Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Presquevoix...
Archives
9 juin 2016

La fabrique du désespoir

Dans ce lycée de banlieue parisienne, le professeur de mathématiques avait dû s’arrêter dès la fin du mois de septembre. Certains «  connaisseurs » disaient qu’il était déprimé. Au bout de trois semaines, on lui avait trouvé un remplaçant qui lui-même avait dû être remplacé au bout de quinze jours par un autre remplaçant qui lui-même n’avait pas tenu plus d'une semaine…

Dans la salle des professeurs, les conversations allaient bon train. Certains prophétisaient que la rentrée 2016 serait celle du désespoir, puisqu'il était entendu que dorénavant les élèves ne pouvaient plus redoubler leur classe de seconde à moins d'une demande  des parents. Nombreux étaient ceux qui, cyniques, ricanaient en disant qu'il faudrait créer dans chaque lycée un "bureau des pleurs" pour les élèves, et un pour les enseignants.

Car bien évidemment, le gouvernement, dans son souci de faire des économies, avait oublié de penser au problème de la remédiation : comment, dans des classes de 35, remettre à niveau des élèves de seconde passés en première sans avoir atteint le niveau de seconde et qui d'ailleurs, pour certains, étaient passés en seconde sans  avoir atteint celui  de troisième ou de quatrième ?

Un plaisantin de cette même salle de professeurs suggéra qu'à partir de 2016 on pourrait faire des voyages scolaires vers Lisieux, Lourdes - ou même Fatima  - parce qu'on ne pouvait plus compter que sur des miracles...

 

 

 

 

 

7 juin 2016

L’erreur

20160603_175224

Il l’avait invitée au « train bleu » et elle avait accepté. Elle le connaissait à peine – Il s'étaient rencontrés la semaine passée dans le TGV  – et cette invitation lui semblait un peu prématurée.

Lorsqu’elle arriva, la décoration du restaurant  lui parut un peu chargée mais elle fut séduite par les lustres dont les dorures lui rappelaient des histoires de princesses. 

Rendez-vous avait été fixé à 20 heures, mais à 20 heures 15 elle l’attendait encore et, à force de lire le menu, elle le connaissait par coeur.

Il arriva à 20 h 20, sans s’excuser, mais avec une rose à la main. Maintenant qu’il était assis en face d’elle et qu'elle srutait son visage, elle le trouvait un peu vieux.

Les plats furent commandés,  le serveur apporta le champagne et la conversation s’engagea sur un terrain politique – il avait été bloqué par des grévistes qui manifestaient contre la loi travail.  Son discours était si droitier qu’il l’effraya.  Comment ne s’en était-elle pas aperçue durant son voyage en train ? Allait-elle digérer  son suprême de volaille de Gascogne rôti s’il votait FN ?

Par provocation, elle lui demanda s’il avait vu le documentaire « Comme des lions »

-          Comme des lions ? répéta-t-il incrédule.

-          Oui, un documentaire sur la bataille des ouvriers de Peugeot-Citroën contre la fermeture de leur usine d'Aulnay-sous-bois.

-          C’est vraiment le dernier film que j’irais voir.

-          Vous avez tort, il est toujours intéressant de voir l’autre versant des choses.

Il ne répondit rien et enchaîna sur les difficultés de son métier ; il était DRH chez Loréal. Elle l’écoutait tout en mâchant délicatement. La viande était exquise mais tiendrait-elle jusqu’au dessert ? Et que lui dirait-elle à la fin du repas ? Qu’il était inutile qu’ils se revoient car leurs idées étaient aussi différentes que le rouge et le noir ?

Au dessert – elle avait choisi un Duo de mousses de chocolat noir et noisette à la fleur de sel – elle décida de prendre les devants.

-          Vous savez, je crois que vous et moi… nous sommes bien loin.

-          Vous vous référez à nos âges ou à nos idées ? lui dit-il en souriant.

