La folie d'Odette. 2
- Ca va Madame, je vous ai fait mal ? demande la jeune fille
- Ca va, ça va, mais j’ai eu si peur de tomber, vous savez à mon âge, une chute cela ne pardonne pas.
Elle lève les yeux et rencontre deux billes noires qui la scrutent de façon intense.
- Vous vous sentez bien, vous voulez que je vous raccompagne, vous habitez loin ?
Alors qu’elle songe à refuser cette aide, elle se met à regarder d’un peu plus près cette jeune personne qui lui fait face. Seize ans, dix-huit, difficile à dire, grande, les cheveux frisés de couleur châtain, tirés en arrière et arrangés à la va-vite avec une grosse pince, un visage rond avec des tâches de rousseur, habillée d’un gros pull, d’un pantalon qui traîne sur le macadam, de baskets qui ont dû être blanches une fois et d’un gros sac en crochet qui lui barre la poitrine.
- Dites Madame, vous allez bien, vous êtes toute pâle ?
Odette s’apprête à la rassurer mais quelque chose l’arrête. Cette jeune dégage un étrange sentiment en elle, elle semble si triste qu’instinctivement la vieille dame sent ses capteurs émotionnels l’avertir de quelque chose. Elle ne sait pas quoi mais il y a quelque chose. Elle décide d’en avoir le cœur net, d’y mettre son nez, après tout elle a tout son temps.
- Vous vous appelez comment ?
Un peu surprise, la jeune fille répond.
- Kalinka
- C’est un prénom original, je ne l’ai jamais entendu.
- Il est d’origine slave, je l’ai hérité de mon arrière grand-mère.
- Cela veut-il dire que vous êtes d’ailleurs, d’un autre pays ?
La jeune fille ne répond pas. Elle se contente de regarder cette dame qui lui pose des questions personnelles au milieu d’un trottoir. Elle aimerait continuer son chemin mais elle hésite à la laisser sans s’être assurée que tout va bien. Odette sent la retenue que ses questions ont provoquée, change de tactique et demande :
- Ce serait gentil à vous de me raccompagner chez moi, je me sens encore un peu chancelante, cela ne vous dérange pas, je n’habite pas très loin ?
Kalinka n’hésite pas longtemps, ramasse le sac de courses toujours à terre, prend Odette par le bras et questionne.
- C’est où chez vous ?
- Au numéro 28, le petit immeuble là-bas jaune aux volets gris. J’habite au deuxième, sans ascenseur.
- Cela ne vous dérange pas les escaliers, à votre âge…
La jeune fille se mord la langue. Ce n’est pas poli de rappeler son âge à une personne adulte, sa mère le lui a déjà dit plus d’une fois mais elle est de nature spontanée et cela lui a échappé. Odette émet un petit gloussement et répond.
- Monter les escaliers entretient ma forme j’adore marcher et je fais une heure de promenade par jour. C’est bon pour la santé. De plus je rencontre des gens sympas et parfois même adorables comme vous, dit-elle d’un air malicieux.
Kalinka ne répond rien. Elles continuent leur chemin et arrivent assez vite devant l’immeuble d’Odette. Celle-ci sent que la jeune fille aimerait maintenant s’en aller, sa bonne action terminée mais elle n’a pas envie de la laisser partir.
- Montez avec moi, je vais vous donner une plaque de chocolat pour vous remercier.
- Oh ! mais cela n’est pas nécessaire, Madame.
- Si,si, j’insiste, allez, venez et comme cela vous déposerez mon sac qui est un peu lourd pour moi, argumente Odette qui ne se gêne pas de raconter un petit mensonge !
Refuser quelque chose à une vieille dame quand on est une jeune fille un peu timide n’est pas aisé et Kalinka n’ose pas décliner l’invitation. Elle suit un peu à contrecoeur son interlocutrice. Arrivée sur le palier, elle tente à nouveau de quitter la vieille dame en argumentant que c’est dangereux d’introduire des personnes qu’on ne connaît pas, qu’il y a plein d’histoires sur des personnes âgées qui ont été détroussées, etc. Odette se retourne, la regarde intensément et lui dit.
- Je suis entièrement d’accord avec vous, ma petite mais si j’insiste c’est que j’ai eu le sentiment bizarre et inexpliqué que vous alliez faire une bêtise et que je devais vous aider.