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Presquevoix...
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18 février 2010

L’aveugle

Elle était assise au cinquième rang et attendait que le spectacle commence. Les musiciens arrivèrent ; puis les choristes,  tout de noir vêtus, se placèrent sur trois rangées. Soudain, sa voisine lui dit :

- Franchement, des lunettes pareilles pour chanter dans un chœur !
- Heu, je crois qu’il est aveugle, lui répondit-elle.
- Ben le pauvre, enchaîna sa voisine, il a pas de chance : non seulement il est aveugle mais en plus il a une sale gueule, enfin au moins il  se voit pas !

Elle fit comme si de rien n'était et consulta son programme...

17 février 2010

La porte du Moi

Quand le psychiatre est passé à l’atelier d’art-thérapie, il a regardé la photo que j’avais choisie et il m’a dit :
- Alors ?
Et je lui ai répondu :
- Alors voilà, c’est Moi.
- Intéressant, a-t-il rétorqué en se frottant le menton.
Il  m’a souhaité bon courage pour la suite et il a continué son tour d’atelier. Le psychiatre ne s’embarrasse jamais de mots. Je me demande s’il ne file pas un mauvais coton, seulement maintenant  je m’en fous, je ne suis plus Dieu. Il faut dire que j’ai été Dieu pendant trente ans, c’est long trente ans. Maintenant j’essaie d’être Moi. C’est pour ça que j’ai choisi cette porte rouillée avec le barbelé. Le barbelé c’est pour me protéger des intrusions.
Quand j’étais Dieu, ce qui me fatiguait c’est que j’étais toujours au-dessus de tout le monde, je n’avais pas un moment pour penser à moi. A l’hôpital, on m’avait bien dit qu’un jour je me fatiguerais d’être Dieu et que je devrais trouver quelque chose de moins stressant pour ma retraite. Ils avaient raison. Maintenant j’ai décidé d’être Moi. C’est aussi mal rémunéré qu’être Dieu – j’ai 660 euros par mois -  mais j’ai du temps pour Moi. Il faudra que je demande au psychiatre si ça fait mal d’être soi.
En tout cas, avec les barbelés, il y a moins de risque de se faire marcher sur les pieds. Parce que de vous à Moi,   passer de Dieu à soi, c’est pas gagné.

PS : texte écrit dans le cadre des impromptus littéraires.

16 février 2010

Parler ou écrire ?

« Écrire, c'est une façon de parler sans être interrompu. » disait Jules Renard. Jolie formule où je me reconnais. Dans le tourbillon de l’instant, rien ne me vient jamais à l’esprit ; je suis fade, insipide, ma conversation est d’une morosité à faire peur. Les réfutations de mes vis à vis me laissent sans voix, ou pire, me rendent agressives, parce que je leur en veux de m'obliger à me confronter à mon manque de réparti.
Par contre, face à l’espoir de la page blanche, loin de la peur du jugement de l’autre, les mots déroulent peu à peu leurs propositions,  leurs phrases, et j’ai  l’impression consolante de pouvoir penser...

15 février 2010

La retraite

P1010209C’est là que je m’étais retirée. Une folie, mais parfois il faut vivre loin du monde pour en être plus proche. Je dormais sur l’eau et rêvais sur l’eau. J’avais fermé la porte de la tourelle à clef et je n’avais plus aucun contact avec personne, si ce n’est par lettre ;  je refusais de parler, je n’allais pas encore me laisser emprisonner par l’immédiateté du langage.
Mon mari s’était mis à la cuisine et il me laissait mon plateau repas devant la porte deux fois par jour.
Cette vie a duré un an, un an de tranquillité, un an de longue respiration, un an de bonheur. Et puis on m’a forcée à sortir et quand je suis revenue dans leur vie, deux choses m’ont surprise : moi et mon mari.  Moi, parce que j’avais vieilli de dix ans en un an, lui parce qu’il était mort alors que je l’avais quitté vivant la veille…

PS : texte écrit à partir de cette photo prise par C.V.  à Bruges.

14 février 2010

Cinq ans… ou l’anniversaire

Sur le blog « jedouble », un texte de gballand illustré par un photomontage de Patrick Cassagnes

Il y a des anniversaires qu’on ne peut pas oublier. Pour en savoir plus, c’est ici !