-          A nos idées, bien sûr. Il est donc vraisemblable que nous ne puissions pas, enfin, que…

-          Que nous ne soyons pas « compatibles », c’est ça ?

-          Exactement.

-          Vous croyez que vous allez quand même accepter que je vous offre votre repas ?

-          A vrai dire, il vaudrait mieux, je suis à sec et d’ailleurs, je vous rappelle que vous m’aviez invitée.

-          C’est vrai. J’aurais sans doute d’abord dû vous dire pour qui je votais, peut-être.

-          Alors ? Pour qui ?

-          Je vous laisse deviner.

Elle eut un moment d’hésitation et dit : « Marine Le Pen »

Il éclata d’un rire tonitruant.

-          C’est comme ça que vous me voyez ?

-          Oui, répondit-elle un peu gênée.

Il se leva de table et alla régler l’addition. Quand il revint, il lui dit simplement : « Vous êtes enfin libre ! »

Ils se séparèrent de façon courtoise. Lui prit le taxi, elle le métro, et l’un comme l’autre pensèrent à ce qui aurait pu être…

 

PS : photo prise dans le restaurant le "Train bleu" vendredi dernier.

5 juin 2016

L’oral facultatif

Les candidats attendent devant la salle 210 pour passer l’oral de portugais facultatif du bac professionnel. Elle fait entrer le premier élève qui arrive mains dans les poches et, comme souvent, sans savoir en quoi consistent les épreuves. Elle lui fournit quelques explications, lui donne un document  à préparer pendant cinq minutes, une feuille, et un stylo car il n’en a pas.  Durant ce temps de préparation elle vaque à différentes tâches.

Au bout de cinq minutes, elle demande au candidat de s’asseoir en face d’elle et de lui présenter le document en portugais. Elle remarque que la feuille rose qu’elle lui a donnée est immaculée. Le jeune homme reste un temps  muet, puis se lance dans une phrase où tous les mots sont français à l’exception de l’un d’entre eux auquel il a rajouté un o, pour faire portugais.

Après cette phrase, il s’arrête. Elle lui précise qu’il a encore plus de quatre minutes devant lui, mais il n’a plus rien à dire. Elle tente de lui poser quelques questions en portugais, mais son degré de compréhension de la langue est aussi catastrophique que sa capacité à communiquer. En désespoir de cause, elle passe à l’épreuve suivante, la partie compréhension écrite. Hélas, le document, très simple, est largement interprété en fonction du titre qui lui-même n’a pas été compris.

A la fin de l’épreuve, elle ne peut s’empêcher de demander au candidat pourquoi il s’est inscrit à cette épreuve sans la préparer. Il lui répond avec un large sourire qu’il est d’origine portugaise et qu’il voulait tenter sa chance.

Après cette explication, il lui sourit à nouveau, lui offre une large poignée de main et part les mains dans les poches…

 

2 juin 2016

Vivre...

20160523_102457Quand elle est passée devant les grilles du parc de son ancien  lycée, elle a cru voir un éléphant rose. Etait-ce les effets de l’alcool ? 

Elle avait commencé à boire cinq ans plus tôt, pour des raisons toutes aussi louables les unes que les autres : supporter son mari, ses enfants adolescents et une profession qui la minait. Aujourd’hui, toutes ces bonnes raisons avaient disparu - elle n’avait plus ni travail, ni mari, ni enfants – mais elle ne pouvait se décider à abandonner  ce breuvage auquel elle s’accrochait comme à un ami d’enfance. Pourtant, ne devait-elle pas convenir que la situation devenait préoccupante ? Si elle  buvait au point de voir un éléphant rose dans un parc, que verrait-elle ensuite ?

 

 PS : photo prise à l’extérieur du parc du lycée.

Le prochain texte paraîtra le dimanche 5 juin.

<< < 1 2
Presquevoix...
Newsletter
8 abonnés