. Elle  finit même par croiser ses mains sur son ventre et  récita tout bas un « Notre père », machinalement.

21 juillet 2008

Quand j’écris…

Quand j’écris je ne pense pas, dit Henri Bauchau .
Vous savez ce qu’il vous reste à faire si vos pensées s’engorgent…

19 juillet 2008

Il est fini le temps des pâquerettes…

Marrie6Il était fini le temps des pâquerettes qui ornaient leurs doigts de pieds, fini le temps des complicités chuchotées, fini le temps des rires mêlés. Elle la regardait s’éloigner d’elle, dans la violence de leurs silences. Si leurs yeux se fixaient, ils se brûlaient, si leurs mots violaient le silence, ils se heurtaient ; c’était comme si quelque chose d’irrémédiable s’installait entre elles.

La veille, sa fille lui avait dit.

- J’ai rêvé de toi, tu étais morte !

Elle n’avait rien répondu. Qu’y avait-il à répondre à ça ? Des cheveux blancs s’étaient accrochés aux ailes du temps et elle regardait la couronne d’absence qu’ils tressaient. Chaque phrase prononcée était triturée, interprétée et perdait presque le sens qu’elle lui avait donné au départ.

Elles s’étaient aimées, il y a longtemps. Elle lui avait raconté des histoires de princesses, de fées, de pays merveilleux, de princes qui allaient conquérir leur belle ; mais maintenant elle n’était plus que la méchante sorcière, celle par qui le malheur arrive.

Deux jours plus tôt, en voyant la tenue que sa fille avait choisie pour aller en ville, elle lui avait dit.

- Tu sors comme ça ?

- Oui, pourquoi ? Avait répondu l’adolescente d’une voix sèche.

- Pour rien, s’était-elle entendue dire, lâche.

Et sa fille était sortie le nombril à l’air et le pantalon descendant trop bas sur ses hanches, au risque de faire apparaître sa raie des fesses à la première occasion. Qui allait-elle voir ? Elle n’en savait rien. Après tout elle s’en fichait. Si quelque chose de grave arrivait, elle comprendrait enfin que sa mère avait une conscience qui aurait pu lui servir. Elle en conclut qu’elle attendait presque ce moment-là, ce basculement où elle clamerait peut-être, haut et fort, comme une vengeance : « Je te l’avais bien dit ! »

Les pâquerettes s’étaient fanées, la nature vierge de l’adolescence avait repris ses droits, et personne ne pouvait comprendre le martyre qui était le sien ; elle finissait, insensiblement, par détester l’enfant qu’elle avait mise au monde.

PS : photo gentiment prêtée par Mariesondêtre.

18 juillet 2008

Silence...

« S’il (le journaliste) laisse le silence s’installer, la vérité finira toujours par sortir, même entre les lignes. » Phrase d’Henri Bauchau lue dans une interview qu'il a accordée à Télérama.

On comprend, à la lumière de cette phrase, pourquoi la vérité ne sort jamais dans les médias…

A trop vouloir presser l’autre, il se dérobe…

16 juillet 2008

Le compteur à gaz

- Vous venez pour le gaz ? Lui cria-t-elle alors qu’il faisait juste les cent pas devant chez elle.

- Euh…oui.

- Eh bien entrez !

Et il était entré chez elle alors qu’il n’était pas employé du gaz et ne l’avait jamais été. Faire semblant jusqu’au bout, voilà ce qu’il devait faire. Il avait refermé la porte derrière lui et observait l’intérieur modeste de cette petite maison où il avait pénétré sans en avoir vraiment eu l’intention.

- Tenez, mettez les patins, lui dit-elle, c’est mieux. Il chaussa deux patins qui lui rappelèrent ses folles glissades sur le parquet de sa grand-mère quarante ans plus tôt.

- Le compteur est à la cave, mais vous avez bien deux minutes. Vous boirez bien quelque chose ?

