Quand le psychiatre est passé à l’atelier d’art-thérapie, il a regardé la photo que j’avais choisie et il m’a dit :
- Alors ?
Et je lui ai répondu :
- Alors voilà, c’est Moi.
- Intéressant, a-t-il rétorqué en se frottant le menton.
Il m’a souhaité bon courage pour la suite et il a continué son tour d’atelier. Le psychiatre ne s’embarrasse jamais de mots. Je me demande s’il ne file pas un mauvais coton, seulement maintenant je m’en fous, je ne suis plus Dieu. Il faut dire que j’ai été Dieu pendant trente ans, c’est long trente ans. Maintenant j’essaie d’être Moi. C’est pour ça que j’ai choisi cette porte rouillée avec le barbelé. Le barbelé c’est pour me protéger des intrusions.
Quand j’étais Dieu, ce qui me fatiguait c’est que j’étais toujours au-dessus de tout le monde, je n’avais pas un moment pour penser à moi. A l’hôpital, on m’avait bien dit qu’un jour je me fatiguerais d’être Dieu et que je devrais trouver quelque chose de moins stressant pour ma retraite. Ils avaient raison. Maintenant j’ai décidé d’être Moi. C’est aussi mal rémunéré qu’être Dieu – j’ai 660 euros par mois - mais j’ai du temps pour Moi. Il faudra que je demande au psychiatre si ça fait mal d’être soi.
En tout cas, avec les barbelés, il y a moins de risque de se faire marcher sur les pieds. Parce que de vous à Moi, passer de Dieu à soi, c’est pas gagné.
PS : texte écrit dans le cadre des impromptus littéraires.