« Il m’aime, un peu,
beaucoup, pas du tout…le salaud ! Je le savais, je le savais, j’en avais
l’intuition, déjà que hier, il est rentré plus tard, et la semaine passée, il
était dans les nuages, j’ai dû lui répéter ma question, il n’avait pas écouté,
il pensait à l’autre… »
Elisa se ronge les ongles,
terrassée par le jeu de hasard qui lui donne une réponse à ses questions chaque
jour. Elle commence toujours par vérifier l’amour de son homme avant de poser
d’autres questions. Son humeur varie en fonction des réponses, c’est comme ça,
elle n’y peut rien, c’est une routine, un besoin vital qui dicte sa vie.
« Il m’a dit qu’il avait une
réunion qui pouvait se terminer plus tard que d’habitude mais les cartes ne
mentent pas, il a rendez-vous avec une autre. L’excuse du travail c’est du
bidon, pour m’endormir, mais je veille, je ne suis pas si bête, il aurait pu
trouver mieux, plus innovateur…Et la salope qui drague mon homme, je vais la
tuer, elle n’a pas le droit, il est à moi, rien qu’à moi et je ne partage pas,
non, ça, jamais ».
Elle se lève et va se poster près
de la fenêtre pour le guetter. Dehors, la nuit s’installe, l’éclairage public
jette une lumière diffuse dans la rue que les trottoirs mouillés par une pluie
battante renvoient comme des miroirs qui aimeraient à leur tour éclairer le
ciel noir. Elle regarde sa montre, il est déjà 21h, il n’est jamais rentré si
tard.
« Le salaud, le salaud, il
est dans ses bras, ils s’embrassent, il parcourt son corps avec ses mains si
douces, si chaudes…. » A cette évocation, elle ne peut s’empêcher de gémir
en pensant à son corps à elle qui vibre dès qu’elle sent le désir percer à
travers son regard, quand ses yeux la déshabillent, puis qu’il s’approche et
pose une main sur sa poitrine, l’autre enlaçant sa taille. Elle défaille à
chaque fois, ne pouvant résister à cet homme qui pourtant la trompe.
A cet instant le téléphone sonne.
Toujours dans le noir, elle saisit le combiné et écoute. Au fur et à mesure que
les secondes passent, ses épaules s’affaissent, son corps fléchit et telle une
feuille d’automne qui se détache de l’arbre, elle tombe tout doucement sans un
cri, sans une parole, lâchant le téléphone qui atterrit avec un bruit mat sur
le tapis. La voix continue de parler doucement, lentement mais les mots qu’elle
prononce sont terribles, si terribles qu’ils ont terrassé Elisa.