Elle tient la lettre dans sa main, debout au milieu de sa
cuisine, l’esprit envolé vers ses lointains souvenirs. Trente ans, trente ans
sans nouvelles et pffff, une lettre fait tout remonter à la surface. Trente ans
à essayer d’oublier, à enfouir très loin, très profondément ce visage, ce
sourire, ces bras qui la serraient, ces mains qui la parcouraient, ces lèvres
qui cherchaient les siennes…
Elle tourne son visage vers la fenêtre et ses yeux tombent
sur le rosier jaune, note ensoleillée en ce jour assez gris. Elle sait
maintenant pourquoi elle aime les roses jaunes et pourquoi elle a insisté pour
en planter un…il lui offrait à chaque rencontre une rose soleil, elle avait
toujours trouvé cela touchant, cela ne cadrait pas avec son côté un peu
loubard. Elle avait tout juste 20 ans, il en avait 10 de plus, elle avait été
subjuguée par sa moto, son assurance, sa douceur, son expérience. Dans ses
bras, elle avait expérimenté les jeux interdits et son corps de femme s’était
éveillé à des sensations qu’elle n’avait pas retrouvées dans d’autres bras. Leur
dernière nuit avait été sublime, repas aux chandelles, bonne chère, bon vin,
elle avait un peu trop bu, il l’avait portée dans la chambre, l’avait
déshabillée comme on effeuille une fleur et avait été très doux…Le lendemain il
avait disparu. Envolé, sans un mot, sorti de sa vie sans savoir ni comment ni
pourquoi ! Elle l’avait cherché, partout, longtemps mais avait dû se rendre à l’évidence, il était
parti en l’abandonnant, en abandonnant tout, leurs rêves, leurs espoirs…ses
espoirs.
« A 20 ans, on oublie, on est jeune, c’est facile »,
lui avait-on dit. A 20 ans, on aime avec tout son cœur et quand ce cœur est
poignardé, lacéré, cela met long, très long à cicatriser.
Et maintenant, cette lettre, ce téléphone à composer, cette
rencontre à programmer…