La dame avait très envie de parler et n’était pas encore prête à lui montrer le compteur. Pourquoi pas, se dit-il, il n’avait rien à faire de sa matinée, à part son rendez-vous de 12 h à l’agence pour l’emploi. Il accepta sa proposition et chercha rapidement un calepin dans son sac pour faire sérieux, après, il verrait. Elle s’affaira quelques instants à la cuisine. Elle aurait pu avoir l’âge de sa grand-mère, 80 peut-être. Avec son peignoir bleu nuit, elle était plutôt touchante, mais il savait qu’il ne devait plus se laisser aller à la mièvrerie des sentiments avec les gens, parce qu’à chaque fois, il s’en était mordu les doigts ! Quand il pensait à cette garce qui avait dit qu’il la harcelait et à cause d’elle, retour à la case ANPE !

- J’espère que vous aimez le jus de raisin, lui dit la vieille dame.

- Oui, merci, fit-il en garçon bien élevé. Vous habitez toute seule ?

- Oui, mon fils vient de temps en temps le soir, et une voisine aussi, à midi.

Il consulta rapidement sa montre et vit qu’il était 10 h. Il l’avait fait machinalement mais ce geste le gêna. N’était-il pas déjà en train de penser que… Non, il devait tout de suite s’enlever ça de la tête. D’ailleurs chez cette vieille, il n’y avait rien visiblement, à moins que…

- J’aime bien bavarder. Il faut dire que je suis seule toute la journée, continua-t-elle.

- Comme moi !

L’imbécile, pourquoi il lui parlait de sa solitude alors qu’elle était encore plus seule que lui.

- Vous n’avez pas d’enfant ?

Il faillit lui répondre méchamment, mais se retint. Des enfants ! Comme s’il n’en avait pas assez bavé lui-même enfant  !

- Non, pas d’enfant, juste un chat !

- Ah, vous aussi ? Je ne sais pas où est passé le mien, il faut dire que toute la journée, il cavale. Il revient pour manger. Et le vôtre ?

- Oh, rien de particulier. Il dort, il bouffe et il baise !

Elle le regarda d’un drôle d’air. Il faut dire qu’il n’y avait pas mis les formes. Il faudrait vraiment qu’il surveille son langage à l’ANPE.

- Alors, et votre compteur ma p’tite dame ?

- Venez, c’est à la cave !

Il la suivit. Il n’aurait sans doute pas dû, les caves lui avaient toujours fait peur, combien de fois n’avait-on pas fermé la porte de la cave derrière lui dans son enfance… Quand il remonta, quelques instants plus tard, il fureta à droite et à gauche pour voir ce qu’il pouvait prendre. Rien dans la salle, ni dans la cuisine, et dans la chambre, juste de quoi satisfaire quelques menus achats. Il sortit de chez elle après avoir vérifié qu’il n’y avait personne dans la rue. Il avait rendez-vous à midi à l’ANPE.