13 février 2010

L’ourlet

Hier j’ai accompagné mon mari dans une boutique de vêtements ; il voulait s’acheter deux pantalons et mon avis précieux lui était indispensable. Une fois dans la cabine d’essayage, il m’a dit de monter la garde. Le texte  sur la « cabine d’essayage » que je lui ai fait lire la semaine dernière a dû déclencher chez lui une mini-phobie. Pour lui faire plaisir j’ai  aboyé et je suis restée près du rideau consciencieusement tiré.
Comme le pantalon convenait,  la vendeuse a été appelée pour l’ourlet. Elle a demandé à mon mari de s’installer devant la glace et, à genoux devant lui, elle a commencé l’opération épingles. A un moment, elle  a posé cette question, pour le moins ambiguë :
- Il est bien monté ?
Mon mari l’a regardée l’air interrogateur, pendant que je pouffais dans mon coin.
J’espère qu’ « il » était bien monté sinon il en sera quitte pour revenir faire l’essayage.

12 février 2010

Perdre le fil

Je sors Titus deux fois par jour, je dis deux mots à la boulangère une fois la semaine et je regarde la télé en boucle, voilà ma vie. Je me demande quand même si je perds pas le fil. Le jour où Robert est parti j'ai crié « Bon vent », de toute la force de mes poumons, depuis le temps qu’il empoisonnait ma vie, Robert ! Au moment où il descendait les escaliers avec sa valise à la main, la voisine est sortie mais elle a vite refermé sa porte quand je lui ai gueulé que c'était pas ses oignons. Maintenant on  se parle plus, une bonne chose de réglée.
Avant hier un type a frappé à ma porte :
- Les services sociaux, a-t-il dit.
J’ai regardé à l'œilleton mais j’ai pas ouvert. D'ici à ce que la Régie veuille m'expulser parce que je suis en retard pour le loyer. Quand le type est parti, j'ai mis le buffet devant la porte. Maintenant, j'attends. Si je dois  partir, ce sera les pieds devant.

11 février 2010

Mourir ?

La mort me fait  un peu penser à une Teinturerie géante. Lorsqu’elle  rend un défunt dans son urne rutilante ou son cercueil immaculé – après lui avoir déposé au préalable le reçu de sa vie - il est entièrement lavé de toute tache. Evidemment le prix  à payer est très cher. En ce qui me concerne, je préfère m’accommoder de mon vêtement souillé de vie plutôt que de revêtir la robe angélique de la mort...

10 février 2010

La cabine d’essayage

Elle était dans la cabine d’essayage, dos à la glace ; l’effeuillage pouvait commencer. Elle aurait préféré ne pas acheter ce pantalon le jour même – elle se sentait ballonnée - mais c’était une occasion. Elle avait laissé ses chaussures en évidence sous le rideau, la pointe glissée vers l’extérieur, pour que l’on sache bien que la cabine était occupée. Elle avait toujours eu peur qu’un jour, un imbécile ouvre le rideau d’un coup, et qu’on la découvre nue dans la lumière blafarde d’un grand magasin.
Une fois son pantalon enlevé, elle entreprit d’enfiler le nouveau jean. Il semblait un peu serré et le passage des cuisses  se négociait difficilement. Elle força un peu, le jean élastique se laissa difficilement faire et elle serra les dents. Vu le prix, il faudrait qu’elle y entre coûte que coûte. Au moment où le pantalon semblait céder à ses assauts, elle vit, comme dans un mauvais film d’horreur, une main velue se glisser sous le rideau et prendre ses chaussures. Elle resta interdite. Quand elle  sortit en criant, le pantalon à moitié remonté, il était trop tard ; le type était déjà loin et ses chaussures aussi.
Personne ne lui vint en aide. Elle eut juste le temps d’apercevoir, près du rayon lingerie,  l’une de ses élèves de seconde qui la regardait gesticuler l’air incrédule et elle retourna illico s’enfermer dans la cabine.
Elle en était pour ses frais. Le lendemain l’affaire aurait déjà fait le tour du lycée…

9 février 2010

El pueblo unido jamas será vencido

A chaque fois qu’elle entendait ce chant des « Quilapayún », elle bondissait sur ses pieds, prête à empoigner des banderoles et à crier des slogans pour ouvrir des chemins de liberté.  Au fur et à mesure que la clameur enflait, sa passion pour le peuple, la vérité et la justice grandissait. Oui à la lutte, oui au  peuple uni, oui à la révolution  !  Et puis  les voix faiblissaient, la patrie se ternissait, le peuple hésitait, le chant s’achevait et elle remisait  banderoles et  slogans dans le tiroir de ses rêves pour se dédier à ses médiocres tâches de  femme au foyer…

"El pueblo unido jamas sera vencido" : "le peuple uni ne sera jamais vaincu"

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