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Presquevoix...
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3 octobre 2022

les deux chemins

Elle ressemblait à un chien de garde, étrange femme. Je ne m’arrêtais jamais pour lui parler, de peur qu’elle ne gâche ma journée - nos vies sont si courtes - jusqu’au jour où j’ai cédé à ma curiosité. Sans doute ce désir permanent qui est le mien de voir ce qu’il y a derrière le paravent de l’apparence.

Je lui ai donc dit « Bonjour » car elle s’était arrêtée avec ses deux sacs de courses. " Belle journée, ai-je ajouté "  – je n’ai aucune imagination. Aucune réponse. Je lui ai demandé si elle souhaitait de l’aide et là, elle a répondu : «  Oui merci ! »

J’ai failli tomber à la renverse. Deux ans que je la voyais et qu’elle répondait à peine à mes bonjour. J’ai pris l’un de ses sacs – très lourd, je me demandais d’ailleurs ce qu’il y avait dedans – elle a pris l’autre et nous avons marché jusqu’à son lointain immeuble.

-          Vous voulez monter ?

-          Je ne voudrais pas vous déranger, lui ai-je dit poliment.

Elle a dit « Pas du tout » et nous avons monté les trois étages à pied, l’ascenseur était en panne depuis une semaine, m’a-t-elle expliqué.  Elle m’a invitée à entrer et là, des cartons fermés, partout. Je n’ai pas osé poser de questions, c’est elle qui m’a dit.

-          En voie de déménagement, depuis un an.

-          Eh bien, comme ça il y a de la place, au moins, ai-je dit en souriant.

-          Un verre d’eau ?

-          Pourquoi pas.

-          Belle terrasse, chez vous.

-          Oui, mais c’est trop grand, je dois partir, ma fille est ailleurs.

-          Ah, un jour ou l’autre…

-          Mon jour est arrivé  tôt, elle avait dix ans.

Mon manque total de réparti – un défaut parmi tant d’autres – m’a empêchée de trouver une quelconque réponse et c’est là qu’elle a conclu.

-          Bien. Je dois ranger mes affaires. Encore un carton à défaire et un autre à refaire. Comme ça les jours passent vite.

Je n’ai trouvé qu’une chose à dire devant ce vide abyssal.

-          Merci pour le verre d’eau. C’est bien d’avoir trouvé une activité. Il faut faire passer le temps, sinon, nous sommes dépassés. Au revoir madame et à une autre fois. Je dois aller chercher ma fille à l’école.

 Je me suis demandé comment j’avais pu lui parler de ma fille alors que la sienne était partie. J’ai compris qu’il valait mieux que je me contente de mes conversations banales de quartier pavillonnaire et que j’évite les HLM.

Deux jours plus tard, je l’ai à nouveau rencontrée mais cette fois ci, je ne me suis pas arrêtée, j’ai eu trop peur qu’elle ne m’invite au pays du vide. Je me suis contentée de hocher la tête, elle aussi, et nous avons suivi notre chemin qui nous menait dans deux directions opposées.

 

PS : prochain texte, lundi.

Commentaires
M
«Directions opposées », mais enserrées dans le même univers d’absurbe multiface...
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A
« Dans les villes de grande solitude,<br /> <br /> Tous les héros se sont pollués<br /> <br /> Aux cheminées du crépuscule<br /> <br /> Et leurs torrents se sont calmés. »<br /> <br /> Michel Sardou
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D
Son boulot : faire des ménages, elle fatiguait donc des méninges. :-)
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K
Dommage, une rencontre intéressante qui ne l'a pourtant pas emballée.
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A
Cette femme est réellement émouvante, on peut même dire qu'elle cartonne !
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