15 juillet 2008

Le Chapeau noir

DegasElle resta un instant devant la vitrine puis  se décida à entrer. J’essayai de l’en dissuader – on m’attendait à la maison pour me présenter le cousin d’un ami de la famille et j’espérais beaucoup de cette rencontre – mais rien n’y fit. Je lui dis qu’elle avait déjà acheté un chapeau le mois dernier, mais elle insista
- Celui-là, je sens qu’il est fait pour moi, regarde cette couleur, cette forme, cette légère ondulation, il m’ira à merveille.  Je suis sûre qu’avec lui tous les regards se tourneront vers moi, je serai la plus belle.
Je dus m’incliner comme je le faisais souvent. Mathilde forçait mon admiration et je ne pouvais rien lui refuser, surtout lorsqu’elle avait cette moue adorable d’enfant gâtée qui laissait passer un instant, dans ses yeux clairs où se reflétait le désir d’être aimée, une petite ombre d’inquiétude, vite dissipée, car personne ne résistait à son charme, personne jusqu’à… mais le moment n'est pas encore venu.
J’essayais de ne plus penser au cousin de cet ami et j’entrai avec elle dans la boutique. L’ouverture de la porte fit résonner une petite musique aiguë et Madame Simone - comme elle se présenta  plus tard - surgit. Madame Simone n’avait rien d’une chapelière, mais ressemblait plutôt à une tenancière de maison de passe. Son large fessier prisonnier d’une robe noire à plusieurs volants, son corset qui laissait deviner une poitrine dont le profond désir semblait être de reprendre sa liberté et son visage aux joues fort poudrées où l’on ne voyait que l’éclat de son rouge à lèvres vif, ne semblaient laisser aucun doute.
Mathilde, elle, ne semblait rien remarquer d’étrange chez Madame Simone et elle pointa aussitôt le doigt vers le chapeau noir dans la vitrine.
- C’est lui que je veux.
Madame Simone, ennuyée, essaya de l’en dissuader, assurant qu’il avait été réservé par un Monsieur passé le matin même, mais Mathilde n’en démordit pas.
- C’est celui-là ou rien !
- Très bien, mademoiselle, puisque vous le désirez, dit-elle en lui tendant le chapeau, mais je vous aurai prévenu que quelqu’un d’autre…
Mathilde ignora son discours et le prit prestement des mains de Madame Simone. Elle s’assit devant le miroir, le mit sur sa tête, prit une pose arrogante et me dit.
- Tu vois ? Je t’avais bien dit qu’il était fait pour moi ! Je le savais. Il me le faut tout de suite.
Entre temps, Madame Simone avait disparu et je m’aperçus qu’elle s’entretenait avec un visiteur en habit sombre, près de la porte.
- C’est impossible, disait-il, impossible, ce qui est dit est dit !
Je ne voyais l’homme que de trois-quarts, il semblait assez âgé – sans doute  l’âge de mon père -  et ses vêtements, de bonne coupe, révélaient goût et raffinement. Madame Simone fit une dernière tentative.
- Mais peut-être qu’il pourrait y avoir un arrangement, vous voyez cette jeune fille devant le miroir, elle le voudrait, il lui va tellement bien, il lui ferait tellement plaisir !
- Non, impossible, répéta-t-il.
L’homme s’approcha alors du miroir et une partie de son corps  se découpa derrière le visage de Mathilde  pourtant, celle-ci fit semblant de rien.
- Mademoiselle, lui dit-il, ce chapeau est à moi, je l’ai  réservé ce matin-même pour la femme que j’aime et il ne saurait en aucun cas vous être vendu, même si, et je le reconnais bien volontiers, il vous va à ravir.
Mathilde rougit mais ne se retourna pas. Elle baissa  les yeux vers la pointe de ses chaussures avant de lui dire.
- Je ne me suis pas présentée, je m’appelle Mathilde de la Romardière, mes parents habitent impasse Neuilly et ils seraient fâchés d’apprendre…
- C’est inutile Mademoiselle, peu importe qui vous êtes, qui sont vos parents, et même si vous connaissiez le président du Conseil lui même ! Je n’ai pas à me justifier. Sachez tout de même, Mademoiselle, que la coquetterie n’est pas bonne conseillère ! Ce chapeau est un cadeau d’anniversaire. Vous êtes la deuxième arrivée, je suis le premier, ce chapeau me revient. Vous êtes à un âge, Mademoiselle, où les déceptions se soignent vite. Quant à moi, je suis à un âge où l’amour n’attend plus. Désolé, votre beauté s’accommodera tout aussi bien d’un autre chapeau, celui-là par exemple, dit-il en désignant un chapeau mauve. La beauté mélancolique de la femme que j’aime, elle, ne saurait souffrir un autre chapeau que celui-là !
A mon grand étonnement Mathilde enleva lentement son chapeau  et me le tendit pour que je le remette à l’homme. Celui-ci le saisit doucement, le paya et sortit de la boutique sans mot dire.
J’appris plus tard que Mathilde le connaissait. Elle me raconta songeuse que la femme qu’il aimait  l’avait abandonné pour un autre, moins fortuné, mais plus jeune, puis qu'elle s’était suicidée quand son jeune amant l’avait quittée. Son mari, lui, continuait à  perpétuer le souvenir de l’absente. Mathilde avait rapidement compris que toute résistance de sa part n’aurait servi à rien.
- On ne peut pas lutter  contre une morte,  avait-elle ajouté l’air soudain sage.

*Texte écrit à partir du tableau d’Edgar Degas, peint en 1882, qui se trouve au musée Thyssen de Madrid

14 juillet 2008

Une journée de liberté

Elle a sa journée de libre, elle peut faire ce qu’elle veut et tout un programme se met en place dans sa tête. Elle saute le petit déjeuner, s’habille, prend un pull, ses lunettes et sa besace. Au dehors, un petit vent balaie les rues, les gens se croisent, sérieux, préoccupés par leurs soucis respectifs et elle, se dit qu’elle a bien de la chance d’avoir ce moment pour elle. Elle suit les panneaux indiquant la location de vélos, sous le pont qui enjambe le canal qu’elle compte longer. Une dame très gentille l’accueille, le vélo est présenté, le casque offert et sitôt les papiers remplis, la voilà qui s’élance sur la piste cyclable. Le pull est bienvenu, il fait beau mais la fraicheur de l’air est encore bien présente en ce matin de mai. Elle pédale avec entrain et découvre au long des km avalés qu’elle adore ça, elle se sent bien, elle s’arrête où elle veut, quand elle veut, elle est libre comme l’air !

mai_2008_Canada_120

Après sa pause photos, la voilà qui zigzague à travers un arborétum loin des routes et de la foule. Un homme, son vélo à côté de lui, rêve sur un banc, solitaire, le regard au loin. Il ne tourne même pas la tête à son approche, elle se fait toute discrète et s’en va s’asseoir un peu plus loin, écrire sur son carnet noir, ses sensations et son bonheur du jour.

mai_2008_Canada_122

 

Le retour se fait par la rivière Rideau, plus sauvage que le canal du même nom qu’elle a traversé près des écluses, posant pied à terre pour regarder le passage tout en lenteur d’une barque. Ici pas de plates-bandes arrangées, juste un chemin de terre où elle croise marcheurs et autres cyclistes. Elle pédale, pédale ainsi pendant des heures avec des petites pauses ici et là avant de rendre le vélo à son point de départ.

Elle a faim et s’arrête à une terrasse où elle savoure une bière rousse et un sandwich. Le soir, elle se fait belle et monte au restaurant tournant situé au 28ème étage de l’hôtel où elle séjourne pour s’offrir un bon repas arrosé d’un verre de vin qu’elle prendra soin de bien choisir. Le panorama qui s’offre alors à elle comble le vis-à-vis qu’elle n’a pas. Elle ne se sent pas seule, non, pas ce soir, elle savoure une liberté retrouvée même si éphémère…


13 juillet 2008

Une question d'âge

- Mais l’âge, cela ne signifie rien ?
- Pas pour toi peut-être mais tu seras tout le temps jugé par les autres !
- Et alors ?
- Alors, rien, laisse tomber.
Elle se tourne vers son plan de travail et regarde ses mains. Rien n’est plus beau que les mains d’une femme dans la farine chantait Nougaro. Ses mains ne sont pas belles, elles sont usées à force de passer sous l’eau, de laver, de travailler. Ses ongles sont coupés courts, elle n’y met pas de vernis, ses doigts sont boudinés par la chaleur et sa peau desséchée par la farine. Elle devrait prendre soin de ses mains, c’est important les mains, autant que le visage…
- Donc si je comprends bien, tu ne veux pas l’inviter ?
- Non ! Tu sors avec qui tu veux, tu es adulte, tu vis ta vie, c’est ton droit mais ne m’impose pas cette femme.
- Je l’aime.
- Maintenant, mais qu’en sera-t-il dans quelques années ? Vingt ans de différence, c’est énorme, quand tu auras 40 ans, elle en aura 60 ! Elle est sûrement très belle mais les années sont les mêmes pour tout le monde, elle sera presque vieille et toi, tu seras dans la fleur de l’âge, on pensera de toi que tu sors avec ta mère mais ta mère c’est moi !
Il hausse les épaules.
- T’es jalouse ou quoi ?
Elle se rebiffe
- Jalouse, non, envieuse oui. Quelle serait ta réaction si je te présentais un jeune homme comme petit ami ? Hein, dis-moi ?
- C’est pas la même chose.
- Ah ! oui, tu m‘expliques la différence ?
Il ne répond pas. Elle nettoie ses mains, enlève son tablier, se dirige vers le bureau pour y prendre son sac et ses clés.
- Tu sors ?
Elle s’arrête en face de lui et plonge ses yeux dans les siens.
- Je vais faire un tour, j’ai besoin de réfléchir, il me faut du temps pour accepter d’avoir une belle-fille de 4 ans de moins que moi.
- Mais tu vas où ?
- Draguer ! Je vais tester si moi aussi, je peux arriver à me taper un jeune mec, si mon charme de femme mature fait son effet.
- T’es folle !
Elle rit.
- Et bien, nous serons deux !

 

13 juillet 2008

L'impasse

vachesIls avaient roulé  pendant quatre heures puis s’étaient arrêtés sur une petite route départementale pour se dégourdir les jambes.
- Oh regarde, avait-elle dit mi-émerveillée, mi-amusée, en lui montrant le pré.
Et il avait vu le cul des vaches. Vision d’horreur, ça lui rappelait ses grands-parents et ses séjours longue durée à la ferme. Lui, on l’avait toujours laissé à la ferme avec les grands-parents. Pour s’en débarrasser, sûrement. Il ne put s’empêcher de faire un geste d’impatience et il lui dit
- J’ai toujours détesté les vaches !
Il avait opté pour une réponse courte, par lassitude, mais il était sûr qu’elle ne s’en satisferait pas. Elle ne pouvait s’empêcher de lui poser sans arrêt des questions, comme les enfants, il lui avait pourtant dit qu’il n’avait jamais voulu avoir d’enfants justement à cause de ces questions imbéciles qu’ils égrenaient comme des chapelets.
- Et pourquoi ? Ne manqua-t-elle pas d’ajouter.
Comme elle l’exaspérait quand elle lui demandait « pourquoi »! Dans ces moments-là, il la détestait autant que le cul des vaches. Cette fois-ci il allait lui répondre et ça couperait court à toutes conversations ; elle l’avait bien cherché ! Ne lui avait-il pas déjà dit cent fois en six mois de ne pas lui poser ces questions qui ne rimaient à rien sinon à l’énerver ? Il jugea que le moment était venu de lui faire sentir dans sa chair que la limite était atteinte. Et si elle ne s’en remettait pas ? Elle partirait comme les autres, et alors ? N’avait-il pas toujours trouvé des femmes – et même de toutes jeunes femmes -  quand le désir le tiraillait ? Peut-être avait-il besoin d’un moment de solitude, un moment off, sans questions, sans plaintes et complaintes, un moment où il se consacrerait entièrement à lui.
Il la regarda une dernière fois. Elle était jolie dans sa petite robe décolletée dont les couleurs mettaient en valeur sa peau brunie par le soleil. Presque une enfant. Qu’est-ce qu’il faisait avec cette toute jeune fille à peine sevrée ? La minute de tendresse passée il  conclut.
- Tu veux savoir pourquoi ? Parce que j’ai passé ma putain d’enfance à la ferme ! Tout ça parce que mes parents ne supportaient pas le mouflet ! Alors la campagne, j’en ai ma claque ! Et quand je vois des culs de vaches alignés devant une mangeoire, j’ai l’impression de voir autant de culs de connards, qu’on gave pour les faire crever plus vite. Tu comprends pas que cette putain de vie ne vaut vraiment pas la peine d’être vécue ? Tu comprends pas que tu me fais chier avec ton sourire béat comme si la vie t’attendait alors que merde, elle a déjà mis sa machine à broyer en route pour te faire disparaître !
Elle le regarda interloquée et des larmes commencèrent à rouler sur ses joues. Puis elle rentra dans la voiture sans un mot et le voyage se déroula, comme il l’avait prévu, dans un silence de mort. Comme les autres, elle lui demanderait de s’excuser, il ne s’exécuterait pas, et elle partirait. Il eut presque envie de siffloter en pensant au scénario à venir mais il se retint, par égard pour elle qui, mutique, continuait à fixer le paysage en essuyant ses larmes avec un mouchoir en papier qu’il lui avait donné.

PS : photo gentiment prêtée par Coumarine

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